Page:Adhémar d'Alès - Dictionnaire apologétique de la foi catholique, 1909, Tome 4.djvu/242

Cette page n’a pas encore été corrigée

471

PROVIDENCE

472

vertueuse indignation. Ils supposent que leurs adversaires fondent l’efficacité de la grâce non sur la science et sur la volonté de Dieu, mais sur la liberté de l’homme, etn’ont pas assez de sarcasmes pour une invention si puérile '. Cette imagination méconnaît, de très bonne foi sans doute, le pointdu débat. Il est parfaitement vrai qu’un effet étant posé, quelle qu’en soit d’ailleurs la cause immédiate, cause créée ou Cause incréce, la non-position du même effet, dans les mêmes conditions, répugne métaphysiquemenl. C’est là justement ce qu’a voulu dire saint Thomas, et ce que nous venons de montrer dans son texte. D’ailleurs il a soin d’appuyer cette répugnance métaphysique sur les attributsde Dieu, premier principe de l'être. Mais il importe surtout de remarquer que saint Thomas ne met pas l’accent sur l’opération de la Cause première comme telle, mais sur le résultat. Nous n’avons pas davantage mis l’accent sur l’opération de la cause seconde comme telle, ce qui serait une autre façon de fausser la conception de saint Thomas. La distinction thoinis’e du sens composé ou divisé est une considération toute métaphysique, dominant toute hypothèse particulière quant à la nature des causes et attentive seulement à la réalité de l’effet. Nous avons écarté la prédétermination pt13'sique, comme étrangère à la question :e « n’est pas pour souligner la détermination propre de la créature, considération non moins étrangère.

L’immutabilité divine ou, en dernière analyse, le principe d’identité, voilà tout le fondement de cette distinction fameuse. Les attributs opératifs de Dieu sont hors de cause, et il n’y a rien, absolument rien, à en tirer pour ou contre la prédétermination physique. Rien non plus desaint Paul, Phil., ii, 13, etc.

Le dernier mot du magistère ecclésiastique, sur le p >int de doctrine ici engagé, est celui du Concile de Trente, sess. vi, can. 4, affirmant d’une part l’initiative divine dans la conversion du pécheur, d’autre part la liberté humaine sous la motion de la grâce efficace :

Si quis dixerit libertun hominis arbitr.itm, a Deo motum et excitatum, nihil rooperari assenliendo Deo

1. Tel est le sens que réfute MassouUÉ, ÛÏcui Thomas sui inlsrprss, Diss. 1, q. iii, a. 3, t. I, p. 161 :

Obserrandum est quant su^pnsi/n nem cj isiimaril S. 1 homas non lædsie voluntatem : de huius enim S. Doctoris mente potissimum hic quæritur. Ccrliim quidem est, neerssitatem ex suppositions non adpsrsari libsrtati ; id falsntur etiam omnes : al quasnaiu est ta tu/ipositio Ubertatis arnica ? Ea, inquiuiit plurimi, quæex ipsa potuntate et volunlatis libéra détenu inalioiif descendit : si enim poluntas petit, necessarium est ipsam pelle ; posilaque ea déterminations poluntalis, nécessitas est ex suppositions, sed nécessitas qune cum libellais coniungilur. — Sed in pi imis, quis in ea sententia srnsus tubesse potest, et philosopho dignus ? Si voluntas libère petit, necfssA".io quiotm, sed LUirkk VUI.T. An vtro iilud ssl tam grands arcanum quod intsr præcipua phitosophias arcana reponendum sa, $i lihere petit, libère suit, et illa nécessitas ex suppositions Ubertatis non aufsrl liburtalem ?… — La question nous paraît plus sérieuse que ne !e donnerait a entendre cotte diversion, et c est pourquoi nous croyons qu’il importe beaucoup de ne pas 1 lisser dévier le débat. Opération souveraine delà Cause première, ou opération subordonné » do la cause seconde, ce « ont là. effectivement, des entités profondément diOVren’es. Mais il ne s’agit pas, pour saint Thomas, de les

