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qui vaille pour le salut, devenue péché dans son esprit et dans son corps, soit comme tuée et anéantie, au point de n’être plus, dans sa déchéance, qu’un instrument inerte aux mains de Dieu, comme la scie aux mains du charpentier (c’est la thèse du serfarbitrt

  • de Luther). Le péché, sous cet aspect, est vraiment

devenu une seconde nature. Mélanchthoii expliquait : comme une force naturelle. Calvin ajoute : Notre nature n’est pas seulement vide et destituée de tous biens, mais elle est tellement fertile en toute espèce de mal qu’elle n’en peut être oisive ». Nature et concupiscence se confondent. Institution de la Religion chrètwnne, II, v.

Du reste, l’homme avait-il même reçu la liberté en partage, dans son état primitif ? — Calvin dit : oui, mais Luther disait : non. Toujours est-il que Calvin sacrifiait finalement le libre-arbitre devant la prédestination divine la plus absolue. Et c’a été pour la Réforme une façon de donner à la créature un peu d’humilité et de paix, que de la prosterner aux pieds d’un Dieu qui impose la réprobation comme il ordonne le salut, et dirige jusqu’aux assauts du mal. De là à faire de ce Dieu la cause et l’auteur du péché, il n’y avait qu’un pas.

/ ;) Examen de la théorie. — Ainsi ramenée à ses grandes lignes, rapprochée de ses origines et de ses conséquences, la théorie protestante de la justification apparaît ruineuse, surtout si, après en avoir vérifié les appuis psychologiques et historiques, on la compare simplement à la doctrine catholique.

Les appuis psychologiques. — Comment « l’expérience » d’une àme troublée, hors de sa norme, pour sincère qu’elle ait été (malgré la diversité contradictoire des récits de Luther, il faut admettre sur ce point sa sincérité), a-t-elle pu régler « l’expérience » de tant d’autres hommes, surtout si l’on sait par la vie de Luther qu’il n’obtint jamais pour lui-même la paix qu’il cherchait, et que les meilleurs de nos frères séparés sont loin d’avoir atteint la sécurité promise en face des pardons divins ? Estce à un tel résultat que devait aboutir cette mise en présence, si jalousement exclusive, de la miséricorde de Dieu et du péché de l’homme ? A faire abstraction du pécheur ? A ruiner chez lui toute espèce de coopération et de mérite ? A nier avec frénésie le libre-arbitre ? A exalter la volonté le Dieu jusqu’à faire de lui un tyran aveugle et cruel ?

Au surplus, si les idées religieuses individuelles ont un retentissement sur la vie politique et sociale, il est bien permis dépenser que le sombre christianisme de Calvin en particulier fut pour quelque chose dans le régime de terreur qu’il établit à Genève. Peut-être, en fondant une religion et une politique sur la doctrine de la corruption et de la perversion foncière de l’humanité, essayait-il de rompre avec l’indifférence d’Erasme, ou l’épicurisme de Rabelais, qui construisait alors son abbaye de Thélème sur le fondement illusoire de la bonté de la nature ? Toujours est-il que Calvin dépassa le but, que sa pensée radicale n’aboutit pas seulement à la défiance ou à la crainte, mais à la haine et à la suppression de la nature. Sous prétexte de christianisme épuré, il supprima du christianisme toutes les sources d’allégresse profonde et vivifiante qui y sont contenues, donna une religion sans joie à des individus et à un peuple sans joie. Il est pour beaucoup dans la psychologie populaire qui s’est créée peu à peu du protestant, à qui l’on attribue, jusque parfois dans les écrits protestants, une dignité sans charme, une vertu défiante, apeurée et hautaine.

