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PROPHÉTISME ISRAÉLITE

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IX. Les Prophéties messianiques. — Voir ce Dictionnaire t. II, col. 1614-1651.

X. — Les Prophètes et le Socialisme

Les Prophètes d’Israël sont les défenseurs du droit et de la justice, les protecteurs des faibles contre les exactions des puissants et des riches insatiables. On connaît assez l’histoire de la vigne de Naboth et les terribles menaces proférées à ce propos par Elie contre le roi Achab (I (III) Reg., xxi). Quant aux prophètes des siècles suivants, c’est presque à chaque page de leurs écrits que l’on rencontre la condamnation de diverses sortes d’injustice. Amos adresse de vigoureuses remontrances à ceux qu’il appelle « tyrans du juste, preneurs de rançons, oppresseurs du pauvre » V, 12),

Qui ont vendu le juste à prix d’argent,

Le pauvre pour une paire de sandales. (11, 6).

Isaie dénonce la perversion de Jérusalem (1, 23). Il menace les grands qui s’enrichissent aux dépens des pauvres, et qui étendent indéfiniment leurs domaines, ceux qu’on appellerait aujourd’hui c capitalistes accapareurs » (v, 8). Hardiment il attaque la pire injustice, celle qui revêt les formes légales (x, 1, 2.).

On lit des accusations du même genre dans les prophéties de Michée, contemporain d’Isaïe (ni, 112), et un siècle plus tard, dans les écrits de Jérémie (v, 26, 27). Tel, le terrible réquisitoire contre le roi Joakim (xxn, 13).

En face de ces textes lus hâtivement et mal compris, plusieurs auteurs, à In suite du juif Karl Marx, ont vii, dans les prophètes de l’Ancien Testament, des précurseurs du socialisme. « Les Juifs, écrit M. Gustave Lb Bon, ont également connu les revendications des socialistes. Les imprécations de leurs prophètes, véritables anarchistes

« le l’époque, sont surtout des imprécations contre la

richesse » (Psychologie du socialisme, Paris, 18y8, ]>. 12). Dans un livre récent, qui a eu du succès, (Le Problème Juif, Paris, 1921, 6e édition), M. Gkorgks Batault signale souvent le « fanatisme » des prophètes hébreux, leur « esprit de révolte », leur attitude

« révolutionnaire », leur messianisme socialiste.

Déjà, au yeux de Bbxam, Jérémie était un

« fanatique », un « agitateur », « radical démolisseur

», auteur de « proclamations furibondes » et de « pièces incendiaires » (Hist. du Peuple d’Israël t. III, passim).

Si, pour être socialiste et anarchiste, il suffit de protester contre des abus, de combattre les exactions, les usurpations des grands et des riches, nous trouvons un précurseur du socialisme, bien avant les prophètes d’Israël, dans Ouroukagina, roi de Lagas, 3.ooo ans avant Jésus-Christ : ce roi réduisit diverses redevances et tarifs, il supprima les privilèges exorbitants qu’une classe puissante s’était arrogés. Socialistes aussi les Pères de l’Eglise, principalement S. Je « n Chrysostome ; et les prédicateurs chrétiens de tous les temps, qui s’élèvent avec force contre l’excès des richesses.

Un peu de réflexion fait voir facilement que le socialisme, au sens actuel de ce mot, ne consiste pns seulement à dénoncer les abus réels de la société, comme l’exploitation de la classe pauvre par la classe riche, la rémunération insuffisante du travail, etc., mais à chercher le remède de ces maux dans une reconstitution de la société sur de nouvelles bases économiques. Essentiellement révolutionnaire, le socialisme veut renverser l’ordre social existant, pour mettre à la place un ordre nouveau fondé sur une conception différente de la propriété. Or — c’est une chose très remarquable chez les prophètes de

