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PURGATOIRE

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médiaire entre celui des élus dans le ciel et des damnés dans l’enfer ;

a° le caractère expiatoire de ces peines, qui possèdent une vertu purificatrice et ne constituent pas dès lors un simple délai de la récompense ; ’.î° la possibilité pour les lidèlcs de concourir par leurs œuvres méritoires et leurs prières, surtout par l’olFrande du saint sacrifice de la messe, à l’adoucissement de ces peines et par là même à la salisfaction exigée par la justice de Dieu pour la libération de ces âmes.

Le dogme du Purgatoire comprend ces trois points de doctrine, et ne s’étend pas au delà. Rien n’est défini touchant la nature de ces peines, si ce n’est qu’elles consistent avant tout dans la privation temporaire de la vue de Dieu, et c’est cela même, comme il est dit plus haut, qui constitue spéciliquementleur état. Quant aux éléments positifs, quant à la cause physique de leurs souffrances, la doctrine communément admise par les théologiens catholiques est qu’il faut recourir, pour en « voir l’explication, à l’existence et à l’action d’un feu puriGcateur. Mais ce n’est là qu’une doctrine théologique, dont la certitude même ne s’impose pas, quelles que soient les raisons solides qui l’appuient ; en tout cas, ce n’est pas une croyance consacrée par l’Eglise, et l’apologétique n’aurait pas à s’en occuper directement, si, précisément, certains adversaires, notamment un nombre toujours plus grand de théologiens orientaux, n’incriminaient l’orthodoxie de l’Eglise romaine en lui reprochant, comme une innovation dans la foi, la doctrine des théologiens catholiques sur le feu du Purgatoire, qu’ils considèrent comme une grossière erreur.

L’apologétique ne peut dès lors se désintéresser de cette question ; et pour répondre aux attaques des protestants qui suppriment le dogme du Purgatoire, des Grecs orthodoxes qui accusent l’Eglise latine de le dénaturer, nous avons à envisager dans cet article : i. l’existence du Purgatoire ; a. le feu du Purgatoire.

I. — EXISTENCE DU PURGATOIRE

A. Le dogme du Purgatoire etl’hérésie luthérienne. — Jusqu’au xn c siècle, on peut dire que l’Eglise romaine est restée en possession paisible de la doctrine traditionnelle sur le Purgatoire, telle qu’elle eut ensuite à la définir aux conciles de Florence et de Trente. AÉRius.auiv’siècle, avait nié, il est vrai, l’efficacité des suffrages pour les morts, Epipiianb, Adv. Hær., lxxv, 3, P. G., t. XLII, 508 ; quelques hérétiques orientaux, Arméniens et Nestoriens, s’en étaient pris, un siècle plus tard, à l’existence même du Purgatoire, et cette erreur avait été accueillie successivement par les Albanais et les Apostoliques, cf. S. Bbrnard, In Cant., lxvi, o-ii, P. L., t. CLXXXIII, 1098-1 100 ; puis par les Vaudois, les Henriciens, les disciples de Pierre de Bruys. Vaines attaques de groupements restreints, isolés, qui restèrent sans écho dans les âmes et ne font que plus nettement ressortir la tranquille possession de l’Eglise et non moins, fait intéressant poui l’apologétique, l’invincihle attachement des lidèles à une croyance chère entre toutes à leur cœur.

Quand, des bords de la mer Noire, la redoutable hérésie des Cathares, aux xu" et xiii’siècles, se répandit en Russie, en Bulgarie, dans presque toutes les provinces de l’Eglise grecque, puis en Italie, en France, en Espagne, en Flandre, en Allemagne, cette doctrine radicale, qui niait la justification interne, le mérite, l’etlicacité des sacrements, et revendiquait pour ses adeptes la non-imputabilité du péché, ruinait du même coup par la base toute la doctrine du

Purgatoire et semait partout ses erreurs. Le IV concile de Latran (ia15) eut raison de cette hérésie. Mais les germes semés devaient porter tôt ou tard leurs fruits et trouver dans le protestantisme une terre d’élection.

