Page:Adhémar d'Alès - Dictionnaire apologétique de la foi catholique, 1909, Tome 4.djvu/29

Cette page n’a pas encore été corrigée

46

POSITIVISME

46

des vérilés métaphysiques, de l’ordre spirituel ; on se contente île déclarer, au début, que la recherche îles substances et des causes est chose vaine. <iue c’est là une région inaccessible. Mais, cette déclaration posée, on procède connue si ces vérités, de fait, n’existaient pas. On organise tout lesavoir, dans le présent et dans l’avenir, comme s’il se fermait en un circuit vraiment complet sur le terrain expérimental. Grâce aux merveilleuses ressources de la méthode trouvée, on entrevoit pour la science des progrès indéfinis, des découvertes inouïes, d’où sortira une transformation totale de la vie humaine. Mais toujours ce progrès, ces découvertes se feront dans l’ordre sensible. Jamais la recherche humaine n’abordera les questions : i| y a-t-il une âme, une âme libre et immortelle, un Dieu, un devoir ? Le cercle où le labeur de la pensée humaine tournera pourra s'élargir ; il restera coupé de toute vue en haut, de toute percée sur l’infini. Ce n’est pas la nature des choses, qu’on n’a pas scrutée, c’estle positivisme qui en décide ainsi. Le positivisme théorique devient un matérialisme pratique. (Voir Matkiualismb)

Et de cette situation amoindrie faite à l’homme, pas un regret. C’est l’acceptation morne d’une mutilation qu’on s’est imposée. Dans toute l'œuvre d’Auguste Comte, on ne trouve pas un soupir, un élan vers les paradis désormais fermés, vers les grands espaces à jamais glacés. Parmi les disciples immédiats de Comte, seul le sec et scientifique Littrb a écrit, non sans mélancolie, se rappelant Pascal :

« L’immensité tant matérielle qu’intellectuelle…

apparaît sous son double caractère, la réalité et l’inaccessibilité. C’est un océan qui vient battre notre rive, et pour lequel nous n’avons ni barque, ni voile, mais dont la claire vision est aussi salutaire que formidable. » (A. Comte et la Philosophie positive, 3' édition, 1877, p. 505) Et cependant tout homme qui réfléchit sent que ces questions d’origine, de nature intime, de destinée sont les questions vitales, les questions nécessaires. Là est même l’unique nécessaire. Il ne s’agit pas de faire ici le stoïque ou le dédaigneux. Il ne s’agit pas de laisser aux esprits faibles et inférieurs ces chimères, tandis que les esprits fermes et virils se nourrissent des vérités positives.si austères soient-elles. Il ne suffît d'écarter par le mot : mysticisme, toute recherche sur l’au-delà. L’homme réfléchi tient précisément que c’est sa gloire d'être préoccupé de ces problèmes, il voit là la marque de sa supériorité sur le reste de la nature. Loin d'éprouver le besoin de s’en excuser, il revendique en cela son caractère d’homme.

A celui qui allègue la profondeur de ces aspirations, de ce besoin d’infini, les positivistes, depuis Taine jusqu'à Charles Maurras, répondent qu’il y a dans l’homme, bien des facultés et des désirs qui avortent ; ce prétendu besoin n’a pas plus de droit que tout autre à trouver sa réalisation. — Réponse inefficace. Ce besoin est essentiel entre tous. En lui, c’est notre tout qui est en jeu. Dire qu’il est vain et chimérique, c’est prétendre que nous sommes l’objet d’une totale et cruelle tromperie de la part de je ne sais quelle impitoyable nature, c’est mettre au point de départ de nous-même le plus incompréhensible des mystères. La réalité de l’au-delà posée, ce mystère essentiel s'éclaircit et, avec lui, les mystères secondaires de nos possibles avortements. Tout mystérieux que soit cet au-delà, il est beaucoup moins incompréhensible que sa négation même, que le fait d’un être se sentant né pour une vie infinie et sombrant dans le néant.

Et ce besoin persistant met en défaut la loi des truis étais, où quelques-uns des disciples de Comte ont voulu voir la plus importante de ses découvertes.

Non, il n’est pas exact de dire que l’intelligence humaine, dans son développement historique, explique d’abord les phénomènes par des volontés (stade théologique ou anthropomorphique), puis provisoirement par des abstractions représentant des lois invariables, telles que l'élher, le principe vital, l'àme (stade métaphysique ou abstrait), pour s’arrêter à la seule observation expérimentale des faits et à l'énoncé de lois relatives (stade positif ou empirique).

Loi des trois états, loi historique construite toute a priori. — Sur quelle donnée affirmer que l’esprit humain est fixé à tout jamais dans le stade positif, sans possibilité de revenir à l’un des deux précédents ? Loi historique mal venue : un stade infini en avant, un stade infini en arrière, au milieu un stade qui, de l’aveu de Comte, ne comprend guère que deux siècles, le dix-septième et le dixhuitième. Et dans chaque période se retrouve l’emploi des méthodes qu’on veut propres aux autres. Par exemple, les civilisations anciennes avaient poussé très loin l'étude de l’astronomie et aussi les contrats d’affaires ; elles admettaient nombre de rapports fixes entre les phénomènes. Le dix-septième a trouvé, avec Descartes, Pascal, Leibniz, les principes des hautes mathématiques, sciences essentiellement « positives ».Denos jours, les abstractions comme énergie, chaleur, pesanteur, électricité, magnétisme emplissent les livres de science. On reparle de finalité interne. Il y a réaction contre le déterminisme absolu, jusqu'à introduire la contingence ou l’indétermination dans la production des phénomènes naturels : ce sont presque les volontés capricieuses de l'âge théologique. Surtout croyants et philosophes gardent à l’idée de cause son essentielle valeur. La prétendue loi des trois états nepeut donc être que l'énoncé très sommaire de tendances dominantes avec d’innombrables exceptions ou réserves.

Amoindrissement de la notion de Philosophie. — De tout temps, la philosophie a été la recherche des essences et des causes, la poursuite de l’idée qui se cache dans les êtres, du sens profond enfermé dans ce qui apparaît. Les questions de nature, d’origine, de finalité étaient de son noble domaine. C’est en ce sens qu’elle était considérée comme un effort vers la sagesse. Le positivisme y substitue une synthèse des sciences, et des sciences conduites selon la méthode d’observation expérimentale et directe. Observer les faits, les classer pour en tirer des formules de lois, sans doute cela mérite la labeur humain. Mais pourquoi refuser à l’homme le droit de faire davantage, de regarder plus avant ou plus haut ?

Le Positiviste accumule autour d’un point des observations de détail. I) intitule cela : « Etudes scientifiques » ou même « Etudes philosophiques ». Il donne ainsi au public la funeste illusion que la question est vidée. — Une des causes du malaise des esprits, c’est que l’on sait mal beaucoup de choses ; et l’on sait mal lorsqu’on ne va pas jusqu'à la nature et aux causes.

Autre chose est de partir des faits pour remonter axix principes ; autre chose se confiner dans l’observation des faits. Le premier procédé est celui de la saine philosophie, particulièrement de la philosophie péripatético-scolastique, le second est celui du positivisme ou de l’empirisme.

Avec une des plus généreuses occupations de l’esprit humain, risque de disparaître ce caractère de désintéressement qui était dans la recherche philosophique. La science positiviste est utilitaire.

« Voir pour prévoir, écrit A. Comte, tel est le caractère

permanent de la véritable science. » (Cours de Phil.