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XVI, 1 48). Mais quand il songeait à la Bible, il se disait déjà que, u si l’Esprit a parlé dans les Pères, à plus forte raison a-t-il parlé dans l’Ecriture ». Et encore qu’il n’y eût pas pour lui d’autorité, même dans l’Ecriture, là où il ne croyait pas retrouver l’Esprit du Christ, il faisait néanmoins de l’Ecriture la norme de la foi.

Plus nettement encore, Zwingli et Calvin font de la Bible la seule autorité. Ils y ont intérêt, puisqu’ils confondent avec l’enseignement de la Bible leur propre enseignement. « Premièrement, dit Calvin, en ce qu’ils l’appellent nouvelle [sa doctrine], nos adversaires font moult grande injure à Dieu duquel la sacrée parole ne méritait point d'être notée de nouvelleté. Certes je ne doute point que touchant d’eux elle ne leur soit nouvelle, vu que le Christ même et son Evangile leur sont nouveaux. » Si L’Eglise a pu nous transmettre l’Ecriture, elle ne saurait nous en garantir l’autorité, car l’Ecriture est à elle-même sa preuve. Elle a, dit Calvin, « de quoi se faire connaître, voire d’un sentiment aussi notoire et infaillible, comme ont les choses blanches et noires de montrer leur couleur, et les choses rances et amères de montrer leur saveur ». (Instit. chrét., 1, vii, §2)- Du reste, si l’Ecriture se présente à nous comme une sorte d’axiome, le SaintEsprit ne laisse pas d’apporter intérieurement un témoignage à la Divine Parole, de nous incliner à lui donner foi, de nous aider à la sentir et à l’entendre (loc. cit., §4). en sorte que c’est le Saint-Esprit, plus que le croyant, qui la lit. — Bien plus, l’unique source de la révélation, ainsi fixée, se trouvant dans la Bible, chacun aie droit de n’en croire que les Saints Livres, de ne prendre d’eux que ce qu’il comprend, c’est-à-dire ce qu’il interprète à l’aide de la parole intérieure. — C’est déjà le germe du libre-examen, de la libre conscience se frayant à elle-même sa voie à travers les vérités et les devoirs. Nous y revenons plu-, loin*

b) Examen de la théorie. —Observons tout d’abord que le protestantisme n’a pas le monopole du respect et du culte delà sainte Ecriture. Pour se borner au sièclequi précéda l’apparition de Luther, dès que la découverte de l’imprimerie a rendu possible la diffusion de la Bible, on la voit se répandre en Allemagne sous forme de traductions complètes ou partielles. L’Eglise se souvient toujours, il est vrai, qu’elle contient des passages obscurs, di/ficilia inlellectu (II Pet., iii, 16), et n’en propose pas indistinctement la lecture à tout le monde sans préparation ni étude ; mais le sentiment qui prévaut, c’est que, sous une forme ou sous une autre, fût-ce à l’aide d’explications (édition de la Bible de Liïbeck, 14g4)> tout chrétien doit parvenir à la lire (cf. Jansskn, La Réformi-, 1, l. 1, c. 2 de la trad. fr.).

Luther n’admet ni ces limitations ni ces précautions que le bon sens indique. Aussi, dans sa controverse avec Eck, son plus redoutable adversaire, après avoir rejeté les conciles et définitivement < tiré sa révérence aux Pères » en les sacrifiant à la seule Ecriture, il a porté à l’Ecriture les plus rudes coups. Non seulement, dans ses divers écrits, il la complète, lacorrige ou la travestit à l’aide des révélations de l’Esprit, non seulement ses amis et luimême en tirent les interprétationsles plus fâcheuses (comme dans l’approbation donnée à la bigamie du landgrave de Hesse), mais il n’hésite jamais à arracher à sa façon les pages qui lui déplaisent ou sont en contradiction avec les thèses qu’il avance. — C’est ainsiqu’ildéclare apocryphes ou sans valeur les livres deuté.rocanoniques, décrie l’Kcclésiaste, le Cantique des Cantiques, surtout le livre d’Est lier, il rejette du canon l'épître aux Hébreux, les épltres

de Jude, de Jacques et l’Apocalypse, établit enlin des catégories de valeur entre les écrits du Nouveau Testament.

