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REFORME

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messes de secours qui lui vinrent de Sickingen et de Silvestre deSchauniberg. La chevalerie allemande est alors passionnément antiromaine. Tout ce que l’Allemagne compte d’humanistes plus ou moins vagabonds, tels qu’un Ulrich db Huttbn ou un CnoTcs Rubianus, est sûr de trouver appui et refuge dans les burgs féodaux, où les orgueilleux et rudes Junker, dont le fameux Gœtz von Bbrlichingbn est le type achevé, sont perchés comme des aigles, toujours prêts à fondre sur la proie qui passe à leur portée. On trouvera ces nobles dans tous les soulèvements, ils prendront part à toutes les curées et fourniront notamment le contingent le plus actif pendant les guerres de religion qui bientôt vont commencer.

c) Le peuple. — Au-dessous des deux prolétariats qu’on vient de signaler, végétait encore un prolétariat plus misérable, celui des paysans, celui du peuple durement opprimé et foulé, celui des ouvriers des villes. En entendant parler d’Evangile, de réforme chrétienne, ces malheureux tendront l’oreille, ils croiront le moment venu de faire entendre leurs revendications séculaires. De hardis prédicants s’adresseront à leurs passions, à leur désir trop légitime de justice sociale. L’affreuse Guerre des Paysans sera une tentative désespérée, de leur part, pour secouer leur joug de misère. Mais alors ils verront Luther, en qui ils avaient placé toute leur confiance, les repousser avec rudesse et approuver, bien plus, encourager et au besoin provoquer la répression impitoyable, où cent mille d’entre eux devaient périr.

Il est à noter, cependant, que le peuple fournira presque partout cette pâte docile de quoi seront faits les Etats luthériens ou calvinistes. Rome ne les retient pas. Ils ne la connaissent plus que par ses exigences d’argent. Ils se détournent d’elle et sont prêts à suivre les bergers audacieux qui les entraînent hors des voies traditionnelles. Le peuple fournira aussi les adhérents de toutes les sectes révolutionnaires, pourchassés à outrance par les sectes nanties et que la faveur des princes aura légalisées. En France, les premier » luthériens seront des « gens mechaniques » c’est-à-dire des ouvriers, cardeurs de laine ou autres, aigris par le besoin, excités contre le clergé et tout fiers de pouvoir lire la Bible, dont on leur dit qu’elle contient toute vérité, sans qu’il soit nécessaire de passer par l’intermédiaire d’un pouvoir qu ils détestent.

Mais, en somme, le peuple n’a pas eu à se féliciter de la Révolution protestante. Il n’est guère apparu sur le théâtre de l’histoire que comme figurant à demi conscient, destiné à être entraîné, dupé ou massacré (guerre des Paysans, guerre des Anabaptistes, guerres de religion en Allemagne, en France, en Angleterre, en Suède, etc.).

Parmi toutes les « causes » qui viennent d’être énumérées.il faut, de toute évidence, accorder une importance particulière à celles qui sont d’ordre religieux. Ce sont les maux de l’Eglise, les abus dont elle souffrait, les désordres qui la troublaient, qui ont créé l’atmosphère de malaise où a germé le luthéranisme. De ces abus on aura un tableau très authentique dans le discours qui fut prononcé, à la clôture du concile de Trente, le 3 décembre 1563, par Jbrômi RAGAZzoNi.évêque titulaire de Nazianze :

« Désormais, dirait, l’orateur, l’ambition ne supplantera

plus la vertu dans le ministère sacré. La parole du Seigneur sera plus fréquemment et plus soigneusement annoncée. Les évoques resteront au milieu de leur troupeau. Désormais, plus de ces privilèges dont se couvraient le vice ou l’erreur ; plus de prêtres oisifs ou indigents. Les choses sain tes ne seront plus livrées à prix d’argent et on ne verra plus le scandaleux trafic des quêteurs de profession. Des ministres élevés dès leur enfance pour leSeigneurseront instruits à lui rendre un culte plus pur et plus digne. Les synodes provinciaux rétablis, une règle sévère prescrite pour la collation des bénéfices, la défense de transmettre comme un héritage les biens d’Eglise, les bornes plus étroites mises aux excommunications, un frein puissant posé à la cupidité, à la licence, à la luxure de tous, ecclésiastiques et séculiers, de sages avertissements donnés aux rois et aux puissants de la terre, tout cela ne dit-il pas assez les grandes et saintes choses que vous avez réalisées ? »

Ce qu’on trouve derrière ces félicitations, du reste méritées, adressées aux Pères du Concile, c’est surtout l’aveu des misères antérieures. Cependant ces misères n’auraient pas d’elles-mêmes engendré le mouvement révolutionnaire du protestantisme. Les vrais moteurs en histoire, ce sont les chefs. La situation d’ensemble que nous venons d’esquisser constitue le moment historique oùl’action d’un homme va déchaîner la tempête. Cet homme est le principal responsable, bien qu’il ne soit pas le seul, et bien qu’il ait été, on va le voir, en partie inconscient de la gravité de l’aventure où il s’engageait et entraînait les autres. Son nom était Martin Luthbr.

Bibliographie. — L’Allemagne et la Réforme, par Jean Janssen, trad. Paris, Paris, Pion. — Histoire des Papes depuis la fin du Moyen Age, par Louis Pastor. — Jean Guiraud, L’Eglise romaine et les origines de la Renaissance, Paris, Gabalda. — Burckhardt, La civilisation en Italie au temps de la Renaissance, trad. Schmitt, Paris, 1885. — Gebhart, Les Origines de la Renaissance en Italie, Paris, 1879. — Mgr Baudrillarl, L’Eglise catholique, la Renaissance et le protestantisme, Paris, Bloud. — Marc Monnier, La Renaissance, de Dante à Luther, Paris, Didot, 1889. — Noël Valois, Le Pape et le Concile, Paris, Picard, 1909. — En outre, les ouvrages cités à l’article suivant, sur Luther.

L. Cristiani.

II. — LUTHER, SA VIE, SON ŒUVRE,

SON CARACTÈRE

I. La jeunesse (1483-1505). — « Je suis le fils d’un paysan, aimait à dire Luther ; mon père, mon grand-père, mes ancêtres ontété de vrais paysans. »

— « Je suis un rustique et dur Saxon », disait-il encore. De fait, les historiens reconnaissent dans tous les traits de son caractère, de son style, de son visage même, les marques de cette origine paysanne et saxonne. C’est de là qu’il tire sa rudesse, sa verdeur, son activité, sa puissance d’injures, son esprit d’opposition, et sans doute aussi son tempérament superstitieux. C’est pour cela qu’il apparaît un peu comme une force aveugle déchaînée dans l’histoire. Il fut l’artisan d’une Révolution qu’il n’avait ni prévue ni désirée. Les circonstances l’entraînèrent, plus encore qu’il ne provoqua les circonstances. C’est une preuve de sa puissance, qu’il ait réussi à discipliner, partiellement du moins, le mouvement qu’il avait déchaîné. Longtemps, il demeura catholique d’intention, même après sa révolte, se flattant sans doute d’arracher au pape la direction de la chrétienté et de rallier l’Eglise universelle à sa doctrine. Peu à peu cependant, il dut renoncer à son rêve et se contenter d’envisager une Eglise nationale, bien qu’il sentit nettement que rien n’était moins conforme à l’esprit du Christ.