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REDEMPTION

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resté enfermé. Ces notions, correspondantes à un état inférieur de ia conscience religieuse, ne conviennent plus pour expliquer et traduire les expériences et les révélations do la conscience chrétienne. Ce sont de grossiers miroirs dans lesquels les réalités supérieures se déforment. La mort du Christ est un acte essentiellement moral, dont la signification et l.i valeur proviennent uniquement de 1 intensité de la vie spirituelle et du sentiment de l’amour dont il témoigne. Assez longtemps on l’a fait entrer dans les catégories antiques et grossières du sacrifice rituel et de la satisfaction pénale Il serait temps do laisser tomber ces vieux oripeaux, déconsidérer cette mort du Christ en elle-même, en partant du sentiment moral qui la inspirée.

Par exemple, les idéos de mérite et de satisfaction cadrent-elles avec le principe essentiellement différent de la religion de la grâce, de la rédemption par l’amour ? N’est-on pas tout de suite condamné au plus grossier contresens, quand on parle des mer ites que le Christ s’est acquis devant Dieu et qui peuvent du dehors être reportés sur nous ? Cette idée de mériter n’est elle pas au fond antiévangélique ? N’aurait-elle pas choque la conscience filiale de Jésus ? Ne nous ramènei elle pas fatHlement, si nous voulons construire avec elle une doctrine chrétienne, à la religion de la loi ? flom., iv, i-4- Et n’est-il pas très remarquable que ces mots « mérites du Christ » ne sont jamais venus sur la bouche ou sous la plume des auteurs du NT ?

Il faut en dire autant de l’idée de satisfaction. Le mot se trouve pour la première fois dans Tertullien, appliqué aux œuvres de pénitence, non à l’œuvre du Christ II n’a pas de correspondant en grec, et on ne trouve pas l’idée qu’il exprime dans les Pères d’avant Nicée. A plus forte raison, elle est absente du NT., et il suffit de la rapprocher de la piété de Jésus envers le Père, pour sentir aussitôt combien elle lui est contradictoire… De quelle satisfaction a besoin le Père de la parabole pour pardonner à l’enfant repentant qui vient à lui ?

Les notions de sacrifice, A’oblation, de propitiation ou d’ejrpt’tion proviennent des cultes antérieurs au christianisme, et à moins d’admettre, avec l’auteur de l’épître aux Hébreux, l’institution divine de ces formes cultuelles élémentaires et légèrement anlhropomorphiques, il est impossible de rapprocher, autrement que par métaphore, la mort du Christ sur la croix du rite delà victime immolée et brûlée sur l’autel.. Nous no sommes plus dans le cadre inférieur d’un rituel sacerdotal : nous sommes dans les plus saintes réalités de la vie morale.

Il faut en dire autant de l’idée de rançon, et de la métaphore qu’elle fournit encore au langage religieux…

Abandon des notions de rançon, de sacrilice, de mérite, de satisfaction ; abandon de la catégorie de satisfaction pénale. Telle est donc la partie négative du programme. Après quoi, on se réserve de considérer la mort du Christ comme acte moral.

Le moindre inconvénient de tous les abandons qu’on nous propose est de couper l’acte rédempteur de toutes ses attaches surnaturelles. Or, qui ne voit que, d’après tout l’enseignement de l’Evangile, l’acte rédempteur est surnaturel par essence ; qu’il se réalise d’abord entre Dieu et son Cbrist, avant de porter ses fruits pour le bien de l’homme ? C’est ce que traduisent diversement les notions de rançon, de sacrilice, de mérite, de satisfaction, toutes orientées vers Dieu.

« Le Fils de l’homme est venu donner sa vie

comme rançon d’un grand nombre. » Mt., xx, 28 ; Me., x, 45. Ce don est très objectif, objectif comme le don de soi que fait le soldat tombant pour la délense de la pairie. Avant d’être une semence d’héroïsme, c’est une valeur en soi, une valeur devant Dieu.

« Il a été offert parce qu’il l’a voulu », lisons-nous

en /s., Lin, 7. Celte parole ne peut s’entendre que d’un sacrifice. Or le Christ a attesté que cette page d’Isaïe s’applique à sa personne (Le., xxii, 37), L’instant d’après, à Gethsémani, il priait, disant : « Mon Père, s’il vous plait, éloignez ce calice de moi ; néanmoins que votre volonté soit faite, et non la mienne. » (Le, xxii, 4a). De nombreux textes évangéliques appuient ceux que nous venons de citer. D’après

Tome IV.

l’Evangile, Jésus-Christ fut victime pour obéir à son Père.

