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RÉDEMPTION

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des hommes pour en faire d’autres ûls de Dieu. La notion de cette justice appartient à l’A. T. ; nous l’avons retrouvée en saint Paul, transfigurée par la Loi d’amour, jusqu’à rejoindre l’esprit de famille surnaturelle. C’est au regard de cette justice qu’on peut parler d’une satisfaction réellement digne de Dieu, satisfaction qui manifeste toute la piété filiale de Jésus et lui rend de véritables frères. La théorie de la satisfaction rédemptrice ne s’achève que dans cette perspective. Lire saint Thomas, 111 », q. 46, a. 3 : Utrum fuerit aliquis modus convenicntior ad liberationem generis humani quant per passionem Christi.

L’analyse que nous venons d’esquisser, et qui nous a montré dans la satisfaction du Christ la part d’une certaine justice commutative, la part de la justice vindicative, enfin et surtout la part de la justice gracieuse, nous ramène par une autre voie à la conclusion de saint Thomas, qui se demande, III*, q. 48, a. a : Utrum passio Christi causaverit nostram salutetn per moaum satisfactionis. Il répond : Ille proprie satisfacit pro offensa qui exhibet oflenso id quod aeque vel magis diligit quant oderit offensant. Christus autem, ex caritate et obedientia patiendo, maius aliquid Deo exhibuit quant exigeret recompensatio totius offensæ humani generis : 1° quidem propter magnitudinent caritatis ex qua patiebatur ; 2° propter dignitatem vitæ suae, quam pro satisfactione ponebat, quæ erat vila Dei et hominis ; 3° propter generalitatem passionis et magnitudinem doloris assumpti.

Mystère d’amour ; mystère de justice ; enfin, mystère de douleur. La Rédemption du Christ est tout cela. Il va sans dire que ces trois éléments — amour, justice, douleur — sont hiérarchisés. Celui qui anime et commande les autres — disons l’élément formel —, c’est l’amour. La justice n’intervient que pour tracer les lignes idéales et comme le plan de la transaction surnaturelle ; la douleur, pour en fournir l’élémentmatcriel.

Mais l’œuvre personnelle du Christ n’est pas le dernier mot de la Rédemption. Au prix objectif de notre rançon, doit répondre l’effort subjectif par lequel chacun fait sien le prix une fois versé. Aine de nombreux frères, le Christ veut retrouver en chacun d’eux le trait de famille, et les appelle à une réciprocité d’amour, condition nécessaire pour avoir part à l’adoption divine.

Cette coopération du fidèle, nécessaire au salut, doit se modeler sur l’œuvre du Christ. Uni au Christ par la charité, il conformera ses sentiments aux sentiments du Christ, Phil., ii, 5 ; il sera même prêt à accomplir en sa chair ce qui manque aux douleurs de sa passion, selon Col., i, a4 : paradoxe hardi, qui n’est pas tout entier paradoxe. L’Apôtre sait très bien que la satisfaction du Christ est, de soi, suffisante et surabondante ; mais il sait aussi que noblesse oblige et que, pour avoir part à l’héritage des enfants, le chrétien doit vraiment reproduire en lui les traits de famille. Le même amour filial, qui inspira la satisfaction de Jésus-Christ, doit pénétrer les cœurs des fidèles et les un ; r dans la vie, comme les membres d’un même corps mystique. Saint Thomas, III, q. 48, a. a, ad i" : Caput et meml /rn sunt qnasi una persona mystica ; et ideo satisfactio Christi ad omnes fidèles pertinet sicut ad sua membra.

L’oubli de cette coopération nécessaire a creusé un abîme entre le mystère du Christ et la doctrine protestante du salut. — Cf. Chr. Pbsch, S. J., Das Suhneleiden unseres goitlichen Erlôsers, p. 3a. 33. Freiburg i. B., 1916.

