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REFORME

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dans la conception que les Réformateurs se fout de l’Eglise. — Avant d’en rejeter la notion traditionnelle, Luther hésite longtemps : il professe que tout est venu par elle, Ecriture, sacrements, prédication ; qu’on ne peut parler avec autorité sans u mission » régulièrement reçue des supérieurs ; qu’on retrouve l’Eglise dans la papauté (Doellingbr, 111, 1 96.. Mais dès 1 5 16 il tourne déjà l’Eglise en dérision à propos de l’affaire des Indulgences ; en 1518, dans une lettre à Spalatin, il fait ti de l’excommunication ; la même année, il affirme que le Pape est l’Antéchrist et, dans un sermon, il professe que

« l’Eglise en tant que société, n’est pas un corps

visible, mais une communauté invisible » ; que le péché seul empêche d’en faire partie. — Voilà posé le fameux prinoipe de l’Eglise invisible. Mais alors, à quoi la reconnaître ? — Ce sont aussitôt des contradictions. On la reconnaît, répond il, au Baptême, au pain de la Cène, surtout à l’Evangile ; et dès lors, l’Eglise redevient pour lui visible en quelque façon. Mais elle est sujette, en tant que visible, à des disparitions soudaines ; (et les continuateurs ou les émules de Luther — même Servet — ne manqueront pas d’expliquer que l’Eglise visible a péri dès qu’elle a été sujette à la corruption et n’a plus représenté la société fondée par le Christ, ce qui est arrive précisément vers le iv « ou le Ve siècle, surtout après Constantin, au moment où la Papauté a grandi). Mais l’Eglise invisible n’a jamais cessé d exister ; elle est seule indéfectible ; il y a entre elle et l'Église visible primitive une continuité que ne supprime pas 1 interruption de visibilité. Elle se compose de toutes les âmes justes et droites unies au Christ par l’acceptation de l’Evangile nouveau : notamment de celles qui ont rejeté l’idolâtrie et la corruption romaines. On n’y entre, on n’y est lié aux autres croyants, que par la foi. A cette société théoriquement invisible, indivisible et universelle — coetus vocatorum, — correspond dureste, suivant les temps et les lieux, une société qui, pour n'être pas aussi tangible que « le royaume de France ou la République de Venise », suivant la comparaison célèbre de Bellarmin, n’en sera pas moins empirique dans une certaine mesure, — soit par l’administration des sacrements, la prédication de l’Evangile, la réception du Baptëiue (luthéranisme) — soit par la naissance de parents chrétiens ou la foi jurée (calvinisme).

Qui gouvernera, enseignera cette famille d'élus ? Pour Luther, comme pour Mélanchthon et Calvin, comme pour les enfants perdus de la Réforme, ce ne sera ni le Pape, ni une hiérarchie quelconque. Le grand principe posé par les initiateurs de la Réforme, que tout fidèle est prêtre (Luther), sacrificateur et roi dans l’Eglise (Calvin), qu’il n’y a pas besoin, entre l’Evangile et l'àme, d’intermédiaires humains, trouve ici de nouveau son application. Plus de différences entre la vie laïque et la vie religieuse, — plus de vœux, — plus de célibat ecclésiastique, — plus de distinction entre la moralité séculière et la moralité ascétique, entre les préceptes et les conseils, — comme il n’y en a déjà plus entre les diverses sortes de péchés. Plus de distinction entre les pasteurs, plus d’ordination : Luther la compare à une tonderie, à un graissage, à une supercherie qui ne fait que des charlatans et des prêtres de S.tan.

On se sépare cependant sur la question de la mission et de la vocation. Les uns supposent qu’elle a été accordée directement par le S. Esprit aux partisans du nouvel Evangile, pour réédiûer l’Eglise défaillante ; les autres qu’elle a été comme dérobée par le » prédicateurs aux indignes successeurs des Apô tres, et que l’Eglise, reconnaissable au moins dans sa parole et dans ses actes, a le droit de juger les doctrines, d’interpréter l’Ecriture et de régler la foi. Par quels moyens ce magistère s’exercera-t-il ? On ne le définit guère. Toujours est-il qu’avec Mélanchthon et Calvin, lorsqu’apparait clairement la nécessité de limiter l’arbitraire des individus et des Etats, c’est la tendance autoritaire qui prévaut. Les Philippins ou partisans de Mélanchthon essaient même de restaurer la notion d’Eglise, tentent un compromis. Rome ne peut que repousser une entreprise uniquement inspirée par une nécessité passagère de politique religieuse. On s’efforce néanmoins, au sein du protestantisme, de retrouver quelque chose de l’ancienne cohésion catholique cl de la forte organisation de l’Eglise romaine. Luther, tout en conservant son idée du sacerdoce universel, admet un certain pouvoir épiscopal, indépendant du Pape. Calvin, qui rejette ce pouvoir, remet l’autorité aux mains d’un consistoire indépendant de l’Etat ; mais à Genève il est lui-même l’Etal. Et il ne faut pas l’oublier, c est à l’organisation d’Eglises d’Etat que, dans son ensemble, aboutit la première propagande de la Réforme. — De ces schismes politiques, nés de l’hérésie ou conduisant à l’hérésie, l’exemple le plus frappant, mais aussi le plus singulier, est celui que donna l’Angleterre d’Henri VIII et d’Elisabeth. S’il se place à part dans l’histoire religieuse de la Réforme elle-même, s’il a été déterminé par un ensemble de circonstances locales plus que par des causes théologiques et semble par là échapper partiellement à l’influence des principes du protestantisme primitif, ce schisme s’y rattache néanmoins par ses conséquences. C’est avant tout par la constitution d’une Eglise d’Etat, que la confession anglicane est entrée parmi les « protestantisme ! » et demeure un protestantisme. Dans la mesure où elle a tendu à s’affranchir de toute tutelle politique, à rejoindre les sources historiques de sa vie religieuse, elle s’est rapprochée quelquefois du catholicisme.

b) Examen de la théorie. — Telles sont, dans leurs grandes lignes et à quelques nuances près, les idées que les initiateurs de la Réforme ont répanduesdans le monde contre le culte, l’intercession et la communion des saints, l'état religieux, le sacerdoce et la hiérarchie, les sacrements, l’Eglise. Avec leurs affirmations sur tous ces points, il suffirait souvent de confronter la doctrine catholique. Nous nous contenterons de renvoyer aux divers articles de ce Dictionnaire où ces questions ont pu être abordées. Après avoir lu l’article Eglisb, on verra, en particulier, ce qu’il faut penser de la société acéphale, inorganique, adogmatique, individualiste quenous a présentée le protestantisme.

Est-ce vraiment celle qu’il rêvait de former, et dont il pensait trouver un premier exemplaire aux premiers siècles de l’Eglise ? Mais on sait qu’il a dû reculer constamment 1 âge de la grande « corruption », et que, pour se donner des ancêtres, il a dû remonter peu à peu, par-delà Constantin, jusqu’aux temps de saint Irénée et de saint Ignace, de saint Clément de Rome, et jusqu'à l'âge apostolique. — Or, il s’est trouvé que l'âge des charismes, où il comptai ! établir les origines de l’individualisme religieux, a été aussi celui du développement interne de la plupart des éléments capitaux du christianisme, considéré non pas seulement comme une fraternité d’amour ou une sagesse, mais commeune grande solidarité, une confédération de communautés organisées, hiérarchisées sous la primauté de Rome, et possédant autorité pour assurer la garde, la transmission et la préservation du dépôt de la foi.

Au lendemain de l’apparition du livre de Mgr ]ix-