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PROVIDENCE

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minaliun physique caractérise l’action de Dieu dans la brute et s’oppose à l’action de Dieu dans la volonté libre. Le champ d’opération de la brute est limité par la détermination qu’elle reçoit de la Cause première ; au contraire, le champ d’opération de la vol >nté libre demeure ouvert aux déterminations qu’elle peut se donner à elle-même. III C. G., lxmii, 1 : In rébus inanimatis, causarum eontingentia ex imperfection » et defectu est ; secundum enim suant naturam su/it determinatæ ad unum effectum, que m scmper consequuntur, nisi sit impedimentum, vel ex delnUtate virtutis velex aliquo exteriori agente, vel ex materiæ dispositionc ; et propter hoc causae naturales agentes non suittad utr unique, sed ut frequentius eodem modo suuni effectum producunt, deficiunt autan raro. Quod autem voluntas sit causa contingens, ex ipsius perfecliune provenit, quia non halni virtutem limitatam au unum, sed habei in potestatc producere hune effectum vel illum, propter quoa’est contingens ad’utrumlibet. Ce n’est pas trahir la détermination de la créature, que de la concevoir un peu comme une canalisation de la motion divine’ ; il suflit de ne pas trop presser ce grossier symbole. Réellement, il dépend du libre arbitre de s’écouler ou non sur telle pente que Dieu lui ouvre. Certains auteurs s’imaginent qu’en revendiquant pour l’homme la propriété exclusive de sa détermination, on va contrôla doctrine de saint Paul (PhiL, il, 13) : Operatur in nobis et velle et perfïcere ; ou bien que l’on ne rend pas justice à la grâce de Dieu, qui, en couronnant nosmérites, couronneses propres dons ; ou encore, que l’on méconnaît l’influence très spéciale de Dieu dans l’acte libre posé sous l’influence de sa grâce. Assurément ces craintes ne sont pas fondées. Elles procèdent d’une analyse incomplète de l’acte libre et d’une confusion entre l’inclination de la volonté par Dieu et sa détermination par l’homme ; confusion que saint Thomas s’est appliqué à dissiper en exposant, à la suite de saint Jean Damascène, la distinction entre l’inclination de la volonté (voluntas) et le choix du libre arbitre (liberum arbitrium ; vis electiva) ; distinction exactement parallèle à celle qui existe entre l’intelleclion et le raisonnement discursif (I a, q. 83, art. 4 ; coll. 79, art. 8). La volonté et le libre arbitre ne sont pas deux facultés distinctes ; non plus que l’intelligence et la raison ; mais l’inclination delà volonté est une chose, la détermination du libre arbitre en est une autre. Dieu donne la volonté ; il la pourvoit d’inclinations naturelles et y surajoute des inclinations de grâce, qui, obéies, porteront l’homme à se déterminer s-slon l’inclination mêmedcDieu, de manière â rendre Dieu maître de son libre arbitre ; négligées, elles laisseront l’homme à la merci d’inclinations de nature, pl116 ou moins tyranniques, qui pourront l’entraîner loin de Dieu. De part et d’autre, la détermination de la volonté est une adhésion de l’homme à une inclination qui vient de Dieu, soit auteur de. la grâce, soit auteur de la nature. Dans le premier cas, il est clair qu’elle se produit selon Dieu ; dans le second, elle peut seproduire contre Dieu, principe de l’ordre moral. Cela suflit à mettre une différence profonde entre l’une et l’autre détermination. Mais ni pour l’une ni pour l’autre, l’homme n’utilise de force vive qu’il n’ait reçue de Dieu. L’adhésion à la motion de grâce, qui assure l’empire de Dieu sur le libre arbitre, est une détermination de l’homme, aussi bien que l’adhésion aune motion contraire. Même dans le cas limite

1. En ce sons, Bki.laumim parlo Je dticniiiiiatio ne » atit>a de la créature par elle-rnème. De graèi* el libero mrbitrio, IV. xvi ; dans Controversiae, e I. Colon. Agri|>p. I(il9, t.. IV, p. RM) I) ! ’, () ! C. — Voir aussi V Auctarium lit Uarminianum pnUié par le R. P. Le Baciijci « t, p. 97. Paris, 1913.

où il n’existe qu’une motion, la motion de grâce, et où l’homme y adhère pleinement el de toutes ses forces, le nom de détermination du libre arbitre demeure acquis à ce concours p’énier de l’homme, qui l’assujettit simplement à Dieu, auteur de tout le vouloir.

