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REFORME

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Réforme, le premier souverain du monde se trouve désarmé. C’eit pourtant un prince énergique, habile et autoritaire, que le jeune Charlbs-Quint. Il veut sincèrement accomplir ce qu’il considère comme 60n devoir d’empereur chrétien, successeur de Constantin et de Charlemagne. Mais il n’arrivera pas à faire respecter l’édit de Worms, qui mettra Luther au ban de l’empire (15ai). Provisoirement réfugié à la Wartbourg, par les soins du souverain immédiat, — lequel n’est nullement luthérien et ne comprend rien à la théologie, mais ne veut pas qu’on lui enlève un maître réputé de son Université, — l’hérésiarque pourra sortir de sa cachette, au bout de dix mois, rentrer à Wittemberg et se faire le pape d’une contre Eglise, sans que les foudres impériales puissent jamais l’atteindre.

Luther n’aura point de peine à discerner tout le parti qu’il peut tirer de l’ambition et de l’esprit d’indépendance des petits souverains qui l’entourent. Il flattera leur cupidité en leur livrant les dépouilles de l’Eglise, leur despotisme, en leur con liant le droit de contrôle sur la doctrine comme sur les mœurs de leurs sujets, en leur livrant les âmes avec les corps. A la faveur des protections princières liguées contre l’empereur, le luthéranisme poursuivra son chemin, le schisme se développera, l’hérésie pourra se comparer au grain de sénevé devenu un grand arbre, sans effort apparent.

A ces causes politiques générales, se joignaient par surcroît des causes sociales non moins agissantes.

3° Causes sociales. — Il y a un malaise social toutes les fois qu’un groupe nombreux de membres de la société se trouve mécontent de son sort et s’agite pour améliorer sa situation. Au xv’siècle, les mécontents se multiplient à l’extrême. Il y en a dans le clergé, dans la noblesse, dans le peuple.

a) Mécontentement dans le clergé. — L’Eglise avait reçu, de la reconnaissance des peuples, une fortune territoriale considérable, répartie en d’innombrables

« bénéfices ». Cette fortune excitait naturellement

bien des convoitises. Le monde brûlait de remettre la main sur ce qu’il avait donné. La grande plaie des xiv’et xv* siècles, c’est la chasse aux bénéfices. Les évêchés et les canonicats, les abbayes elles-mêmes sont mis en coupe réglée. Un historien a pu les nommer les « hôpitaux de la noblesse ». Elle y case, sans vergogne, ses cadets, ses infirmes, tous ceux que le monde repousse. En recevant les ordres, parfois dans une extrême jeunesse et sans préparation, ces élus de la fortune n’ont point changé d’esprit. Ils ont gardé les appétits et les mœurs du siècle. Les laïques se scandalisent de trouver chez eux leurs propres habitudes. Ce sont eux cependant qui les ont poussés indiscrètement vers le sanctuaire. La pnpauté n’exerce aucun contrôle, car elle souffre elle-même du mal qu’il faudrait corriger. La curie romaine, au contraire, donne l’exemple du désordre, ou du moins elle se prêle à toutes les complaisances et favorise toutesles ambitions, dès qu’elle y voit un moyen d’accroître les ressources du trr’sor pontifical. C’est ainsi qu’un Albf.rt de Hohknzollern pourra, à 23 ans, devenir archevêque de Magdebourg et administrateur de l’évêché d’Halberstacit, et un an plus tard (1514) archevêque de Mayence. On lui permettra de garder à la fois ses trois diocèses, moyennant une c componende » de io.ooo ducats I

Cependant, au-dessous de l’aristocratie cléricale, oisive et fastueuse, tout occupée d’affaires ou de plaisirs mondains, s’agite une foule souvent ignorante et misérable de clercs et de bénéflciers inférieurs qui constitue un véritable prolétariat ecclésiastique. De quoi vivaient ces vicaires, sur qui les riches prébendes laissaient d’ordinaire peser tout le fardeau

du saint ministère ? Dédîmes incertaines, de fondations devenues insuffisantesavec le temps, de rites étranges tels que ces Messes sèches, ces Messes à deux ou trois faces, que le Concile de Trente devra interdire comme d’inconvenantescaricatures du saint sacrifice, mais dont l’usage eut alors en Allemagne une extension considérable. (Voir sur ce point : Franz, Die Messe im deutschen Mittelalter, 1902.)