Moins dure, mais aussi déconcertante dans la pra tique, la doctrine de Luther eut en Allemagne de si tristes conséquences morales qu’il dut les déplorer

et louer, comme malgré lui, dans un accès de sincérité, l’activité religieuse du catholicisme (Cf. Dobllingbr, La Réforme etc. trad. Pbhrot, 1848-49, I, 396). Regretta-t-il le pecco foruter sed fortins credo de la fameuse lettre à Mélanchlhon (i er août 15ai), parole que le contexte aggravait encore (uk’Wbttb, Luthers Briefe II, 37) ? C’est fort possible, puisqu’il avoua — tardivement, il est vrai — que la foi elle-même peut se perdre par l’habitude du désordre. En tout cas, « La foule du vulgaire, constate Ha.rnack (L’essence du christianisme, nouv. trad. fr., Paris, 1907, p. 341), ne fut pas fâchée d’apprendre que les

« bonnes œuvres » étaient inutiles, voire dangereuses

pour l’âme. Luther n’est pas responsable de la commode confusion à laquelle donna lieu cette formule ; mais, dès le début, on fut obligé, dans les Eglises de la Réforme allemande, de se plaindre du relâchement moral et du manque de sérieux dans la sanctification. La parole : a Si vous m’aimez, gardez mes commandements » ne conserve pas la place qui lui était due. »

Les appuis historiques. — Luther a prétendu que sa pensée avait rencontré celle de Saint Paul. Mais cette rencontre repose sur des analogies plus verbales que réelles, et qui témoignent seulement des emprunts intéressés de Luther, de la façon dont il élargit ou rétrécit le sens des textes, si cela lui parait nécessaire. — Par exemple, ce que l’Apôtre dit des œuvres de la Loi sous leur double aspect cérémoniel et moral, Luther l’accapare en faveur de son enseignement sur l’inutilité de toute œuvre bonne. — Et, de même, si S. Paul insiste sur l’aspect forensique, juridique, donné à la justification, Luther en prend prétexte pour légitimer sa théorie de la justice imputée, quoiqu’il n’y ait pas de lien nécessaire et absolu entre les deux idées (cf. Tobac, Le problème de la justification dans S. Paul, Louvain, 1908). Luther oublie, pour la seule épilre aux Romains, les autres écrits de S. Paul, ou du moins néglige de comparer cette épître avec les autres, d’en confronter la doctrine particulière avec la pensée générale du grand Apôtre, avec celle des Evangiles. On a pu l’accuser d’avoir altéré le texte de Rom. dans les traductions. Ce qui est plus évident, c’est qu’il ne tient pas compte du c. vi de Rom. et des compléments qu’il apporte à la doctrine paulinienne de la justification. Le moins qu’on puisse dire, enfin, c’est que, détournant habilement cette doctrine de son vrai sens, il en l’ait dériver une « scolastique » de sa façon (Cf. A. Sabatibr, L’Apôtre Paul, 3e éd., pp. 310-321). — Quant à l’épitre de S. Jacques, elle le gêne : il en nie, on le sait, l’autheiiticité.

Saint Augustin, par l’ensemble de ses théories sotériologiques, surtout par ses doctrines sur la grâce, la prédestination, le péché original dans son rapport avec la concupiscence — doctrines qu’on ne peut s’empêcher de considérer en fonction des problèmes connexes de la justification et du libre arbitre, — S. Augustin a semblé, plus que S. Paul, offrir quelque abri à la pensée des fondateurs du protestantisme. Calvin fait souvent appel, dans son lnst. chrét., à l’autorité de S. Augustin (notamment à propos de la prédestination)… La Confession d’Augsbotwg (a. 20) lui a même attribué la justification sans les œuvres. — Mais Luther n’avait pas osé faire la même attribution : il s’en consolait en alléguant que S. Augustin se trompe souvent, qu’on ne peut se fier à lui. Aujourd’hui, du reste, on ne songe plus à faire de S. Augustin le père du protestantisme évangélique. Harnaok émimère même (dans sa Dogmengeschichte III, 231-a36) un certain nombre de points doctrinaux par lesquels il lui sem-