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RÉFORME

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censément à la Réforme, de jeter la Suisse dans la guerre civile. C’est le il octobre 1531 que furent écrasées à Cappel, par des forces catholiques quatre fois supérieures, les armées zurichoises. Zwingli était dans leurs rangs, armé d’un casque et d’un sabre, résolu à combattre. Il fut « d’abord blessé à la cuisse, puis, à ce qu’il semble, abattu d’un coup violent à la tête. Des ennemis en train de piller le trouvèrent le soir, à la lueur des torches, encore vivant. Ils lui demandèrent s’il désirait un prêtre pour se confesser, et connue il faisait signe que non, le capitaine de mercenaires Voekinger, d’I’nterwald, s’approcha de lui et lui perça la gorge de son sabre. Il mourut du coup… Le joui" suivant, en vertu de la sentence du tribunal de guerre, son cadavre fut écartelé par le bourreau, puis, à teneur dudroit impérial auquel on se référait, brûlé comme celui d’un hérésiarque » (DlKllvl’EH, 1. C., III, p. 207).

Mais grâce à Zwingli et à Zurich, la Réforme était implantée déjà dans une grande partie de la Suisse orientale et centrale. Par Berne, qui l’utilisait comme un moyen de domination politique, elle passa à l’occident, couvrit le pays de Vaud et gagna Genève. Le 21 mai 1536, le peuple de Genève assemblé en Conseil Général résolut de vivre dorénavant selon la loi évangélique, de délaisser messes, cérémonies et « abusions papales ». Quelques mois plus tard, Calvin entrait dans la ville, qu’il allait façonner en « Rome protestante ». Nous n’avons pas à dire quel y fut son succès. Ce travail a été fait par M. Georgks Goyau, dans son livre sur Genève Ville-Eglise, avec une maîtrise d’historien qui n’a laissé aux adversaires qu’une issue, celle de protester contre le point de vue catholique de l’auteur.

II. Le protestantisme suisse contemporain. — Le recensement de 1910 donne pour la Suisse : population 3.753.293, protestants a. 107.814. catholiques i.5y3.538. Celui de 1920 (quelques totaux sont approximatifs ) : population 3.880.320, protestants 2.229.147, catholiques 1.585.463. Il est bien difficile de caractériser le protestantisme suisse : les églises d’Etat ont pris des nuances propres dans chaque canton, les sectes les plus diverses se sont beaucoup multipliées, l’indifférence religieuse a envahi inégalement les populations. On pourrait dire cependant que, dans l’ensemble, le protestantisme suisse est, depuis Zwingli et Calvin, resté presque confondu avec la vie politique de la cité, avec le patriotisme, et qu’il se distingue du luthéranisme, par exemple, ou de l’anglicanisme, par son horreur séculaire de la hiérarchie, la sévérité rigide de ses cultes liturgiques. Essayons de donner un aperçu des tendances plutôt que des doctrines, usages ou états, d’un protestantisme qui met de plus en plus sa gloire à chercher toujours sans jamais trouver.

F La vérité révélée. — Le symbole des Apôtres, si longuement commenté par Calvin, est encore récité dans plusieurs églises — on y a remplacé le mot Eglise catholique par celui d’Eglise universelle, — mais il s’effrite de plus en plus dans le cœur des gens d’étude, et même des masses. Dans l’Eglise nationale vaudoise, sa lecture n’est plu-^ M> ! ’gatoire, même pendant les cultes nationaux. L’Eglise nationale protestante de Genève « place à la base de son enseignement la Bible librementétudiée à la lumière de la conscience chrétienne et de la science. Elle fait un devoir à chacun de ses membres de se former des convictions personnelles et réfléchies ». De plus en p lus ou vertement, sous l’influence de Schleiermacher, on explique que les articles de foi doivent être considérés comme dépourvus de. toute valeur objective de signification, et comme la simple nota-Tome IV.

tion provisoireet utilitaire del’expérience religieuse. Tout ce qui surnage dans ce naufrage est, en effet, la doctrine d’une expérience religieuse, d’une religion sans intermédiaire, d’un sentiment d’absolue dépendance de la conscience individuelle vis-à-vis de Dieu ou de l’Absolu. Et l’on n’essaie même plus de déterminer ce qu’il faut penser de Dieu.

