Page:Adhémar d'Alès - Dictionnaire apologétique de la foi catholique, 1909, Tome 4.djvu/231

Cette page n’a pas encore été corrigée

449

PROVIDENCE

450

fournit le moyen — le seul — de concevoir ce qui, autrement, apparaît contradicto ire : comment Dieu, qui veut réellement le salut de tous les hommes et qui dispose de moyens infaillibles pour amener lenrs volontés à ses lins, laisse nénnmoins des hommes aboutir librement à leur perte éternelle. C’est que l’action delà Causalité divine ne doit pas élre conçue comme uneattraction irrésistible de tous les êtres vers Dieu, cause linale. Elle ne doit pas davantage. être conçue commeune pousséeirrésistible d’énergie, par laquelle Dieu, cause efficiente, réaliserait toutes les indications de sa volonté toute-puissante, en y pliant simplement toute autre volonté. Elle doit êtrr conçue d’abord comme la détermination idéale, puis comme la réalisation exacte d’un ordre concret de Providence, comportant diverses déterminations plus ou inoins capricieuses, plus ou moins perverses, de » volontés créées.

Parmi les déterminations des volontés créées qui entrent dans la trame d’un ordre de Providence, les unes sont positivement voulues de Dieu, les autres simplement permises. Celles que Dieu veut positivement et provoque, procèdent de la volonté par laquelle il pousse tous les hommes au salut. Celles qu’il permet seulement, détournent l’homme de son salut et peuvent l’en faire déchoir définitivement.

Que de tels écarts se produisent, c’est une nécessité inhérente au don de la liberté, fait à un grand nombre de créatures. Et cette considération d’ordre général suffit à rendre raison de l’existence du mal moral dans le monde. Mais l’extension du mal moral en cette vie et ses conséquences effroyables dans l’au-delà ne permettent pas de s’en tenir à cette réponse abstraite. L’article Prédestination, en affirmant l’universalité d’une volonté divine antécédente, relative au salut de tous les hommes, a laissé en suspens des questions qu’il peut être bon de reprendre ici.

Ni dans l’intention première de Dieu, ni dans sa puissance d’exécution, nous ne trouvons la raison prochaine des défaillances par lesquelles nombre de créatures libres se frustrent elles-mêmes du salut éternel. Car, d’une part, l’intention première de Dieu, selon l’enseignement de la foi catholique, appelle tous les hommes sans exception au salut éternel ; d’antre part. Dieu dispose d’une puissance d’exécution infinie, et donc infaillible en ses réalisations. Pour trouver la raison prochaine de ces défaillances, que fant-il ? Descendre à l’analyse d’un ordre particulier de Providence, et considérer, dans cet ordre de Providence, le jeu de la liberté créée.

La liberté créée ne saurait poursuivre que le bien intelligible. Mais, mise en aete, par l’attraction de la Fin dernière, quant à la poursuite du bien en général, elle demeure libre de restreindre et de spécifier son action, de la déterminer par le choix de tels biens particuliers — réels ou apparents, — de préférence à tels autres. Cette puissance de se déterminer elle-même est justement ce qui distingue la créature raisonnable et libre des autres êtres, prédétermines par l’inertie de leur nature ou par l’instinct sensible à telles séries d’opérations. La créature libre exclut, par son propre choix, tels biens qu’elle renonce à poursuivre ; elle fixe son choix sur d’autres. C’est ainsi qu’elle se réduit en acte, non certes par une action indépendante de la Cause première, source totale de son activité, mais par une action élective, relativement à la motion générale delà Cause première ; action qui n’ajoute à cette motion générale rien de positif, mais qui, en l’utilisant, la restreint plus ou moins et la détermine à de certains contours. Soit que l’on considère dans la Cause première l’ensemble des attractions qu’elle

Tome IV.

exerce, soit que l’on considère l’ensemble de son action réalisatrice, on rencontre le point d’insertion et le point d’application de cette action élective

« xercée pnr la cause seconde. Saint Thomas développe

largement ces vues : sa doctrine, touchant la détermination des futurs libres, peut se ramener à trois chefs, que nons croyons devoir exposer avec quelque détail.

Saint Thomas : i° parle souvent de prédétermination idéale des possibles par l’exemplarisme divin ; 2 » Il ne parle jamais de prédétermination physique des actes libres de la créature par la Cause première ; il ne prononce pas le mot et il exclut la chose ; 3° Il parle d’une détermination du concours divin par la cause seconde, dans un sens qu’il faut expliquer.

i° Quanta la prédétermination idéale des possibles, les textes abondent ; en voici un, qui a l’avantage de mettre en pleine lumière cette individualité d’ordre idéal, que nous avons revendiquée pour les divers ordres de Providence.

S. Thomas, Inlib. De divinis nominibus, c. v, lect.3 : …Hoc est ergo quod dicit, quod exemplaria dicimus esse non res aliquas extra Deum, sed in ipso intellectu divino quasdam existentium rationes intellectas, qitæ surit substantiarum factivæ et præexistunt in Deo singulariter, i. e. unité, et non secundum aliquam diversitatem ; et huiusmodi rationes sancta Scriptura vocat prædiffiniiiones, sive prædestinationes, secundum illud. Rom, , viii, 30 : Quos prædestinavit, hos et vocavit ; et vocat etiam eas divinas et bonas voluntates, secundum illud Ps. ex, a : Magna opéra Domini, exquisita in omnes voluntates eius. Quae quidem prædiffinitiones et voluntates surit distinctivae

« ntium, et effectivæ ipsorum : quia huiusmodi

rationes supersubslaiitialîs Dei essentia prædeterminavit et omnia produxit.

Saint Thomas s’attache ici au texte du Pseudo-Denys. De même De ver., q. iii, a. i. Ailleurs il s’attache au texte de saint Jean Damascène, et c’est pour souligner le sens d’inéluctable nécessité que comporte, à ses yeux, le mot prædeterminare. I a, q. a3, a. i ad i m : Dam/iscenus nommai prædeterminationem impositionem necessitatis ; sicut est in rébus naturalibus quæ sunt prædeterminatæ ad unum. Quod patet ex eo quod subdit : « Non enim vult malitiam neque compellit virtutem. » Unde prædestinaiio none xcluditur. De même III C. G., xc. — Voir encore Quodlib., xii, q. 3, a. 4 ; I’, q. 19, a. 4 : Necesse est ut agenti per naluram prædeterminetur finis et média necessaria ad finem ab aliquo superiori intellectu ; sicut sagittæ prædeterminatur finis et certus motus a sagtttante. — In I Tim., 11, lect. a ;

fil ÏS., XXXVII.

Nous choisissons à dessein les textes (très rares) où saint Thomas use du mot prædeterminare. Quant à l’idée de cette prédétermination idéale, elle revient très souvent sous divers noms. Par exemple, I a, q. 62, a. q : In unoquoque motu motoris intentio fertur in aliquid determinatum, ad quod intendit perducere mobile. — De veritate. q. viii, a. ia : Omnes… effectus, qualescumque sinl eorum causæ prnximae, tamtn in Causa prima omnes surit dcterminati f quae sua præsentia omnia intætur et sua providentia omnibus modum imponit.

On ne saurait marquer en termes plus clairs l’efficacité souveraine du déterminisme providentiel.

Il ne semble pas nécessaire d’insister longuement sur une idée qu’on ne discute guère et qui se rattache essentiellement à la considération de l’exemplarisme divin. Ces pruediffiriitioiics ou prædeterminationes idéales sont tout entières en Dieu.

: >° Saint Thomas n’admet pas, et même il exclut, 

l’idée d’une prédétermination physique de la volonté

15