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REFORME

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plus honteuse. Son livre : l’Hermaphrodite (vers i^31) est intordit sous peine d’excommunication par Eugène IV. On le lit quand même. Les Facéties de Poggio Bhacciolini ne sont pas moins ordurières et n’ont pas moins de succès. Cette littérature abominable est en rapport avec les mœurs du temps. Le luxe et la débauche s’étalent dans les petites cours des seigneurs italiens et même à la cour de Rome. Le paganisme renaît. En copiant les modèles de l’époque classique païenne, on adopte, consciemment ou non, une mentalité païenne.

Le protestantisme sera une réaction très âpre contre cet état d’esprit, dont toutefois il s’inspire par certains côtés.

Les humanistes critiquaient la scolastique, Luther la condamnera violemment. Les humanistes avaient horreur de la vie monastique et en général de l’ascétisme. Le protestantisme ouvrira les cloîtres, supprimera toute la discipline pénitentielle en usage avant lui (jeûnes, abstinences, etc.), et favorisera, au début tout au moins, sans le vouloir toutefois, un effrayant débordement de la chair. Les humanistes italiens du xv « siècle auraient sûrement applaudi aux mariages de prêtres, de moines et de nonnes provoqués par la révolution luthérienne. Ulrich de Hutten et Grotus Rubianus, qui étaient de l’école d’un Valla ou d’un Beccadelli, y applaudirent en effet.

EnQn, dernière ressemblance, les humanistes préconisaient le retour à l’antiquité et aux sources. De même, Luther et Calvin prétendront réformer la foi catholique par un recours aux sources scripturaires et le rejet de la tradition.

Mais, dans son essence, le protestantisme estaux antipodes de l’humanisme. Tandis qu’un Erasme glorifie la raison humaine, admire les vertus des paiens et se déclare tenté d’invoquer saint Socrate ou de baiser les pages de Cicéron, comme on baise celles de la Bible, Luther regarde l’homme en général comme radicalement corrompu par le péché originel, comme incapable d’aucune vertu naturelle, d’aucune connaissance des vérités religieuses, il s’élève avec force contrele naturalisme d’Erasme, il nie la liberté humaine et professe le fatalisme absolu par le dogme décourageant de la prédestination arbitraire de Dieu.

En un mot, l’humanisme évoluait vers le naturalisme rationaliste et païen. Le protestantisme fut un coup de barre vers l’horizon opposé, vers le fidé.sme absolu et intransigeant. Il commença par un mysticisme nébuleux, puis s’étant heurte à l’autorité de l’Eglise, à propos des Indulgences, il tourna contre Rome le principe qu’il avait d’abord adopté sans esprit de combat : le recours à la Bible. Du biblicisme intégral, il passa à une révision complète des dogmes et des rites traditionnels. Entre temps, l’hérésie était devenue schisme. Le schisme lui-même se consolida en Eglise d’Etat. Mais en tout cela, de nouvelles causes étaient intervenues, non plus d’ordre théologique ou intellectuel, mais d’ordre politique et social.

a° Causes politiques. — Parmi les causes politiques de la Réforme, il faut mettre au premier rang l’abaissement du prestige de la papauté et la diminution de l’autorité impériale en Allemagne.

a) La papauté. — La papauté a commencé à déchoir après Boniface VIII. Elle avait subi une humiliation atroce en la personne de cet in fortuné pontife. La querelle séculaire du sacerdoce et de l’empire se fermait par une défaite retentissante, en sa nouvelle phase : la lutte de Philippe le Bel, inspiré des légistes, contre le pape, armé des saints canons. — Le séjour prolongé des souverains pontifes en Avignon ne fit qu’accentuer la déchéance de leur pouvoir. Le pape

fut regardé comme un simple chapelain du Roi de France. Le mécontentement général aboutitau Grand Schisme. Ce fut une crise effroyable. Une dangereuse théorie apparut alors comme un remède désespéré à une situation sans issue : la théorie conciliaire . Les conciles de Constance et de Bâle la consacrèrent en apparence. La constitution de l’Eglise courut un temps le risque d’être changée. Au lieu d’une monarchie spirituelle, on aurait eu le régime parlementaire : un Concile général tous les dix ans. La première moitié du xv* siècle fut remplie par cette lutte entre le pape et le concile. Le concile fut vaincu ; niais la théorie conciliaire ne fut pasdétruite. Le gallicanisme en fit le rempart des « libertés » de l’Eglise de France, et Luther se souviendra un jour de la tradition gallicane pour lancer son appel du pape au concile et esquiver ainsi une juridiction gênante.

Mais la papauté subit encore une diminution de prestige plus affligeante, quand elle fut enveloppée et à demi sécularisée par l’ambiance de l’humanisme italien. Comme les autres cours italiennes, celle du pape prit des habitudes de luxe et de légèreté. Les papes oublièrent complètement la grande œuvre de la

« Réforme de l’Eglise dans son chef et dans ses membres

», qui leur était demandée, depuis l’époque du concile de Vienne, en 1 3 1 1. Au lieu d’un Grégoire VII, on eut Alexandre VI, au lieu d’un Innocent III, on eut Jules II et Lkon X. La papauté se mêlait aux luttes, aux intrigues, aux passions du siècle. On finit par la regarder comme un simple pouvoir de fait, d’origine humaine, de caractère purement humain, d’aspirations tout humaines.

Ajoutez à cela les abus de la fiscalité pontificale. Dès l’époque des Croisades, la papauté, chargée des intérêts généraux de l’Eglise, avait réclamé le concours financier de la chrétienté entière. Puis l’on s’était habitué àcompter sur les ressources venues de tous les points du monde. Les papes d’Avignon avaient établi une administration très ingénieuse et une législation fiscale très exigeante. Les papes de la Renaissance avaient trop besoin d’argent pour négliger des précédents aussi tentateurs. Les expédients les plus fâcheux s’ajoutèrent aux méthodes d’imposition semi-régulière. Il estcaractéristique que l’occasion immédiate de la Révolution ait été « le trafic des Indulgences ». Mais si le schisme s’accomplit si aisément, c’est sans nul doute parce que Rome avait depuis longtemps perdu l’affection et le respect qui lui étaient dus. On discerne très aisément, dans les débuts du luthéranisme, l’aversion, la défiance, la haine des Germains pour les Italiens de la Curie romaine. Luther souffla sur une flamme déjà allumée. Avec lui, la colère contre Rome devint une rage inexprimable. Toutes les fois que Luther parle du pape, il voit rouge, sa plume s’irrite, un torrent de fiel sort de son cœur, les injures les plus grossières se pressent sur ses lèvres, et de tous les points des pays allemands, des échos passionnés répondent à sa voix.

b) L’empire, — Si la papauté est déchue de son ancien prestige, l’empire ne l’est guère moins. Sans doute la dignité et le titre d’empereur excitent encore de formidables compétitions. On le vit bien à la mort de Maximilien I", en 151t). Mais [’autorité impériale n’est plus qu’une ombre. La décadence avait commencé à la chute des Hohenstaufen, en 12.50. Elle s’était accentuée aux xiv’et xv* siècles. Pendant que la féodalité perdait ses forces en France, en Angleterre, en Espagne, elle triomphait en terre d’empire sous l’action du particularisme allemand.

Un siècle avant Luther, la redoutable hérésie de Jban Hus avait pu être réprimée grâce au concours de l’empereur Sigismond. Au moment où éclate la