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REFORME

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Les rares documents qui nous restent de la main de Luther, entre 1508 et 1510, semblent prouver i° que les docteurs nominalistes l’ont conduit dès cette époque à l’agnosticisme et au fidéisme, qu’il gardera toute sa vie ; 2° qu’il a un véritable dégoût de la philosophie. Elle paiera cher un jour l’ennui qu’elle lui a causé I

III. Le voyage â Rome. — Martin Luther ne croyait plus au pouvoir delà raison, mais il croyait encore à celui de la volonté. Les doctrines occamistes étaient résolument volontaristes. On peut dire qu’elles se plaçaient à la frontière la plusvoisine du semipélagianisme. L’évolution de Luther va consister à désespérer de la volontécomme ses maîtres désespéraient de l’entendement humain, à nier le libre arbitre comme ils niaient les aptitudes métaphysiques de l’intelligence.

Le point de départ de cette évolution, c’est une obsession continuelle du péché qui poursuit le malheureux moine. Dès qu’il commence à écrire, cette obsession apparaît sous sa plume. Il parle avec terreur de « la chair désobéissante, furieuse, soulevée contre l’esprit » (Annotations marginales de Luther au Livre des Sentences de Pierre Lombard, Œuvres, édition Weimar, IX, p. 74. 76, années 1510-1511). Les expressionsdece genre reviennent constamment sous sa plume. Elles apparaissent dès 1009. A cette date, Luther a quitté Wittemberg pour revenir à Erfurt (automne 1500,). Il y professe sur le Livre des Sentences de Pierre Lombard. Un an plus tard, il part pour Rome, en qualité de délégué des couvents de la stricte observance qui proteslentcontre un projet élaboré par Staupitz, vicaire-général de l’Ordre pour la Saxe. Il partit à pied avec un autre frère. Son séjour à Rome fut d’environ un mois. Luther a parlé plus tard de ce voyagecomme d’un événement capital de sa vie. En réalité, il ne dut voir que bien peu de chose et on ne constate aucun changement dans ses idées, à l’égard de la hiérarchie ecclésiastique, à la suite de cette mission. L’absence de Luther dura de novembre 1510 à février ou mars1511. Peu après son retour, il abandonnait le parti de l’Observance, qui l’avait délégué à Rome, pour se rallier à celui de Staupitz, et il fut rappelé à Wittemberg. L’année suivante, il subit avec succès les épreuves du doctorat en théologie ( 1 8- 1 g septembre 151a) et fut chargé officiellement d’une chaire d’études bibliques (leciura in Biblia). Il occupa cette chaire presque jusqu’à sa mort. Ce qui prouve que son voyage à Rome n’a pu qu’accroître son attachement à la foi traditionnelle, c’est l’aveu qu’il en faisait vingt ans plus tard : « A Rome, disait-il, j’ai parcouru dans ma démence toutes les églises et toutes les cryptes ; je croyais tous les mensonge » que l’on y débitait. » (Com. des Psaumes, 1530, Weimar, XXXI, 1, page 226.)

IV. Vers l’hérésie. — Si Luther avait quitté le parti de l’Observance, ce n’était pas par mépris de la règle ni par désir de s’en affranchir. On peut admettre qu’il lui en coûtait de se trouver en opposition avec Staupitz, son vicaire-général. Dans son Commentaire du Psautier (Dictata in Psulterium), qui est de 1513-1514, il s’élève « contre les orgueilleux en sainteté et en observance qui détruisent l’humilité et l’obéissance > (Weimar, IV, 313). L’aigreur que ses lettres d’alors manifestent à l’égard des frères d’Erfurt permet de croire que cette allusion est dirigée contre eux (nié par Kawbrait et Henri Strohl ; voir ce dernier : L’Evolution religieuse de Luther jusqu’en 151f>, Strasbourg, 1922. p. 130).