Il va sans dire que la théorie scolastique de la

satisfaction vicaire ne se présente pas comme une théorie parallèle à la théorie proprement dite de la rançon, et pour ainsi dire comme sa rivale. Elle ne se présente pas davantage comme parallèle à la théorie du sacrifice. On ne doit comparer que des choses comparables. Rançon, sacriiiee : données concrètes de l’Ecriture pour traduire le fait de la Rédemption, dans une langue particulièrement intelligible aux premières générations chrétiennes, mais qui n’est pas une langue morte. La théorie de la satisfaction vicaire ne se présente pas pour les supplanter, mais pour les encadrer.

L’idée de rançon, empruntée aux mœurs des sociétés antiques, n’a qu’une valeur sociale et historique, suffisante à amorcer la considération du mystère, impuissante à porter une analyse complète. L’idée de sacrifice, beaucoup plus élevée, beaucoup plus profonde, possède une tout autre valeur, celleci d’ordre religieux, et à l’épreuve du temps.

Dès le ve siècle, au Concile d’Ephèse, cette idée reçut une consécration dogmatique, avec le 10e anathématisme de saint Cyrille d’Alexandrie, D. B., iaa (8a) :

La divine Ecriture dit que le Christ est devenu le Grand-Prétre et 1 Apôtre de notre confession ; qu’il s’est offert pour nous en odeur de suavité a Dieu son Père. Si donc quelqu’un prétend que notre Grand-Prêtre et noire Apôtre n’était pas le Verbe même de Dieu, devenu chair et homme pour nous, mais proprement un homme né de la femme, distinct de lui ; ou s’il dit qu’il a offert son sacrifice pour lui-même, et non pas pour nous seuls — lui qui n’avait pas besoin de sacrifice, vu qu il ne connaissait pas le péclié ; — qu’il soit anathème.

Le principal reproche qu’on puisse adressera l’idée de sacrifice rédempteur, est de ne se révéler pleinement à nous que dans la réalité même qu’il s’agit ici d’analyser et de déûnir. En effet, le seul sacrifice vraiment digne de Dieu est précisément celui dont Jésus Christ fut tout à la fois le prêtre et la victime ; sacrifice qu’il ofTrit sur la croix, après avoir pourvu d’avance à sa pérennité par la célébration de la Cène. Les sacrifices de l’AT., et à plus forte raison les sacrifices des Gentils, n’ont qu’une valeur purement figurative ; le chrétien ne demandera point à ces ombres de sacriûce une définition pleinement applicable à la grande réalité du Calvaire. Ce serait commettre la même faute de méthode que commettent certains historiens des religions, quand ils empruntent les éléments de leurs définitions aux populations primitives — qu’on appellerait mieux dégénérées — et aux développements religieux les plus rudimentaires, au lieu de recourir d’abord aux religions les plus élevées et les plus pures, à celle surtout qui entre toutes possède une valeur transcendante.

L’Ange de l’Ecole s’est bien gardé d’une telle erreur, quand il appelait la mort du Christ un sacrifice très agréable à Dieu. III », q. 47, art. a : Quoddant sacrificium acceptissimum Deo. Le quoddant ne marque pas une dégradation de la notion générique, mais au contraire un agrandissement. On pourrait ici, empruntant le langage scolastique, parler d’analogie et dire que la mode du Christ est Vanalogum princeps in génère sacrificii. C’est ce qu’ont bien compris des auteurs modernes, qui ont souligné toute la différence entre les sacrifices impuissants et relatifs de l’AT. et celui du NT. Mgr Hbdlky, La Sainte Eucharistie, trad. Rondière, p. 196 : « Bien que jamais, avant le Christ, un sacrifice n’ait réalisé la notion absolue du sacrifice, maintenant que l’Incarnation s’est accomplie, la théologie catholique n’a pas de difficulté à voirce que doit être et ce qu’est un sacriûce absolu. » Phat, Théologie de saint Paul