« omparer, pour aboutir a cette conclusion prodigieuse : Voluntas ricressario quidem, sed Ubere pull. Il s’agit tout

simplement do noter que la position soit de l’une soit de l’autre — indifféremment — est incompatible — incompossibilis — avnc sa non-position. Vérité effectivement peu nouvelle, mais toujours bonno à rappeler, comme il arrive, souvent dans la Somme, par exemple en matière de science divine. I : 1, q 1 i, a. 1 '? : Omne quod est, cum est, necssss est esse. C’est tout le fond du srnsus compositut.

excitanti et vocanti, quo ad obtinendam iustificationis gratiam se disponat ac præparet, ncque posse distendre si velit, sed veluti inanimé quoddam niliil (imnino agere mereque passive se habere, A. S.

Il existe de ce texte, depuis la lin du seizième siècle, deux interprétations divergentes, qui s’inspirent respectivement des deux commentaires donnés par deux écoles au sensus compositus et divisas de saint Thomas.

Selon la première, l’homme cède librement à la motion de la grâce efficace parce que M sensu diviso, en l’absence d’une telle grâce, il pourrait se dérober. Ainsi Alvarez, De auxiliis diminue gratine… Summa, II, xi, 6, p. a81, Lyon, 1620 ; Massoulié, BsWuê Thomas sui interpres 2, t. I, Disp. ii, q. g, a. 3, p. 4 1 1 * Rome, 170 ;  ; i)BL Prado, De Gratia, t. II, p. 84, Fribourg, 190 ;.

Selon la seconde, l’homme cède librement à la motion de la grâce efficace parce qu’il pourrait se dérober, in sensu composito, sous la motion de grâce qui actuellement le sollicite. Avouons que nous ne saurions comprendre autrement le texte du Concile.

Sur la rédaction de cette définition conciliaire, une légende est née au commencement du xvue siècle et s’est développée au xx B. On peut la croire morte. Ainsi qu’en témoignent les Acta Tridentina, édidion de la Gorresgeselhchaft, t. ii, p. 433, 15. iG ; p. 44*J, 17-20 ; p. Ibi, 1-3, des observations s'étaient produites, dans les discussions préparatoires, non pas sur le fait de la motion divine, mais sur l’inconvénient d’une rédaction hâtive, qui parut compromettre le caractère intellectuel de la foi. Le Concile fit droit à ces observations, le fait de la motion divine demeurant hors de cause. Il n’y avait, dans cet incident sans portée, aucune anticipation des débats qui s'élevèrent à la fin. du xvie siècle sur l’accord de la notion divine et de la liberté créée. — Voir, à ce propos, une noie intitulée : Lajnea et Molina, dans Recherches de Science religieuse, 1920, p. 92-95.

Résumons les positions diverses des écoles catholiques, et mettons fin à ce trop long excursus.

On s’accorde à reconnaître que la grâce ellicace est la grâce conjointe, selon l’intention divine, au consentement de l’homme. On s’accorde également à reconnaître, avec saint Thomas, qucl’intention absolue de Dieu est indéfectible, I a II æ, q. 112, a. 3 : Potest considerari (præp nutiu hominis) secundum quod est a Deo movente ; ai tuuc hahet necessilntem ad id quod oïdinatttr a Deo, non quidem coaclionis, sed infalliiiilitatis, quia intentio Dei de/icere non potest. Si néanmoins on discute, c’est que l’intention divine efficace peut être considérée à deux stades différents de sa réalisation.

Ou bien l’on s’attache à considérer la motion divine comme telle, dépouillée de toute ambiance, abstraction faite de la détermination par laquelle l’Iionimey conforme-on libre arbitre : in sensu diviso détermina tionis humanité.

Ou bien l’on considère la motion divine dans sa réalité concrète, emportant le consentement de l’homme : in sensu composito détermination' s huma nue.

Les deux points de vue sont légitimes. Mais ils entraînent des conséquences différentes quant à la propriété du langage théologique touchant la grâce 1 ilicace.

Si l’on s’attache au premier point de vue, an point de vue abstrait et a priori, on pourra parler de motion efficace ab inlrinseco, mais à une condition : c’est que la détermination humaine soit, de sa nature, superflue à l’efficacité de la grâce.