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REFORME


raison, disait-il en visant Schinner, « de porter des chapeaux et des manteaux rouges ; car lorsqu’on les secoue il en tombe dos ducats et des couronnes ; mais quand on les tord, il en découle le sang de ton (ils, de ton frère, de ton père et de ton ami ». Le Conseil de Zurich se composait alors d’une majorité droite de nobles et de hauts bourgeois pensionnés, et d’une gauche nationaliste qui cherchait vaguement à ré’.ablir les mœurs du « bon vieux temps ». Le parti nationaliste manquait de chef ; Zwingli allait s’imposer. En même temps qu’il prenait une conscience plus nette des périls dans lesquels le service mercenaire pouvait jeter la patrie suisse, et que se dessinait dans son esprit le plan d’une restauration nationale, Zwingli, par influence de l’humanisme, perdait de plus en plus gravement l’intelligence de l’œuvre du Christ, l’Eglise. Dès lors, les prétextes qu’il lui était facile de tirer des abus et des péchés, — il y avait hélas ! des abus et des péchés, autour de lui et… en lui, — avaient de plus en plus, à ses yeux, figure de raisons valables, et il en venait rapidement à s’attribuer la mission de faire progresser l’humanité en substituant à l’ordre de l’Eglise, dont il avait détaché son cœur, l’ordre de l’Etat où il en avait mis la meilleure part. Dire les attaques de Zwingli contre l’Eglise, ce serait presque refaire l’histoire des erreurs de Luther. Mais où Luther restait en chemin, Zwingli, dont Bossuet a écrit qu’ « aucun des prétendus Réformateurs n’a expliqué ses pensées d’une manière plus précise, plus uniforme et plus suivie », s’efforçait d’aller jusqu’au bout. Il eut cependant toujours de la difficulté à convenir de ce qu’il devait à Luther.

Il s’offusqua du culte des saints et des images, des processions, des pèlerinages, des jours fériés et, en général, des sacramentaux. Il alla jusqu’à bannir le chant des églises, jusqu’à n’utiliser pour la Cène que des coupes et des plats de bois. La logique de ce mouvement le portait à méconnaître les sacrements eux-mêmes. La Confirmation, l’Extrême-Onction, le Baptême ne lui parurent plus que de pieux usages. L’Ordre fut supprimé. Dans la dispute sur la Présence réelle il devait prendre, contre Luther, le parti de Ivarlstadt, et devenir rapidement le chef des sacramentaires, qui s’appelèrent zwingliens. On sait que le landgrave Philippe de Hesse ménagea à Marbourg, le I er octobre 1522, une rencontre de Luther avec Zwingli, du protestantisme allemand avec le protestantisme suisse. Quand la discussion en vint à l’Eucharistie, Luther écrivit à la craie sur la table les mots : a Ceci est mon Corps ». Zwingli lui opposa ceux de saint Jean : « La chair ne sert de rien », en

  • tfcutant : « Voilà un texte qui vous rompt la nuque ». Luther s’emporta et Zwingli, qui n’était pas en

Suisse, dut adoucir la voix. Mais il refusa jusqu’au bout de transiger. On ne s’était point encore avisé que les « formules » importent peu et que la « sincérité » suffit.

Le pouvoir de magistère de l’Eglise ne fut pas renié moins énergiquement par Zwingli que par les autres humanistes réformateurs. Sous couleur de retourner aux Pères et à la Bible, on se libérait avec entrain de l’enseignement dogmatique contemporain. Il en résulta qu’on de sut bientôt plus distinguer entre Platon et les prophètes, entre la philosophie spiritualiste et la Révélation évangelique. D’où le zèle de Zwingli à mettre pêle-mêle dans la vie éternelle, comme on sait, Jésus-Christ, Adam, la Vierge-Mère, Hercule, Socrate…