Surtout Luther, et aussi Calvin, qui a tant plaidé pour l'évidencede l’autorité de la Bible, lui enlèvent son fondement en négligeant d’en légitimer la valeur pour la foi, sous prétexte que cette valeur ne saurait dépendre de l’Eglise. On voit le sophisme. < Calvin, observait là-dessus Brunetière (Hist. de la liit. franc., 1, 209), pourrait aussi bien dire que les vérités de la physique ou de la chimie dépendent d’Archimède ou d’Euclide ! » Si c’est l’Eglise, en effet, qui garantit l’authenticité et la vérité des Ecritures, ce n’est cependant pas elle qui crée cette authenticité ni qui fait cette vérité. — Calvin s’obstinnit, en même temps, è confondre le sentiment commun de l’Eglise en matière d’Ecriture avec les

« fantaisies » deshommes. Lui quis’atlachaitsiétroitement aux avis individuels des croyants, aurait

dû se préserver d’une pareille contradiction. Le sens commun de l’Eglise a constitué, sur le canon des Ecritures, une première tradition autorisée.

L’Eglise, qui recueille aussi la tradition, et l’anime, parole vivante, supplément de la parole écrite, l’Eglise a précédé l’Evangile : elle a été, elle est encore l’Evangile vivant, par quoi l’autre continue d'être annoncé, expliqué, et de produire des fruits. De cela, même au sein du protestantisme primitif, on eut le sentiment très net. Il n’est pas jusqu'à Michel Servet, ce fils égaré de la Béforme, qui n’ait un jour opposé à l’Ecriture « morte -> l’autorité de l’Eglise et de « sa voix vivante » (Christ. Restit., 627). C’est qu’il faut absolument entendre cette voix pour connaître intégralement le Sauveur Jésus et le message qu’il apporte (cf. Mobuler-Goyau, p. 85 ; — et la l 'héologie de Bellarmin du P. delà Sbrvièrb, pp. 34 à 36, où se trouve résumée la fameuse question du Juge des Controverses).

Enfin, au point de vue pratique, le recours exclusif à la Bible a d’autres inconvénients, que Mœhler a très finement analysés. Il en montre successivement la vanité et l’illusion, soit que le fidèle fonde sa foi sur ses propres recherches, soit qu’il s’adresse aux prédicateurs évangéliques pour se soumettre à leur interprétation. S’il lit, en effet, la Sainte Ecriture sans l’aide de l’Eglise, « ne doit-il pasêtre toujours prêt à modifier sa croyance ? Ne doit-il pas admettre que, par une élude plus approfondie des saintes Lettres, il arriverait peut-être à de tout autres conséquences ? et, dès lors, nous le demandons, peut-il naître dans son àme une conviction profonde, inébranlable, ferme comme le roc ? et voit à pourtant la seule disposition qui mérite le nom de foi. Quiconque dit : « Ceci est en ce moment ma foi », n’a pas de foi. »

— Aussi, qu’arrive-t-il d’ordinaire ? C’est que le fidèle, en f.iit de contact personnel avec l’Ecriture, renonce facilement à son privilège théorique. D’aventure, il y renoncera d’autant plus fâcheusement que, continuant de lire la Bible, mais vivant d’elle seule, il sentira grandir le sentiment obscur qu’il vit du passé seulement, tandis que le catholique, en écoutant l’Eglise et son commentaire, aie sentiment lumineux de vivre aussi du présent. « La bonne nouvelle du protestantisme est un récit des faits passés : quel soulagement pouvons-nous trouver dans ce récit ? A îles maux actuels, ne faut-il pas un remède acluel ? -t-on pu me guérir vingt siècles avant ma naissance ? » (Cf. Lettre d’un protestant détaché à un catholique anxieux, dans la Rev, hehdom., 9 avr’l 1910). La Bible présente aussi des miracles. Mais ces miracles « ont eu lieu une fois pour toutes », tandis que ; < le surnaturel de l’Eglise