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PROPHETISME ISRAELITE

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prophètes Israélites est un fait de la plus grande importance. Nous voyons là des hommes qui ne peuvent pas trouver d’expressions assez fortes pour représenter la puissance et la majesté de Ialivé, qui ont un sentiment vif et profond de leur néant devant lui ; néanmoins, malgré la distance qui les sépare de lui, ils déclarent solennellement qu’ils sontadmis à ses conseils et transmettent sa parole. » De quelle impulsion parlent-ils ? de quelle sorte de communication divine ? « Ne serait-il pas possible, demande Kuenen, de laisser les prophètes eux-mêmes répondre et s’expliquer sur le point capital de leur prédication ; puis, de préciser d’après cela ce qu’il faut entendre par « la parole de Iahvé » ? Sans doute, on pourrait procéder ainsi et, avant tout, étudier leurs écrits de ce point de vue. Néanmoins, [je souligne| nous avons de graves raisons pour ne point adopter cette méthode, et pour déterminer plutôt nous-même le point principal sur lequel doivent porter nos recherches » (The Prophets and Prophecy in Israël. An Historical and Critical Enquiry, p. 90-91, 76, 94). Il fait porter son enquête sur la réalisation des prédictions ; nous le suivrons plus loin sur ce terrain ; mais d’abord analysons cette conviction des prophètes qui paraît l’embarrasser.

Il est inadmissible que, pendant une suite de plusieurs siècles, et toujours dans les circonstances les plus graves, un Israélite quelconque ait pu adresser au roi des reproches et lui tracer une ligne de conduite, accuser de prévarication les grands ou le peuple, dénoncer les prêtres coupables, en se déclarant l’envoyé de Dieu, sans être mis en demeure de produire les titres authentiques d’une mission aussi importante. Evidemment il ne suffisait pas de dire : t C’est Dieu qui m’envoie » ; il fallait le prouver. Surtout quand le prophète était tout jeune, et par conséquent sans autorité, comme Jérémie ou même Isaïe au début de leur ministère, comment aurait-il pu se faire écouter sans en appeler à un témoignage divin, à un « signe », miracle ou prédiction ? Aiin d’accréditer Moïse auprès du peuple d’Israël, Dieu lui donne le pouvoir de faire des miracles (Ex., iv, 1-9). Moïse, pour prouver l’authenticité de sa mission divine, contre Coré, Dathan et Abiron, a recours au jugement de Dieu (IVum., xvi, 16- 29). Isaïe est prêt à confirmer une prophétie en opérant un grand miracle devant le roi Achaz (Is., vii, 11). Quand Ezéchias lui demande un signe de sa guérison prochaine, Isaïe fait reculer de dix degrés l’ombre de l’aiguille d’un cadran solaire (II (IV) Beg., xx, 1 1 et /*., xxxviii, 7, 8). Jérémie prédit la mort prochaine du faux prophète Ifananias(./er., xxviii, 16, 17).

Ainsi les prophètes sont accrédités par Iahvé lui-même, et ils se considèrent comme les messagers de Iahvé dans un sens très spécial. Cette conviction s’affirme à chaque page de leurs écrits. Quand Amasias, prêtre deBéthel au service du roi d’Israël Jéroboam, veut congédier Amos et l’invite à retourner au pays de Juda pour y prophétiser à son aise, Amos lui répond (vu, 15) :

Iahvé m’a pris d’auprès de mon troupeau, et Iahvé m’a dit : « Va,

prophétise à mon peuple Israël… »

C’est-à-dire : ce rôle de prophète m’a été imposé par Dieu même, lorsque j’y pensais le moins ; il ne dépend pas de moi d’y renoncer.

Isaïb raconte la vision qui inaugura son ministère prophétique (vi, 8, 9) :

Et j’entendis la voix du Seigneur qui disait :

« Qui enverrai-je, 

et qui ira pour nous ? »

Et je dis : « Me voici, envoie-moi I » Et il dit :

« Va, et tu diras à ce peuple… » 

Jkrkmib aussi entend l’appel irrésistible de Iahvé I, 7) =

« Vers tous ceux à qui je t’enverrai tu iras, 

et tout ce que je t’ordonnerai tu diras. »

Un jour il annonçait, comme châtiment, la ruine de la ville sainte et du temple, si le peuple s’obstinait dans l’impiété. Accusé de blasphème et traîné devant les magistrats, en face de la mort il affirme solennellement l’origine divine de sa mission :

« Iahvé m’a envoyé prophétiser, contre cette maison

et contre cette ville, toutce que vous avez entendu… Pour moi, me voici entre vos mains, faites de moi ce que bon vous semblera. Mais sachez bien que si vous me mettez à mort, c’est du sang d’un innocent que vous vous chargez, vous, cette ville et ses habitants : car en vérité Iahvé m’a envoyé vers vous pour faire entendre à vos oreilles toutes ces paroles » (xxvi, 13-1 5).

Ezkchiel s’exprime ainsi : « L’Esprit… me dit : Fils de l’homme, je t’envoie vers les enfants d’Israël, vers ces païens rebelles qui se sont rebellés contre moi… tu leur diras : Ainsi parle le Seigneur Iahvé. Pour eux, qu’ils écoutent ou non — car c’est une maison de rebelles — ils sauront qu’il y a eu un prophète au milieu d’eux » (11, 2-5).

« Et vous saurez, dit Zacharie, que Iahvé des

armées m’a envoyé » (n, 13(Vulg. 9) ; cf. iv, 9). Etc.

L’interprétation rationaliste de ces témoignages peut se ramener à trois chefs : 1. Ou les prophètes se réclament ouvertement et formellement d’une mission divine, surnaturelle, sans l’avoir reçue et sans y croire ; alors ce sont des imposteurs. — 2. Ou les prophètes croient à cette mission surnaturelle, mais ils se font illusion : ce sont des illuminés, des hallucinés. — 3. Ou les prophètes ne voient dans cette mission qu un devoir imposé parles circonstances, un rôle conforme aux desseins de Dieu, qu’ils se sentent appelés à jouer, et qui leur permet de se dire

« envoyés de Dieu », non au sens strict et par un

message direct, mais au sens large d’une mission providentielle : « Dieu m’envoie ; c’est Dieu qui parle » signifierait simplement la conviction intime que l’on fait l’œuvre de Dieu, que l’on proclame la volonté divine connue de toute autre façon que par une révélation personnelle. C’est l’interprétation psychologique.

La première interprétation, celle qui accuse d’imposture les prophètes, ne compte plus guère aujourd’hui, parmi ses partisans, aucun exégète de quelque valeur, mais seulement tel romancier, tel médecin enlizé dans un matérialisme grossier. Le docteur Paul Garnault a publié dans la Bévue scientifique (26 mai 1900) un mémoire intitulé « Ventriloquie, nécromancie, divination », où il fait de la ventriloquie la « source première de la croyance à la prophétie », où il estime que « toute la culture théologique d’un prêtre hébreu de ces époques [du temps où l’on se servait de l’éphod] se réduisait certainement à un entraînement ventriloquiste, c’est-à-dire à apprendre l’art de substituer avec vraisemblance sa propre voix à la voix de la Divinité ». Un esprit épais, d’une ignorance opaque, peut avec satisfaction voir sous ce jour l’œuvre des prophètes. Mais comment expliquer chez Rbnan des jugements du même genre, répétés avec insistance à propos d’Isaïe et de Jérémie ?

« Le prophète qui devait fournir une longue

carrière était obligé d’être thaumaturge à certains jours. Isaïe, si grand par certains côtés, a de la sorte des parties qu’on voudrait taire… Un tel genre dévie