La doctrine des Réformateurs sur l’inspiration subjective a conduit rapidement à la théorie de la Révélation purement subjective. A la question de savoir si, au cours de l’histoire, Dieu s’est révélé non seulement du dedans, au cœur de l’homme, mais du dehors et de manière à frapper les sens, de plus en plus on répond négativement. Le dogme de la théopneustie, si longtemps conservé, est en train de se fondre dans la notion d’une inspiration prise au sens large et comparable àcelles des poètes. Dans l’Eglise nationale de Genève, on ne « voit pas aujourd’hui, dit un pasteur, un seul pasteur croyant à l’inspiration littérale des Ecritures ». — H est des pasteurs pour qui Noël reste Noël, c’est-à-dire la naissance de l’Enfant-Dieu, consubstantiel à son Père. Mais pour beaucoup, Jésus n’est plus qu’un prophète que suscita l’Eternel. Ils ne croient plus à sa préexistence. Rien ne leur permet d’affirmer qu’en temps voulu Dieu ne fera pas naître un personnage comparable à Jésus-Christ. Ils continuent néanmoins à parler de la divinité du Messie qui, pensent-ils, s’élevant progressivement à la sainteté, serait devenu véritablement le Fils de Dieu par la pureté de sa vie, par la sublimité de son caractère, par son abnégation, par l’amour qu’il a porté à tous les hommes.

— L’effondrement de la croyance en une Révélation venue du dehors a pour conséquence l’efifondrement de la croyance aux miracles. Ils n’ont désormais plus rien à faire dans l’économie chrétienne, ils n’apparaissent plus que comme des actes « magiques », qui relèvent de la fable et du merveilleux. — Toute la doctrine des Réformateurs sur Jésus, sa divinité, est donc abolie. « Si les formules des grands conciles œcuméniques, dit un pasteur, nous sont deveuues étrangères, il en est de même de plus d’une représentation religieuse de nos Réformateurs. » Cependant beaucoup d’expressions chrétiennes sont conservées. On parle de l’Incarnation, de ladivinité de Jésus, de la Rédemption, de la résurrection de Jésus, du salut, de la grâce. On affectionne même ces mots, qu’on a rendus équivoques et qui sont devenus aptes à satisfaire en même temps la conscience libérale des théologiens et la foi conservatrice de plusieurs auditeurs. — L’abandon de la révélation évangélique entraîne de profondes perturbations dans la doctrine de Dieu. Non seulement beaucoup ne croient plus à la Sainte Trinité, mais ils n’acceptent les notions de création etde providence que dans la mesure où elles s’accommodent d’un évolutionisme panthéistique ou agnostique. La croyance en la vie future est presque partout reçue, mais celle en la résurrection des corps s’évanouit peu à peu. En outre, de la négation d’un purgatoire, incompossible, disait Calvin, avec la miséricorde de Dieu, on a passé, pour le même motif, à la négation de l’enfer. Peut-être la mort anéantira-t-elle les mauvais ? peut-être d’autres existences leur seront-elles offertes jusqu’à leur amendement plénier ?

Le protestantisme est cependant demeuré fidèle sinon à la lettre, du moins à l’esprit de la Réforme. L’esprit de révolution contre la vérité révélée est, en effet, la seule continuité doctrinale qu’il puisse légitimement revendiquer. Près du lieu où fut brûlé à Genève Michel Servet, un bloc de granit porte cette inscription qui renferme tout le Credo protestant, — ce n’est pas long :

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