Que l’intrusion d’un prédéterminisme physique danslamétaphysique de l’acte libre, d’où saint Thomas l’avait si soigneusement exclu, y ait causé une perturbation profonde, cela paraît évident *. Nous ne l’avons rencontré nulle part chez lui, pas même dans ce texte, cité avec complaisance, De malo, q. vi, a. 1 ad 3 :

Animalia bruta moventur per instinctum superioris agentis ad aliquid determinatum secundum modumformae particularis, cuiusconceptionem sequitur appetitus sensitivus. Sed Deus movet quidem voluntatem immutabiliter propter efficaciam virtutis moventis quæ defxcere non potest ; sed propter naturam voluntatis motae, quæ indiff’erenter se kabet ad diversa, non inducitur nécessitas, sed manet libertas : sicut etiam in omnibus Providentiel divina infaUihiliter operatur…

Pour caractériser l’action de Dieu sur la brute, mue par instinct, saint Thomas a parlé de déterminisme physique. Passant au cas de la nature raisonnable, il cesse de parler ainsi ; il parle de motion infailliblement eflicace, et il assigne la raison de cette efficacité infaillible : c’est l’exacte adaptation de la motion divine à la nature de la volonté libre. Cette exacte adaptation n’est pas quelque chose de créé qui passe dans la créature ; c’est affaire de Piovidence. Propter efficaciam Virtutis moventis… Providentia divina infallibiliter operatur. Dieu meut infailliblement la volonté, dont il connaît à fond les ressorts. Il est bien sûr que, si la volonté se détermine librement sous la motion divine infaillible, c’est que Dieu la meut, selon sa nature, à se déterminer librement ; mais justement, s’il la meut, selon sa nature, à se déterminer librement, c’est qu’il ne la détermine pas.

L’effort de saint Thomas tend à exclure du concept de l’acte libre l’idée d’une détermination physique procédant de l’extérieur, c’est-à-dire ici de Dieu, seule cause extérieure qui soit en vue. Une telle idée implique contradiction, l’acte libre étant celui-là seul qui procède des principes intérieurs de l’être. Cette doctrine, renfermée dans tous les passages que nous avons cités, revêt une forme saisissante dans le texte suivant, où saint Thomas prouve contre Pierre Lombard que l’acte de charité ne peut être excité dans l’âme par le Saint Esprit sans le concours de la charité infuse. Cela répugne métaphysiquement, parce que l’acte de charité est essentiellement un acte libre, et donc ne peut provenir totalement d’un agent extérieur (le Saint Esprit). De Caritate q., a. 1 : Aclus qui excedit totam facilita te m huinanæ naturae, non potest esse honiini voluntarius, nisi superaddatur naturæ humanae aliquid intrinsecum voluntatem perfieiens, ut talis actus a principio intrinseco proveniat… Sic igitur, si anima non agit actum caritatis per aliquam formam propriam, sed solum secundum quod est mota ab exteriori agente, se. Spiriiu sanclo, sequeliir quod ai hune actum se habeat ut instrumentant tantuni ; non ergo in homine erit hune actum agere vel non a gère ; et ita non poterit esse meritorius : hæc enim sola mrritoria sunt, quæ in nobis aliquo modo sitnt.

1. Tel n’était pas, assurément, l’intention de ceux qui l’introduisaient. On peut lire è ce sujet MaSsoui ik, D " « j Thomas su ! inlervres. I. 1, p ~’-i sqq., reproduit par l’.i ; cihald, Démente S. Concilii Trideiilini, p. 19 sqq.