« Ceci est mon corps livré pour vous, — Ceci est

mon sang répandu pour vous », a dit Jésus à la Cène ; mettant l’accent, non sur la valeur d’exemple que pouvait avoir l’effusion de son sang, mais sur le mérite réel de l’immolation sanglante. Qu’importe c|iie le mot « mérite du Christ » ne se lise pas dans l’Evangile, si la parole la plus solennelle du Christ doit nécessairement s’entendre de son mérite devant Dieu ?

Ces textes — qu’à dessein nous sommes allés demander aux seuls évangiles synoptiques, — renferment des idées essentiellement surnaturelles, essentiellement relatives à Dieu, idées qui, détachées de Dieu, s’évanouissent dans le néant et qu’on peut grouper sous la notion de satisfaction offerte à Dieu. La notion de satisfaction, offerte à Dieu par le Christ, ne se laisse pas arracher des évangiles synoptiques.

Encore bien moins se laisse-t-elle arracher des autres écrits du NT.

En saint Paul et en saint Jean, le relief de ces mêmes idées grandit beaucoup. Nous l’avons montré assez longuement pour n’y point insister. Rappelons seulement quelques traits saillants. Ni saint Paul ni saint Jean ne marquent l’intention de détenir les fidèles dans des états de conscience inférieurs. Ils ont secoué le joug de la Loi ; ils prêchent l’adoration en esprit et en vérité ; mais ils parlent la langue de leur temps : ils puisent au vocabulaire de l’économie politique, au vocabulaire de la religion, au vocabulaire de la philosophie morale, au vocabulaire du droit. Les termes qu’ils empruntent à ces divers vocabulaires ne sont pas destinés à donner le change sur les réalités qu’ils prêchent, mais à les convoyer jusqu’à leurs auditeurs. Pour eux, la venue du Fils de Dieu dans la chair, sa vie et sa mort volontaire sont des réalités. Ils en parlent en termes concrets. Pour saint Paul, le Christ est le second Adam ; il a répandu, par le fait de sa mort, une grâce surabondante sur ceux-là même qui « n’ont point péché à l’exemple du premier Adam » et n’ont à répondre que de la seule faute originelle (Rom., v). Pour saint Jean, le Christ est l’Agneau de Dieu, qui ôte le péché du mondefYo., 1, 20.-36 ; Apoc). Pour saint Paul et pour saint Jean, le Christ est simplement l’envoyé du Père, il apporte la vie qu’il a puisée au sein du Père (G"/., iv, 4 ; Tit., 11, 11 ; iii, 4 ; /o., iii, 1 5- 1 6 ; x, 10.28 ; I Io., i, 2, etc.). Pour saint Paul et pour saint Jean, le Christ est la victime propitiatoire de nos péchés (î’ÂajT/jpiov, Rom., iii, a5 ; î’/au//^, I Io., 1, 10 ; 11, 2) ; il y a là, pour appuyer la théologie de l’épître aux Hébreux, de fermes assises. Pour saint Paul et pour saint Jean, le Christ est le sanctificateur (I Cor., 1, 2, 30 ; Hb., ix, 13 ; x, 14) qui s’est le premier offert comme victime sainte (lo., xvii, 19). Pour saint Paul et pour saint Jean, le Christ est notre médiateur (UaiTvtf, I Tim., 11, 5), notre intercesseur (Ttapdx’ÂriTOi, I lo., 11, 1). Du moment que l’on consent à parler de la valeur morale des actes, comment veut-on que le Père soit indilférent à la valeur d’une intercession qui revêt la forme de l’acte le plus héroïque, animé de l’intention la plus sainte, posé par la personne la plus chère et la plus auguste ? Et qu’est-ce que cette valeur, sinon le mérite ?

Les Pères ont redit, en variant l’expression de mille manières, ce qu’ils avaient lu en maint endroit de l’Ecriture, que le Christ a mérité pour nous et satisfait pour nous. Leur reprocher de n’avoir pas parlé la langue scol astique du xm* siècle, serait puéril, alors que leur pensée devance la pensée des scolastiques. Citons un texte parmi tant d’autres, il est de

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