Mais ce fut au sujet du pouvoir de juridiction que Zwingli commença à rompre publiquement avec l’Eglise. Pendant le carême de 1522, un imprimeur zurichois, avec plusieurs de ses compagnons, avait

enfreint ouvertement les ordonnances ecclésiastiques sur. l’abstinence. Zwingli prit parti pour les coupables dans un sermon sur le choir et la liberté des aliments, qu’il fit ensuite imprimer. Malgré les exhortations de l’évêque de Constance, le Conseil de la ville se rangea du côté de Zwingli et ordonna de ne prêcher « que ce qu’on pouvait fonder sur l’Evangile ». En juillet de la même année, Zwingli adressait, avec une dizaine de prêtres, une supplique à l’évêque de Constance pour demander l’abolition du célibat. Elle fut repoussée. Mais en cet été, Zwingli épousa secrètement la veuve Anna Reinhard ; elle demeurait alors près du presbytère, où deux ans plus tard elle devait entrer publiquement.

Enfin, le 29 janvier 1023, Zwingli, qui se sentait assez fort, exposa en 67 articles un programme de réforme selon l’Ecriture, qui fut ollieiellement accepté et imposé par le Conseil de Zurich. « Aucune autorité civile, ni en Suisse ni en Allemagne, écrit Dierauer, n’a introduit de si bonne heure le principe scripturaire ». Et, en effet, si la Réforme de Zwingli ressemble à celle de Luther, il est un point cependant où elle se montre originale. Luther, comme Zwingli, opposait le Christ à l’Eglise romaine et prêchait un christianisme qui, religieusement, était inorganique. Mais tandis que Luther, trop occupé de révolutionner la religion, laissait aux princes allemands la charge de régir les nouveaux fidèles, Zwingli, qui avait le goût des choses de la politique, fut, dès le début, soucieux d’organiser politiquement la Réforme. Le désarroi du gouvernement ecclésiastique avait d’ailleurs, en bien des cantons, fourni à l’autorité civile un prétexte de s’ingérer dans l’administration des choses religieuses. L’Eglise avait dû consentir à l’abandon de certains de ses droits. A Zurich par exemple, l’Etat avait obtenu de Sixte IV, en 1/179, le privilège de nommer aux charges des trois principaux couvents. La Suisse s’était accommodée d’un faux nationalisme, dont Zwingli sut flatter les insubordinations. Il prêchait un christianisme inconsistant, dépouillé de toute structure propre ; il lui donna comme soutien la structure même de l’Etat.

« Dans les thèses qu’il avait rédigées pour la première

dispute de Zurich avec l’assentiment du Conseil, Zwingli avait fixé avec une précision tranchante les nouvelles normes religieuses. L’Evangile a force de loi, sans avoir besoin d’être accrédité par l’Eglise. Le souverain pontife, le guide, le chef est le Christ. Il est le seul intermédiaire entre Dieu et les hommes ; le salut ne réside que dans la foi en lui. Toutes les institutions romaines : papauté, messe, intercession des saints ; les prétendues bonnes œuvres : jeûnes, fêtes religieuses, pèlerinages, les habits ecclésiastiques, la tonsure, le vœu de célibat, doivent disparaître. La puissance ecclésiastique n’a aucun fondement dans la doctrine du Christ ; mais la puissance civile, au contraire, tire de cette doctrine sa force et sa légitimité ; tous les chrétiens lui doivent obéissance, pour autant qu’elle n’ordonne rien qui soit contraire à Dieu. » (Dieraubu, Histoire de la Confédération Suisse, III, p. 48). Le même auteur ajoute :

« Une Eglise nouvelle, dirigée par l’Etat, une théocratie

chrétienne, était instituée, qui tirait sa légitimité de la décision souveraine du peuple. Comme un prophète de l’Ancien Testament, Zwingli se tenait aux côtés des magistrats pour les exhorter et les avertir. »

La force de l’Etat allait permettre à Zwingli de réprimer initinlement les doctrines anarchiques que les anabaptistes ou les paysans tentaient de propager au nom de la Bible et de la liberté évangelique. Elle allait lui permettre encore, puisque les premiers I cantons, demeurés catholiques, s’opposaient vigou »