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REFORME

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I. — CAUSES RELIGIEUSES, POLITIQUES ET SOCIALES DE LA RÉFORME PROTESTANTE

La Réforme protestante fut beaueoup plus une Révolution qu’une réforme proprement dite. Elle arracha des royaumes entiers à l’Eglise catholique. Elle substitua au principe même de l’Eglise catholique une conception toute nouvelle des rapports entre les chrétiens et Jésus-Clirist. Elle aboutit à une hérésie d’une part, à un schisme de l’autre. En tant qu’hérésie, elle eut surtout des causes d’ordre théologique, des causes intellectuelles et morales, que nous appellerons d’un mot général : causes religieuses. En tant que schisme, elle eut des causes d’ordre politique et social.

i° Causes religieuses. — A considérer la doctrine de Luther, initiateur de la Révolution protestante, dans ses rapports avec les doctrines antérieures, elle apparaît comme une violente réaction contre la scolastique d’une part, et contre l’humanisme païen d’autre part. Les influences qui préparent la voie au protestantisme, dans l’ordre intellectuel, sont donc la décadence de la scolastique et l’exteniion de l’humanisme païen.

a) Décadence de la scolastique. — Le grand effort de la théologie médiévale avait été pour réaliser l’accord permanent de la raison avec la foi. Après de séculaires tâtonnements, la doctrine catholique avait trouvé dans la philosophie d’Aristote les fondements rationnels qui lui donnaient dans l’esprit humain la stabilité nécessaire. Le thomisme avait réussi à délimiter les domaines respectifs de la raison et de la foi, tout en montrant l’accord providentiel de l’une avec l’autre. Mais le thomisme n’avait pas encore fait ses preuves. Il avait eu de la peine à s’imposer. L’Eglise ne lui avait pas donné de consécration officielle. Le mouvement des esprits était, quoi qu’on ait dit, si ardent et si audacieux au Moyen Age, que les sages équilibres créés par le thomisme furent bientôt ébranlés. Scot édilia un système où les rapports entre la raison et la foi étaient déjà beaucoup plus tendus. Entre l’école thomiste et l’école scotiste, la bataille s’engagea très vite et dégénéra en discussions interminables. Tandis que le monde marchait, qu’un certain goût d’élégance littéraire commençait à se développer, les scolastiques poursuivirent leurs querelles intestines, qui n’intéressaient plus qu’eux-mêmes, et leur langage, alourdi par les subtilités croissantes de la lutte, devint chaque jour plus barbare. La confusion s’accrut lorsque, sous l’influence d’OccAM, le thomisme et le scotisme cédèrent le pas au nominalisme, jusque-là discrédité, et tout à coup victorieux.

C’est dans l’école occamiste, bien plus que dans celle de Descartes, qu’il convient de chercher l’origine de la philosophie moderne, caractérisée par l’emploi presque exclusif de la méthode expérimentale, la défiance de toute métaphysique, l’opposition entre la raison et la foi, la préoccupation des sciences positives. (Voir, sur ce point, Gilson. La Philosophie au Moyen Age, tome II, de saint Thomas à Occam.)

Le nominalisme nie la valeur des idées générales, il n’y voit que des étiquettes destinées à résumer des séries d’expériences sensibles. L’expérience seule compte à ses yeux. Les concepts ne sont que des noms, des mots, des termes ; d’où le nom d’école terministe, qu’on donne alors à l’ensemble des occamistes. On l’appelle également école moderne. La lutte entre les anciens et les modernes (Thomistes et Scotistes d’une part, Nominalistes de l’autre) remplit de son fracas les xiv « et xv’siècles. Parfois, les rois eux mêmes intervenaient dans cette guerre entre

docteurs. Ainsi Louis XI condamna sévèrement les lerministes, dans un arrêt du i c’marsi/174. Mais en règle générale, les occamisles tiennent le haut du pavé. Leurs docteurs sont les plus écoutés. Une fissure grave se produit dans l’édiûce théologique. L’occamisme prépare directement le protestantisme, et de plus loin l’incrédulité moderne. L’occamisme en effet se résume en deux mots : scepticisme en métaphysique, fidéisme en religion. Il n’admet pas qu’il y ait l’ombre d’un accord possible entre la raison et la foi. La raison ne sait rien des vérités que la foi postule comme fondements : l’existence de Dieu, l’existence de l’âme, sa liberté, son immortalité. Les arguments que l’on donne à ce sujet sont simplement probables pour Guillaume d’Occam, ils sont nuls pour Nicolas d’Autrbcourt, un de ses disciples. La foi seule nous enseigne ces vérités primordiales. La foi apparaît ainsi comme un coup d’état, dans la vie intellectuelle de l’homme. On croit par un influx de la grâce, sans preuve, sans raison. La foi est chose personnelle, indémontrable, incommunicable. On peut la rejeter sans manquer aux exigences de la raison. Mais on s’expose alors à l’enfer. Il faut croire ou perdre le ciel, il n’y a pas d’autre motif de crédibilité. Le protestantisme continuera directement cette doctrine. Il ne sera qu’un fidéisme désespéré, une volonté de croire fondée sur le plus profond mépris de la raison et dissimulée derrière une prétendue élection divine.

D’autre part, le protestantisme sera une réaction contre l’occamisme, d’abord au point de vue méthode, par un recours continuel à la Bible et l’abandon de la dialectique termimste, ensuite au point de vue esprit, par une tendance mystique très prononcée qui apparente le luthéranisme au courant issu de Maître Eckiiart, par l’intermédiaire de la Théologie allemande, œuvre anonyme du nv « siècle Unissant, que Luther édita eni 516 et qui se distingue par une grande imprécision de langage et de vives effusions de sentiment.

b) L’humanisme païen. — Pendant que la scolastique s’enlisait en des disputes de plus en pins stériles et surannées, un événement considéraMe se produisait dans le monde. Les laïques, jusque-là exilés de la haute science ou confinés dans les rôles légers de jongleurs, de trouvères, ou de troubadours, commençaient à aspirer à une vie intellectuelle plus ample. Dante Alighieri, sons ce rapport, est une apparition d’intérêt capital. Après lui, la science du siècle s’oriente vers des voies nouvelles. Dante appartenait encore à l’ère théologique. Avec Pbtrarqub, Boccacb, Pogoio, Brdni, Laurbnt Vac.la, des préoccupations jusque-là presque inconnues se font sentir. Le souci de’la forme pour elle-même apparaît. La grammaire et la rhétorique prennent le pas sur la théologie. La faculté des arts, — ainsi qu’on disait alors, — s’émancipe. Le culte de la beauté littéraire grandit parallèlement au culte de la beauté plastique. L’humanisme fait partie du grand mouvement de la Renaissance, où tous les arts se développent à la fois. Mais très vite la science du sircle s’oppose à la science de l’Eglise, qui est en grande partie une science du cloître. Des escarmouches s’engagent. Boccacb ridiculise les moines, les accuse d’hypocrisie, de mauvaises mœurs. Bientôt toute la morale chrétienne est mise en cause. Le naturalisme s’étale sans vergogne. Laurbnt Valla préconise IY’pieurisme, dans son De voluptate (1431), où l’on pouvait lire cet énoncé de thèse : « Je déclnre et j’affirme que la volupté est le vrai bien et je l’affirma au point de soutenir qu’il n’y a pas d’autre bien qu’elle. » Un émule de Valla, Antonio BnccvnBLLi, surnommé le Panormite, verse dans l’obscénité la