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POSITIVISME

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a passé dans les mœurs. C’est selon cette double donbée morale que nous interprétons les principes posiivistes. Mais par eux-mêmes ces préceptes sont dépourvus de toute base, de toute ellicacité, de toute sanction. Dans le grand classeur positiviste, les étiquettes restent ; les fiches sont vides.

Nombre de positivistes indépendants en appellent à la morale de la Solidarité : solidarité est un mot d’une allure plus scientifique que celui d’altruisme. Mais du fait que nous dépendons les uns des autres, que les vivants dépendent des morts, que les générations futures dépendent des générations présentes, comment, dans la doctrine positiviste, passer au principe que nous devons régler notre conduite de façon à faire servir cette interdépendance au bien d’autrui et des générations à venir, et non la tirer à notre profit ? Nous sommes tous liés à une chaîne. Chacun peut-il tirer à soi ou doit-il céder à autrui ? Qui décidera ? Ce ne sera pas le positivisme avec ses lois d’ordre mécanique. Tous les programmes de morale positiviste sont des programmes de gens qui vivent de mots reçus. Mots vides et stériles : toute morale positive étant logiquement, selon le terme au moins sincère employé par l’un d’eux (Jban Marir Guyau, i 85^- 1 888), une morale sans obligation ni sanction.

C’est encore l’esprit positiviste qui a amené à remplacer la morale par la Science des-mœurs. La science n’a d’autre fonction que de connaître ce qui est. Elle tend à la découverte des lois, mais ces lois ne sont que les relations constantes qui existent entre les phénomènes. Ainsi est bien, c’est-à-dire est en conformité avec notre nature, ce qui se fait communément à un moment de l’histoire et en une portion de l’espace. Les conditions physiques et sociales commandent notre conduite et en font la moralité. (L. Liîvy-Bruhl, La Morale et la Science des Mœurs. Paris, 1903. Cf. Etudes, ao mars 1904, p. 837-840) Même inspiration chez Emile Durkhbim (18.S8-1917). La « physique sociale » d’Auguste Comte commande toute la morale sociologique. (Voir Année sociologique et Espinas, Des sociétés animales, a* édition, Paris, 1878.) Le social absorbe la morale. Au commencement était le social et le social est tout le moral. Tout ce qui est obligatoire est d’origine sociale, ce qui veut dire que le devoir est un produit social, un produit humain.

Le qualificatif dont on aime surtout à décorer la morale positiviste est celui de morale indépendante. Terme d’un son étrange, dans une doctrine qui proclame précisément la dépendance mutuelle de toutes les sciences, et en particulier la dépendance de la morale à l'égard de la biologie ou de la physique sociale. Mais sans doute, on veut faire entendre par là que la morale nouvelle sera soustraite à toute notion métaphysique, à l’idée de Dieu. On accepte que la morale nous soit dictée par des instincts que nous avons communs avec les animaux, pourvu qu’elle ne soit pas dictée par Dieu. Nous touchons ici au vice radical du positivisme.

Doctrine areligieuse. — Le caractère propre du positivisme, son essence, est, nous l’avons vu, d'écarter du champ de la recherche toute notion de substance et de cause, comme inaccessible, inconnaissable, invérifiable, puis de construire tout le savoir humain sans tenir compte de ces notions de substance et de cause, bien plus, comme si elles ne répondaient à aucune réalité. Le positivisme se présente ainsi comme une immense entreprise d’organiser le savoir, et ce qui en dépend, la vie individuelle, la vie domestique, la vie sociale, en dehors de toute donnée spirituelle, conséquemment en dehors de toute idée religieuse, en dehors de l’idée de Dieu. C’est une entreprise de laïcisation, mot bar bare dont la fortune répondau succèsdu positivisme.

Ce sera l’irréligion non point toujours agressive,

elle le sera chez les matérialistes déclarés, et même chez les positivistes à certaines heures d’effervescence ou d’appréhension, témoin nombre de discours prononcés ou d’articles écrits en 190a pour l’inauguration de la statue d’Auguste Comte, à Paris, — mais l’irréligion par omission, par prétérition, avec, facilement, une nuance de dédain à l'égard d’une période théologique qu’on a dépassée, de besoins mystiques qu’on laisse aux faibles. Ainsi le positivisme se résout en un athéisme pratique. Eliminant Dieu des préoccupations humaines, il laisse vide dans la vie toute la place qui revient à Dieu ; en même temps, il la coupe de toute communication avec Dieu au point de départ et au point d’arrivée. Désert sans issue, sans lointain horizon ; plutôt basse-fosse.

Une des formules les plus populaires du positivisme moderne s’exprime en ces mots par lesquels Protagoras commençait le livre qui le fît chasser d’Athènes : « Quant au dieux, j’ignore s’ils sont ou ne sont pas. » (E. db Roberty, La Philosophie du siècle. p. a5)

Sans doute, cédant à un invincible instinct, l’homme, au moment même où il écarte Dieu, cherche à se refaire une religion et un culte. Pour beaucoup de positivistes indépendants, la divinité, ce sera la Science, ou la Raison, ou le Progrès, ou la Nature. Les positivistes orthodoxes, surtout les disciples d’Auguste Comte, remplaceront Dieu par l’Humanité, soit qu’ils se contentent d’un vague idéal de solidarité, soit qu’ils adoptent le credo du maître et ses pratiques rituelles. Mais alors on arrive à cette conception étrange d’une religion sans Dieu, c’est-à-dire sans principe dernier et suprême. A l’Etre transcendant, on substitue une création de l’esprit, une abstraction qu’on érige en personne. Ainsi dans cette religion, il n’y a point d’adoration, rien de l’hommage de totale soumission dû à l’Etre premier et créateur. A réaliser cette divinité abstraite, Humanité, Science, Progrès, chacun travaille pour sa part. Le Dieu des positivistes, si Dieu il y a, est dans un perpétuel devenir, et c’est la tâche de chaque homme d’en réaliser un degré.

Conséquemment, dans le positivisme, rien non plus de cette vie religieuse intime par laquelle nous nous efforçons de nous unir au principe même des choses, de cette vie qui approfondit et qui élargit l'âme du croyant, qui, chez les saints et les mystiques, l’ouvre déjà comme jusqu'à l’infini. On trouvera peut-être des élans de philanthropie et d’altruisme, une ardeur vers le Progrès ou la Science, dignes d'éloge. Mais cette activité restera captive en de certaines limites, que l’homme obéissant à sa vraie nature sent, au moins parfois, la possibilité et le besoin de franchir.

Totalement encore le positivisme s’oppose au catholicisme. Les notions de chute, de rédemption, de relèvement et de persévérance par la grâce, d’expiation et d’intercession, ne trouvent aucun point d’appui dans son naturisme et son rationalisme. Des catholiques ont été frappés par des ressemblances entre certaines assertions positivistes ( « vivre pour autrui », «. l’amour pour base »)etla doctrine catholique, entre les rites positivistes (prières, commémoraisons, sacrements) et les pratiques catholiques. Il est permis d’en tirer un argument ad hominem, une indication ou une confirmation en faveur de notre foi. On peut montrer que le positivisme, qui prétend remplacer le catholicisme, n’a le plus souvent trouvé rien de mieux que de s’en inspirer ou de le démarquer. Longue aussi est la série des hommages rendus par Auguste Comte à la grandeur et à la sagesse des institutions catholiques :