On trouve souvent des attaques contre les Obser vantins, dans leCommentaire du Psautier, de 15131ôi 4- H les appelle « les petits saints d’oeuvres », les « justitiaires ». Il leur oppose PAumi/i/é, qui seule justifie : t A celui qui se regarde comme pécheur et s’humilie devant Dieu, Dieu donne sa grâce. » Il explique ainsi sa théorie : « II est impossible que celui qui confesse ses péchés ne soit pas juste, puisqu’il dit la vérité. Car où est la vérité, là est le Christ », explication un peu enfantine, qui supprime l’efficacité de l’absolution.

Le sentiment du péché continue à hanter l’esprit de Luther. Déjà, à cette date (1513-1514), il lui échappe de dire que « nous péchons toujours », que

« nous sommes toujours impurs », que « toute justice

du moment présent est péché par rapport à celle qui doit lui succéder au moment suivant » ; mais ce sont là de simples hyberboles, car Luther aime à outrer son langage. Sa pensée toutefois demeure à peu près orthodoxe, il distingue encore la concupiscence du péché originel, il oppose le sentir au consentir. Il trouve cependant que la concupiscence est quelque chose de terrifiant : « Les passions de colère, d’orgueil, de luxure, écrit-il, sont regardées comme faciles à vaincre, de loin et par les gens sans expérience. Mais de près, on les sent très difficiles et même insurmontables, comme V enseigne V expérience. « (Voir Schbel, Dokumente zu Luthers Entwicklung, Tubingue, 191 1, p. 87, — Weimar, IV, 207)

Après avoir commenté les Psaumes, Luther fit son cours sur Yépttre aux Romains, de saint Paul. C’est alors qu’il versa complètement dans l’hérésie, mais ce ne fut pas par une révolte consciente et voulue contre la doctrine de l’Eglise. Son hérésie demeura longtemps purement matérielle. La confusion doctrinale, créée parla querelle des anciens (thomistes et scotistes) et des modernes (occamistes) et par la guerre entre la théologie positive et la théologie scolastique, était alors très grande. La formation de Luther était fort incomplète. Sa tendance à interpréter les textes en fonction de ses expériences intimes, — et même de ses expériences physiologiques,

— s’accentuait d’année en année. Il a raconté, dans la préface de l’édition de ses œuvres, en 1545, que l’instant décisif dans son évolution avait été celui où, par une soudaine illumination, il avait compris que le mot de saint Paul, dans l’épître aux Romains : la justice de Dieu est révélée dans l’Evangile, ne parlait point de la justice qui punit qustice active) mais de la justice qui absout qustice passive) et qui confère la justification. Il datait cette découverte de 151g. Il affirmait que nul docteur avant lui, sauf saint Augustin, n’avait interprété ce passage dans ce sens. Le P. Dbniplb a prouvé au contraire que « pas un seul écrivain catholique, depuis l’Ambrosiaster jusqu’à Luther, n’avait entendu ce passage de saint Paul dans le sens de la justice divine qui punit, dans le sens d’un Dieu irrité, et que tous, au contraire, l’avaient entendu de Dieu qui justifie, de la justice obtenue par la foi » (Voir Dkniplk, traduction Paquier, Paris, 1913, II, 366et s.). Le savant dominicain n’hé « it « H pas à conclure : « Les théologiens protestants se trouvent donc en face de cette alternative : Ou Luther n’a pas lu un seul des écrivains catholiques qui avaient interprété ce texte, et alors il porte sur eux un jugement inconsidéré, en pleine ignorance de cause ; ou, ce dont il est assez coutumier, il a caché la vérité de propos délibéré. » Ou ignorant ou menteur. Le dilemme était rude. Les écrivains protestants ont cherché à l’éluder. Ils ont supposé une erreur de mémoire chez Lutin r, ou une simplification excessive des for mules employées par lui pour marquer ses différences avec le catholicisme. L’un d’eux cependant, M. H. Strohl, reconnaît que Luther