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PROVIDENCE

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avec suavité. Un acte de foi à ces vérités dispose lame à l’adoration et à la prière confiante. Les développementsdonnésci-dessusàl’article Prière nous dispensent d’insister.

Il n’en est pas moins vrai que cette « suavité du gouvernement divin » peut, à certaines heures, sembler une ironie amère pour l’homme aux prises avec l’expérience de la vie. Dépourvu du sentiment présent de la divinité, en contact avec la réalité du besoin et de la souffrance, il peut se prendre à douter de Dieu ; le chrétien lui-même peut être tenté de trouver la terre bien sombre, le ciel bien lointain, et de se demander s’il n’est point un orphelin icibas. Le problème de l’origine du mal livre à sa raison et à sa foi de terribles assauts.

Parmi les apologistes chrétiens. Lactancb s’occupa, l’un des premiers, à venger la Providence en montrantson action dans la nature et dans l’histoire. Ce dessein remplit toute son œuvre./*. L„ VI et VII. Nous renverrons à nos troisarticles de la Revue pratique d’Apologétique, t. XXIX, nov. déc. 1919 : Lan> tance. Un apologiste laïque de la Providence au ive siècle. — Beaucoup d’autres ont repris ce thème et l’ont traité avec plus de profondeur, dans des écrits toujours dignes d'être médités. Par exemple, saint Grkgoirb db Nazianzb dans plusieurs homélies : Or., iv, v, xiv, P. G., XXXV ; Or., xxviii, xl, P. G., XXXVI ; saint Augustin dans la Cité de Dieu ; Hossuet, soit dans le Traité de la Connaissance de l> : eu et de soi-même, soit dans l' Histoire universelle, soit encore dans la Politique tirée de l’Ecriture suinte. Ce dernier ouvrage remonte à la doctrine des Proverbes et en fait l’application à tout le détail de notre vie, 1. VII, ; prop. :

« L’homme prépare son cœur, et Dieu gouverne sa langue… L’homme dispose ses voies, mais Dieu conduit ses

pas. » (Prov., xvi. 1, 9.) On a beau compasser dans son esprit tous ses discours et tous ses desseins, l’occasion apporte toujours je ne sais quoi d’imprévu ; en sorte qu’on dit et qu’on fait toujours plus ou moins qu’on ne le pensait. Et cet endroit inconnu à l’homme dans ses propres actions et dans ses propres démarches, c’est l’endroit secret par où Dieu agit, et le ressort qu’il remue…

II. La Providence et le mal physique — C’est ici le premier degré de l’objection. On sait qu’il arrêta longtemps le génie de saint Augustin, prisonnier de la chimère manichéenne Rien, en effet, nes’oppose plus directement au dogme de la Providence que l’hypothèse d’un conflit éternel entre deux principes indépendants. Il n’y avait d’autre issue que le recours à une saine métaphysique, expliquant correctement les relations entre l'être et le non-être, entre le bien et le mal. Si l'être et le bien ne font qu’un, le mal ne saurait être le terme d’une production distincte, mais une pure déficience accidentelle dans l'œuvre du Suprême Ouvrier. Et la déficience accidentelle ne saurait être voulue pour elle-même, mais seulement pour le bien de l’ensemble. Une fois en possession de cette vérité, Augustin l’exposa en maints ouvrages. Par exemple, Enchiridion, vi, P. /.., XL, a36 : Deus omnipotens, cum summe bonus sit, nullo modo sineret malt aliquid esse in operibus tuis, nisi usque adeo esset omnipotens et bonus, ut bene faceret et de malo. Quid est outrm aliud quod malum dicitur, nisi privatio boni />… Si le mal n’est rien qu’un défaut de l'être, il présuppose l'être et s’y fonde. Saint Thomas creusera cette idée. la, q. ^8, a. 1 : Quid sit malum, oportet ex ratione boniaccipère… Esse et perfectio cuiufcunu/ue naturæ rationem habet bomtatis. Unde non potest esse quod malum signifiât quoddam esse, aut quandam formant seu naluram. Relinquitur ergo quod nomine mali

signi/icetur quædam absentia boni. — Cf. ibid., a. 2 et 3. ; De Malo quæsliones disputatæ.

D’où il suit qu’un moyen radical de supprimer le mal de la nature, serait de supprimer la naturer elle-même. Dieu, qui pourrait prendre ce moyen, ne le prend pas toujours. Si, pour des lins de lui connues, il préfère à la non-existence de la nature son existence amoindrie par le mal, l’homme doit étrfc* demment soumettre sa courte sagesse aux desseins de la divine Providence.

Le don de l’immortalité, accordé par privilège gratuit à l’homme innocent, laissait, en dehors du règne humain, libre cours aux lois générales de la nature. Retombé, par la faute originelle, sous la loi commune delà mort, l’homme conserve, de son premier patrimoine, d’assez beaux restes pour pouvoir encore louer la libéralité de son Créateur.

La maladie et la mort, qui préparent et consomment la destruction de l’individu, dans une espèce vivante, sont des maux au regard des individus. Au regard de l’espèce, elles sont la loi même de sa conservation, par le renouvellement des générations successives. Faut-il reprocher à Dieu cette loi ? Ce serait impertinence et ingratitude. Pour des êtres incorruptibles, tels que les anges, la conservation de l’espèce est assurée parla création d’un seul individu ; pour les êtres- périssables que nous sommes, elle est assurée par le renouvellement des générations. Reprocher à Dieu d’avoir fait des êtres périssables, serait substituer, avec peu de sagesse, nos courtes vues aux vues de la Providence. Dès lors, on entrevoit comment la douleur — seul mal physique dont l’existence crée une réelle difficulté — peut trouver place dans l'œuvre d’un Dieu infiniment bon.

Si, dépassant le domaine physique, on considère le retentissement de la douleur dans le domaine moral, la justification de la Providence apparaît plus éclatante.

Laissons hors de notre perspective les mauxlointains et les sanction* d’outretombe ; oublions que les anciens même onteru au Tartare ; que le pécheur, insensible aux appels de la justice, ne réussit pas toujours à étouffer la crainte des jugements de Dieu ; qu’il voit dans son impénitence un gage trop certain de la sentence inexorable qui l’attend au sortir de ce monde, pour le livrer au feu éternel, selon l’Ecriture {Mat., xxv, /( 1), et à cette seconde mort qui, plus encore que la première, est la solde du péché (Rom., vi, a3). Sans porter si loin nos regards, il est facile de constater que la douleur apporte à la loi morale un renfort non négligeable.

La douleur, qui contrarie l’inclination de la nature sensible, ne laisse pas de coopérer efficacement au maintien ou au rétablissement de l’ordre universel, parce qu’elle apporte un appui au commandement divin et un exe.ciee à la vertu. Cette vérité, acceptée cordialement, dispose l'àme aux sacrifices nécessaires et l’arme contre les suggestions déprimantes du Pbssimismb (voir ce mot).

1. La douleur apporte un appui au commandement divin. — Car, en fait, la douleur est souvent un effet du mépris dece commandement. Le vice traîne après lui des maladies cruelles, la ruine et le déshonneur. La société réprime les actes criminels par diverses peines : privation des biens, de la liberté, parfois même delà vie. La perspective de ces maux, et d’autres semblables, opposera souvent, à l’entraînement du mal moral, un frein salutaire. Qu’un tel frein ne fonctionne pas automatiquement, que beaucoup d’excès demeurent impunis en ce monde, que beaucoup de crimes échappent à la vindicte publiqur ; cela montre l’imperfection et l’insuffisance des simulions terrestres, non leur inutilité.