, l’Ancien Testament — malgré leur profonde indignation en face des injustices où ils voyaient à la fois une odieuse exploitation des pauvres et un outrage à la loi de Dieu, malgré l’autorité divine dont ils étaient revêtus, jamais ils n’ont prononcé un mot pour exciter les opprimés à tirer vengeance des oppresseurs, jamais une parole pour entraîner le peuple à la révolte contre l’ordre établi. L’idéal des socialistes, le nivellement des classes, l’anarchie est, aux yeux d’Isaïe, un châtiment qui frappe Jérusalem, pour lui faire expier les exactions commises par ses chefs (m, i-15). En condamnant l’injustice et la rapacité des accapareurs, les prophètes israélites n’ont jamais eu l’idée que le remède à ce mal consistait à supprimer la propriété privée. Ils décrivent le règne de la justice aux temps messianiques sans songer le moins du monde à une répartition égale de tous les biens entre tous les citoyens (Mich., iv, 4 ; Is„ lxv, 2 1-23 ; et pour l’époque qui suivra la délivrance de 1 exil, Jer, xxxii, 40-44) Bien loin d’attiser l’envie et les convoitises du peuple, la prédication prophétiqueexhorteà la pratique de la justice, à l’observation du décalogue (Ain., v, 24 ; Js., 1, I5-I 1 ;  ; Ver., vi, 6-8 ; vii, 8 sqq. ; xxii, 3 ; Ez., xxxiii, 12-20) ; elle tend à procurer l’amélioration de la société par l’amélioration morale des individus. Le socialisme suit une marche inverse : pour améliorer le sort des individus, il met toute sa confiance dans l’action bienfaisante de l’Etat ; et d’ordinaire, au lieu de prendre la religion comme auxiliaire, il la traite en ennemie. (Voir Franz Waltbr, Das Prophetetithuni des Allen Bundes in seinem socialen Berufe, dans Zeilschrift fier katholische Théologie, 1899. p. 385-422, 5^-604).

Le grief principal de M. Batault contre les prophètes, c’est leur « monothéisme exclusif », d’où leur intolérance. « Il résulte de tout cela que l’exclusivisme est à la base de toute action du prophète, que tout en provient et que tout s’y rapporte : l’esprit de révolte, la démagogie, l’appel à la justice sont des armes qu’il manie… » (p. Il 1). — Jusqu’ici on regardait le monothéisme comme exclusif, essentiellement et par définition, puisqu’il est la croyance en un Dieu unique et que l’unité exclut la pluralité. Le raisonnement du prophète Elie paraissait concluant :

« Jusques à quand clocherez-vous des deux

côtés ? Si Iahvé est Dieu, suivez-le ; si c’est Baal, suivez-le ! » (III Reg-, xviii, 21). Cette logique n’est pas du goût de M. Batault, apôtre de la tolérance.

« L’intolérance, procédant directement de l’exclusivisme

religieux des Israélites, est une invention juive, et purement juive, dont a hérité le christianisme qui l’a transmise au monde moderne. Pour leur part, les Grecs et les Romains ont tout ignoré de ce sentiment… » (p. 85). Celte assertion, appuyée sur un passage du roman-pamphlet Orpheus, néglige des faits historiques importants. Dans le Dictionnaire des Antiquités grecques et romaines, article Asebeia, M. E. Caillrmbr énumère bon nombre d’actes qui pouvaient être compris sous le non général d’asebeia : « Beaucoup de philosophes et de citoyens libres penseurs furent, à raison de faits de ce genre, traduits devant les tribunaux et poursuivis comme coupables d’impiété » I, p. 465) « En }iô, un décret mettait à prix la tête de Diagoras, pour cause d’athéisme ; en 411, Protagoras était banni d’Athènes et ses livres brûlés sur l’agora ; en 399, Socrale était condamné à boire la ciguë » (J. Huby, dans Christus : La Religion des Grecs, v ; 191 6, p.’17147a).

Enfin, l’irréligion, dont M. Ratault se fait un titre à l’impartialité, le met dans une situation fausse et l’empêche de rien comprendre à l’œuvre des pro.