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RÉFORME

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grand foyer d’hérésie, le Juche de Prusse. L’ordre Teutonique, appelé en vue de la conversion des peuplades païennes installées au Nord des frontières de la Pologne, au bord de la mer Baltique, se transforma rapidement en une association de chevaliers brigands, luttant avec tous ses voisins par le fer et le feu. La Pologne vainquit à diverses reprises l’ordre Teutonique et occupa ses terres, mais elle ne put l’anéantir, à cause du grand crédit dont il jouissait auprès des princes allemands, de l’empereur et même à Rome. En 15ao, les armées polonaises occupèrent le duché de Prusse pour la dernière fois, mais cette fois encore, le roi Sigismond le Vieux céda à l’intervention des princes allemands et consentit à un armistice de 4 ans. Le dernier Grand-Maître de l’Ordre, Albert de Brandebourg Hohenzollern, profita de la Réforme, et sur le conseil de Luther, se sécularisa. Malheureusement, le roi Sigismond donna son consentement, et en (525, par le traité de Gracovie, Albert fut reconnu prince héréditaire de Prusse, sous la suprématie de la Pologne. Cette principauté fut le germe de la future Prusse, et au xvi* siècle elle devint le foyer de l’hérésie.

IL Caractéristiques de la Réforme polonaise. — i°Ce fut un mouvement plutôt économique et politique ; pour la plupart des protestants polonais, la question de religion n’était que secondaire. La noblesse en général voyait en la Réforme un moyen facile et commode de se soustraire à la juridiction ecclésiastique et de se libérer des contributions au proût du clergé. Le renoncement au catholicisme et la lutte contre l’Eglise ne fut qu’un épisode de la lutte générale pour les libertés et les privilèges nobiliaires. Dès que ce but fut atteint, l’ardeur réformatrice commença soudain à faiblir. Les grands seigneurs polonais considéraient également la Réforme comme une bonne affaire. A l’exemple des princes allemands, ils s’emparèrent des biens ecclésiastiques qui se trouvaient dans leurs domaines, ou qui avaient été abandonnés par les prêtres catholiques passés au protestantisme. C’est pourquoi, dès le début, la Réforme polonaise manquait de ressource ?. Les mêmes magnats qui, avant et après, dotaient généreusement le clergé catholique, cessaient de se soucier de leurs ministres dès qu’ils les voyaient passer au protestantisme. Ces ministres étaient donc misérablement dotés et peu respectés ; leurs puissants protecteurs ne leur garantissaient que l’impunité devant les jugements épiscopaux et ceux de l’Etat, mais ils ne leur assuraient pas l’existence matérielle. — 2° D’où le deuxième caractère de la Réforme polonaise : sa superficialité. Elle faisait plus de bruit qu’elle n’éprouvait de réel souci pour la réforme de l’Eglise. Durant de longues années, le programme de réforme se borna, pour la majorité, à deux questions : le mariage des prêtres et la communion sous les deux espèces. Les questions dogmatiques étaient indifférentes à la généralité de la noblesse protestante ; les disputes ne s’animèrent un peu qu’au moment de l’éveil du mouvement arien (anti-trinitarisme) et à l’arrivée dos Jésuites en Pologne (i 565). Les protestants qui prirent au sérieux la Réforme étaient très peu nombreux. Le plus remarquable d’entre eux fut Jran Laski, neveu de l’archevêque Laski, personnage d’un caractère noble, très intelligent et original, qui peut figurer à côté des grands pseudo-réformateurs, Calvin, Zwingle et Luther, surpassant ce dernier surtout, par sa haute culture intellectuelle. Durant son long séjour à l’étranger, il organisa, suivant ses propres principes et ceux des calvinistes, des Eglises en Frise, en Angleterre, en Danemark et à Francfort-sur-le-Mein ; il travailla ensuite au déve loppement et surtout à l’approfondissement et à la cohésion du mouvement réformateur en Pologne. C’est pourquoi il fut nommé « le père » du protestantisme polonais. Après sa mort, l’hérésie commence à se décomposer de plus en plus en sectes (1560). — 3° Troisième trait caractéristique de la Réforme polonaise : son cours très bénin. La tolérance religieuse, l’aversion pour les guerres de religion et de conquêtes étaient dans les anciennes traditions polonaises. Même les guerres de conquêtes de Boleslas le Grand (983-1035) n’avaient pas le caractère de guerres de religion, visant la conversion des peuplades païennes ; le travail de mission était indépendant de l’action politique. Pour amener à la foi chrétienne les Prussiens, peuplade slave germanisée par l’Ordre Teutonique, le prince de Pologne Leszek le Blanc (1202-1237) désira fonder, dans le pays prussien, une ville commerciale, où les païens pourraient sans difficulté se pourvoir des denrées nécessaires et en même temps entendre des missionnaires, prêchant la religion du Christ. Des tendances libérales s’étaient déclarées énergiquement au Concile de Constance (141’1). où Paul Wlodkowie, recteur de l’académie de Cracovie, parlant au nom du roi, de l’université et des évêques, exposa, sous la forme d’un système accompli, les idées universellement répandues aujourd’hui, mais alors en avance de plusieurs siècles, de tolérance religieuse et du droit des peuples à un libre développement. Ces mêmes idées commencèrent à revivre dans les premiers temps de la Réforme. Non seulement il n’y eut en Pologne aucune guerre de religion, mais même la peine de mort pour hérésie n’existait pas. Les cas de décapitation et de supplice du feu peuvent y être comptés sur les doigts d’une main. La conviction générale était que la peinede mort n’était pas compatibleavec l’idée de religion. Les démarches très énergiques du légat apostolique Lippoman (arrivé en Pologne en 155s), non seulement rencontrèrent une énorme opposition de la part des protestants, mais ne trouvèrent aucun crédit auprès du roi, ainsi qu’auprès des catholiques et des évêques polonais. Quand les lois les plus sévères (exil et confiscation des biens) furent décrétées plus tard contre les ariens, ce furent les luthériens et les calvinistes qui les réclamèrent le plus passionnément ; d’ailleurs cette rigueur s’explique par les tendances des ariens, nuisibles à la société et à l’Etat. Il n’est donc pas surprenant que de nombreux hérétiques d’Occident, chassés de leurs pays, soient venus chercher un asile en Pologne. Outre les Frères Tchèques, exilés de Bohême, les deux Socin (Lelio et Faustin), Bernard Œhin, Stancaro, Alciat, Wergerius, évèquc apostat de Capo d’Istria, et beaucoup d’antres, séjournèrent en Pologne. — 4° Contrairement à ce qui se passa en Occident, la Réforme prit racine et se propagea en Pologne presque exclusivement parmi ta noblesse, classe privilégiée et gouvernante. Sauf dans le duché de Prusse, et la bourgeoisie allemande exceptée, le peuple polonaisresta catholique. Le protestantisme, froid, sans vie, privé de cérémonies religieuses, ne convenait nullement au caractère slave.

III. Cours et développement de la Réforme en Pologne. — L’histoire de la Réforme en Pologne peut être divisée en deux périodes : 1a première, jusqu’à la mort de Sigismond Auguste (1 5^8 — 15^3) et l’élection de Henri de Valois ; la seconde, jusqu’à la chute de l’Etat polonais. Pendant la première période, d’une cinquantaine d’années, le protestantisme croit rapidement et atteint ion apogée ; pendant la seconde, il décline de plus en plus, par l’effet de sa propre impuissance et de la réaction catholique. Dans les pre-