Il estremarquable quelesprédécesseurs de Luther, Wiclef et Jean Huss, qui tous deux s’inspirèrent des erreurs albigeoises, n’aient pas osé toucher, dans le renversement de tant de dogmes, à la doctrine traditionnelle du Purgatoire, tant leur crainte était grande de s’aliéner l’esprit des masses. Il fallut la sombre et farouche énergie de Luther pour venir à bout de cette croyance, et dans l’effroyable cataclysme qui ne laissa rien debout de l’ancienne religion, ni le dogme, ni la morale, ni le culte, la croyance au Purgatoire fut la dernière à disparaître, grâce à la résistance du peuple, qui ne perdait que lentement le sens de la justice divine et n’entendait point qu’on lui enlevât cette suprême consolation de prier pour ses morts et de faire quelque chose pour eux dans l’au-delà.

La genèse et l’évolution de l’hérésie luthérienne sont déjà, à eux seuls, une apologétique du dogme catholique.

Lorsque Luther, le 31 octobre 1017, afficha ses thèses contre les indulgences, il ne s’élevait pas encore ouvertement contre le Purgatoire, dont il prenait bien soin d’affirmer l’existence. Mais la question des indulgences engageait toute la question des suffrages et le dogme même du Purgatoire, tel qu’il est proposé à notre foi par l’Eglise. D’ailleurs, Luther s’en prenait déjà aux données traditionnelles sur l’état des âmes souffrantes, et l’attaque, pour être oblique, n’était pas moins perfide ni moins résolue. L’effort paraissait tendre à détruire le lien qui unit ces âmes aux vivants. Les mourants sont morts aux lois de l’Eglise : le droit canonique ne les atteint plus (Th. 13). La conscience de leur imperfection morale et de ce qui manque à leur charité comporte une grande crainte, et une telle crainte suffit à elle seule pour éteindre le feu du Purgatoire (Th. 14 et 15). Il semble, par ailleurs, de toute nécessité que, pour ces âmes, à mesure que la crainte diminue en elles, s’accroisse la charité (Th. 17). Et qui sait si toutes ces âmes, qui sont dans le Purgatoire, désirent bien leur délivrance immédiate (Th. 29) ? Die 95 Ablassthesen. Weimar, 1. 1, p. 233 sqq.

L’émoi fut grand dans toute l’Allemagne. Le novateur jugea opportun de s’expliquer dans ses Eclaircissements sur ses thèses, et il ne marchanda point son adhésion à l’existence du Purgatoire. « Mihi certissimum est Purgatorium esse. » Resolutiones dispulationis de indulgenliarum virtute, Weimar, 1. 1, p. 555. Luther corrigeait ainsi sa 15e thèse ; mais la question du Purgatoire restait au premier plan. Erasmb lui-même, qui approuvait tout le reste, avait élevé la voix, dans une lettre à Lang, du 17 octobre 1518, pour blâmer ces attaques malencontreuses. Gf.KôsTLiN-KAWBRAU, 7l/a ; <mA « </ier, Berlin, 1903, 1. 1, p. 270 sq. De partout retentissaient les plaintes. L’indignation des catholiques était extrêmeets’exhalait en termes véhéments contre « ce renard de Luther », qui dévastait la vigne du Seigneur. Cf. Jean Eck, De Purgatorio adversus Ludderum, Rome, 1523, Préface ; S. Pribrias, Dejuridica et irrefragabili veritatc Romanæ isccZesiae, Rome, 1017, p. 123.

Dans l’apologie qu’il publia en allemand vers la fin de février 1 5 1 9 en réponse aux attaques de Prierias et de Jean Eck, Luther, devant le peuple, se pose encore, mais à sa manière, en catholique orthodoxe. < Il faut croire ferme, e je sais que c’est vrai, que les pauvres âmes souffrent une peine indicible et qu’on doit les secourir par des prières, des jeûnes,