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RÉFORME

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reur. Peu après, l’Electeur de Saxe et le Landgrave de Hesse prenaient l’initiative de la fameuse Ligue de Smalkulde (27 février 1531), dont l’importance venait moins du nombre de ses adhérents, que de leur variété de rang et de croyance etde leur situation géographique. On y voyait pèle-mêledesprincesavec des villes, des Luthériens avec des Zwingliens, des souverains du nord et du sud, de l’est et de l’ouest. La ligue formait un Etat dans l’Etat, elle recevait de§ envoyés étrangers et en expédiait elle-même au dehors. L’Allemagne était coupée en deux. Luther, que les Allemands vénèrent comme un de leurs grands hommes, a brisé l’unité allemande, accentué le particularisme, favorisé l'étranger, notamment la France, provoqué à distance les effroyables guerres de religion qui devaient si profondément ruiner l’Allemagne. Il s’est servi desprinces. Mais lesprinces se sont encore davantage servis de lui.

Un des faits les plus connus, à ce propos, est celui du Landgrave de Hesse arrachant à Luther l’autorisation de vivre dans la bigamie. Luther essaya d’abord de résister. Il craignait le scandale. Il demanda au Landgrave le secret le plus absolu. La Bible en main, il croyait pouvoir autoriser le second mariage désiré par le prince. Il espère cependant qu’une discrétion convenable couvrira son approbation. Le mariage est célébré le 4 mars 1540, en présence de Mclanchthon. Mais bientôt le scandale éclate. La Chambre impériale s'émeut. Les lois d’empire interdisent la bigamie sous peine de mort. Mélanchlhon s'épouvante. Il en tombe malade de chagrin et de frayeur. Mais Luther rit de sa peine. Il sait que le Landgrave est un personnage trop important pour qu’on y touche, et il dit un jour à sa table : « Pourquoi ce bon Philippe [Mélanchthon] se tourmente-t il à ce point ?… Moi, je suis endurci, je suis un rustique et rude Saxon I… Comme nos papistescrieront ! Maisqu’ils crient, c’est pour leurpropre ruine ! … Si nous avons desscandales, le Christ en a eu aussi… » (Voir Cristiani, Les Propos de table de Luther, dans Revue des Questions historiques, 1912.)

On voit de quelle nature fut en général l’intervention de Luther, dans le domaine de la politique. Sa vie personnelle est celle d’un professeur d’Université, qui fait régulièrement ses cours à Wittemberg, publie une grande quantité d’ouvrages (la liste de ses œuvres, dressée par le P. Sinthriin, pour l’ouvrage du P. Grisar, compte 426 numéros, de 1510 à 1546) et s’entoure de nombreux et enthousiastes disciples. II loge au Couvent noir, l’ancien couvent des Augustins, dont l’Electeur lui a fait cadeau. L’avaricieuse Catherine dirige son intérieur, nourrit à sa table des pensionnaires moyennant finances, et se mêle parfois auxdiscussions théologiques, soulevées pendant le repas. Les Propos de table nous renseignent admirablement sur la nature des conversations qui assaisonnent les banquets de famille. C’est -là qu’il faut chercher le portrait de Luther.

IX. Portrait de Luther. — Pendant des siècles, catholiques et protestants ont puisé à l’envi dans l’arsenal des Propos de table des arguments pourou contre Luther. Les protestants ycherchaient surtout les récits que Luther aimait à faire de ses souffrances intimes sous le joug étouffant de la discipline catholique. Les catholiques y trouvaient matière à scandale dans les trivialités, les grossièretés, les calomnies dont ce recueil est plein. Aujourd’hui, en face des cahiers originaux et authentiques, dont la collection des Propos de table fut primitivement formée, notre curiosité va surtout au Réformateur lui-même, aux sentiments qui l’animent, aux pasTome IV.

sions qui l’agitent, aux mobiles plus ou moins élevés qui le guident, à son caractère et à son àme, en un mot. Sans douteon doit se rappeler sans cesse la nature spéciale de ce genre de documents. Ce sont I des Propos de table. Or, après avoir été pendant des heurespenchésurson travail, à sa table derédaction, après avoir porté tout le jour le fardeau des préoccupations et des soucis que lui donne l’avenir de son Eglise, après avoir enseigné, prêché, discuté, combattu, en lutteur infatigable et obstiné, contre ses nombreux adversaires : papistes, sacramentaires, anabaptistes, calvinistes, le Réformateur éprouve le besoin, cela se comprend, de se détendre et de se reposer l’esprit en « 'asseyant parmi ses hôtes et ses disciples. Nous ne serons donc pas trop surpris du ton souvent enjoué et plaisant qu’il prend pour parler des choses les plus sérieuses. Dudoublepenchant qui le pousse et à traiter des sujets qui lui tiennent le plus au cœur et à échapper un instant au poids des affaires, résulte, dans ses Propos de table, un curieux mélange de comique et de grave, de badin et de mystique, de risible et d’austère, qui heurte parfois violemment notre goût de la mesure et des convenances, et qui nous choque par une absence presque totale de délicatesse, de tact et de dignité. Ce n’est pas ainsi, à coup sûr, que l’on se représente un Réformateur, un nouvel « Evangéliste », un autre « saint Paul », un « Elie », ainsi qu’il s’appelait lui-même, ou se laissaitappeler par ses admirateurs (voir Grisar, Luther, II, 660).

Mais ce qu’on trouve là, en un relief saisissant de vie et de vérité, c’est ce que les Allemands ont souvent appelé le type parfait de l’Allemand, — kerndeutsch, comme ils disent, — c’est-à-dire un -homme plein de sève et d’entrain, qui cache sous une enveloppe de bonhomie d’ordinaire très gourmée et pour ainsi dire rengorgée, une sensibilité excessivement irritable et comme un remous perpétuel d'émotions et de pensées, tour à tour violent et calme, menaçant et enjoué, sérieux et plaisant, terrible et attendri, renfrogné etexubérant, toujours un peu rustique, souvent grossier et mal élevé.

Le plus habituellement, il pontifie. Il apparail à sa table, le front lourd de soucis et de réflexions. Tout le monde respecte son silence. Soudain, il amorce la conversation. Chacun des convives parle à son rang, suivant son grade et son importance. Chacun d’eux attend le moment que la hiérarchie lui assigne pour lâcher son petit mot.

Il faut voir dans Mathbsius le récit de ces repas, l’empressement, la curiosité, l’admiration naïve des disciples, le soin avec lequel ils relèvent les moindres paroles du Maître. Dès qu’il daigne descendre de sa solennité un peu distante, dès que la glace est rompue, quelles aubaines pour ses jeunes pensionnaires. Il » saisissent leurs plumes, leur cahier de notes, ils oublient de manger, et furtivement, hâtivement, sur le coin de la table dont ils occupent le bout inférieur, ils notent à la volée ce qu’ils entendent, les discours, les plaisanteries, les sentences, les décisions de l’oracle infaillible. Le sujet qui domine dans ces conversations, c’est la haine du Pape. Celte haine fut la passion dominante de Luther. A propos de tout et de rien, il tonne contre le pape. On sait qu'étant tombé malade à Smalkalde, en 1 537, il ne trouvait pas de recommandation plus pressante à faire aux siens, en une minute qui pouvait être la dernière de sa vie, que cette recommandation forcenée : fmpleat vos Dominus odio papæ ! On sait aussi que l’un de ses derniers ouvrages, en 15/|.">, avait pour titre : Contre la Papauté fondée à Rome par le diable.

C’est ce livre qu’il faut lire pour se rendre compte

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