Au surplus, les membres de ce bas clergé ne se privent pas, soit par besoin, soit par cupidité, d’exercer toutes sortes de métiers plus ou moins compatibles avec leur sainte vocation. Entrés souvent dans les ordres sans disposition et sans formation suffisantes, mécontents deJeur situation, en lutte fréquente avec l’autorité épiscopale qui plane au-dessus d’eux, ils se trouvent prêts à appuyer de leur approbation, de leur concours, de leurs passions, de leur envie, tout mouvement révolutionnaire qui les affranchira de chaînes devenues pour euxinsupportables. Moines déchus et curés ou prédicateurs indigents se donneront la main, le moment venu. Les défections se produiront en masse, comme les fruits mûrs tombent un jour de grand vent. Les sectes qui vont bientôt pulluler recruteront là sans peine des adhérents, des chefs de second ou troisième ordre. La plupart de ceux qui se sont fait un nom dans la tourmente révolutionnaire du xvi « siècle, Bucbr, Brrnz, Karlstadt, Mûnzbr, Obcolampadb, Capiton, sans parler de Luthkr ni de Zwinglb, appartiennent an clergé régulier ou séculier, et ils sont suivis par une multitude de prêtres et de religieux, qui jettent le froc à leur exemple et embrassent avec ardeur la cause de « l’Evangile ». Luther lui même, surpris de leur zèle aux allures suspectes, écrira le a8mars 1523 à l’und’eux, Jean Lang, moine d’Erfurt : » Je m’aperçois que beaucoup des nôtres ne sortentdu couvent quepour la même cause qui les y avait fait entrer, je veux dire pour le ventreetlalicence charnelle et par eux Satan fera monter une grande puanteur contre le parfum de notre parole. Mais que faire ? Ce sont des oisifs qui cherchent leurs intérêts, il vaut mieux lesvoir pécher et périr hors du froc que dans le froc.de peur qu’ils ne soient perdus deux fois, si leur vie présente est pour eux un châtiment. » (Endehs, Lulhers Briefuechsel, III, 3a3. 32^-) Luther ne se trompait pas. On ne se fera pas faute de lui reprocher l’immoralité de ses sectateurs. Erasme pourra écrire, en 1024 : « Je vois surgir, à l’abri de l’Evangile, une nouvelle race, insolente et sans pudeur, qui finira par se rendre à charge à Luther lui-même », et dans le même sens, un peu plus tard : « Autrefois, d’hommes grossiers et sauvages, avides et querelleurs, l’Evangile sut faire des hommes doux, charitables, pacifiques, bienveillants ; chez vous au contraire, — la lettre est adressée à Mélanchthon, — ils deviennent fous furieux, voleurs, trompeurs, ils fomentent partout la révolte, ils outragent les gens de bien. Je vois en eux denouveauxhypocrites, denouveaux tyrans, mais pas même une miette d’esprit évangélique. »

b) la noblesse. — S’il y avait un prolétariat ecclésiastique prêt à entrer dans le mouvement révolutionnaire, il y avait aussi un prolétariat de la noblesse, qui était tout disposé à soutenir ce mouvement et à tâcher de s’enrichir à la faveur des troubles. Nous désignons par là cette chevalerie allemande, ambitieuse, remuante, souvent perdue de dettes, toujours besogneuse et toujours anarchiste, qui allait s’exalter à la voix d’un Ulrich i>b IIuttkn, à l’appel d’un Franz db Sickingkn, et fournir à Luther, en un moment décisif, l’encouragement qui lui était nécessaire pour oser. On verra qu’il ne rompit avec Rome, en 1520, que sur lespro-