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PROPHÉTISMË ISRAÉLITE

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sortaient souvent de vrais « hommes de Dieu », distingués par une vocation personnelle » {/.es Doute Petits Prophètes, 1908, p. 269). Le savant En. Kobnig pense, tout au contraire, que les documents bibliques ne présentent pas un seul prophète proprement dit

« comme ayant fait partie d’une corporation prophétique ; 

ainsi Elisée a été appelé lorsqu’il labourait » (l (III) Heg., xix, 19) (Encycl. of lielig. and Ethics, vol. X, 1918, p. 386 a). On ne voit nulle part non plus qu’Elie en soit sorti. Entin, pour établir la permanence et la légitimité de « l’institut des prophètes professionnels » jusqu’au delà du temps de l’exil (en les distinguant des « prophètes de vocation personnelle »), il est extrêmement aventureux de s’appuyer (avec Van Hoonacker) sur le texte énigmatique de Zach., xiii, 2-6 ; il s’agit là, selon toute vraisemblance, des faux prophètes, qui doivent disparaître en même temps que les idoles et l’esprit impur (v. 2) ; ainsi l’ont compris les Septante (roui ipvjSnitpcfyjTUi), le Syriaque et le Targoum.

Mais depui* les temps anciens jusqu’à Malachie, au milieu du v* siècle, Dieu n’a jamais cessé d’envoyer des prophètes pour diriger son peuple, surtout dans les circonstances critiques, selon la promesse de Deut., xviii, 15-22 (cf. Jer.^ vii, 25 : « Depuis le jour où vos pères sont sortis de la terre d’Egypte jusqu’à ce jour j’ai été zélé pour vous envoyer chaque jour mes serviteurs les prophètes »). On peut donc, avec Cornely, conclure d’une part « munus propheticum velut ordinarium a Deo esse promissuin » ; et, d’autre part, en considérant la manière dont Dieu conférait la mission prophétique, on doit l’appeler, avec le même auteur, a munus extraordinarium ».

IV. — La vocation surnaturelle des Prophètes

Les prophètes d’Israël sont- ils simplement des hommes providentiels, tels qu’on a pu en voir, à diverses époques, chez les autres peuples de l’antiquité, des réformateurs religieux, des sages, des génies, comme Confucius, le Bouddha, Zoroastre, Platon ? Ou bien sont-ils des hommes envoyés de Dieu d’une manière extraordinaire, c’est-à-dire non seulement comme des exceptions par rapport à la masse de l’humanité, mais suscités par une intervention de Dieu directe, miraculeuse, en dehors des lois de la Providence ordinaire ? Le langage vulgaire entend par « surnaturel » ce qui est, d’une façon générale, supérieur à la nature ; il comprend sous cette dénomination les êtres invisibles et leurs œuvres ; ainsi, pour beaucoup de gens, une action providentielle de Dieu est une « action surnaturelle ». Mais, quand nous parlons de vocation surnaturelle des Prophètes, nous prenons ce mot dans le sens théologique strict, pour signifier ce qui dépasse les forces et les exigences de la nature.

Kurnbn a posé la question avec une admirable netteté : « Quiconque, dit-il, croit en un Dieu vivant, reconnaît aussi que son action, de quelque façon qu’il la conçoive, ne saurait être limitée à une partie de l’humanité, mais l’embrasse tout entière ; de sorte qu’aucun peuple, aucun individu ne peut s’y soustraire un seul instant. Cette influence divine qui embrasse tous les hommes, ceux dont je parle la reconnaissent aussi dans le développement des peuples anciens, mais spécialement dans leur développement religieux, de telle sorte f je soulignej qu’on n’est jamais en état de distinguer faction divine de l’action humaine, de façon à pouvoir dire où commence l’une et où linit l’autre et réciproquement. Tous, par exemple, voient dans l’histoire de la Grèce, et particulièrement dans l’histoire de l’esprit grec, le thealrum providentiæ divinae, et pourtant per sonne ne se croit autorisé à dire : ceci est l’œuvre de Dieu et non celle du génie grec, ou le contraire. Eh bien, [je souligne] la grande question, la voici : En est-il de même du développement, surtout du développement religieux d’Israël ? Une réponse négative, voilà, si je ne me trompe, le critérium de la conception surnaturelle ; une réponse aflirmative, voilà celui de la conception naturelle. » Et Kuenen répond, avec tous les critiques rationalistes : « La conception naturelle est la seule qui nous paraisse admissible » (Histoire critique des Livres de l’Ancien Testament, trad. par A. Pierson, t. II. 1879, P- 50, 4).

Les auteurs qui repoussent la notion traditionnelle de la prophétie ne se sont point mépris sur la valeur des termes. S’ils continuent à parler de « révélation », de « miracle » et de « surnaturel », il faut bien prendre garde au sens qu’ils attachent à ces mots ; ils les ont vidés de leur contenu classique, pour y loger leurs conceptions naturalistes. A la suite des protestants allemands du xix’siècle (cf. G. Goyau, L’Allemagne religieuse ; le Protestantisme, 1898, p. 98102), Rbnan, Auguste Sabatibr, Loisy et les modernistes font un usage constant de cette terminologie équivoque et perfide, démasquée dans l’encyclique Pascendi Dominici gregis, qui signale spécialement la falsification des notions de foi, de révélation, d’inspiration des Livres saints (Denzinger-Bannwart, n. 2074, 2075, 2090). Renan, dans la préface de son Histoire du peuple d’Israël, parle d’  « intervention surnaturelle », d’  « histoires providentielles », alors qu’à la lin de cette même préface il professe l’agnosticisme et un vague panthéisme. Augustb Sabatieii écrivait : « Il se fait donc une révélation constante de Dieu dans l’âme humaine… Si j’admets une révélation de Dieu en Israël, pourquoi nierais-je qu’il y en ait eu une pour les Grecs, pour les Romains ou pour les Chinois ? » (Annales de Bibliographie théologique, 15 juin 1900, réponse à M. Stapfer ; cf. Esquisse d’une philosophie de la religion, 4" éd., p. 3g sqq.)

Question souverainement importante. Si les prophètes sont seulement des hommes « providentiels », sans mission surnaturelle proprement dite, toute l’économie de l’Ancien Testament croule par la base. La mission du Messie, la religion du Nouveau Testament s’appuient sur les prophéties, auxquelles Notre-Seigneur et les apôtres font constamment appel. Or, les prophéties, dans cette hypothèse, ns seraient plus que les prévisions de quelques hommes de génie, les espérances religieuses de quelques saintes âmes, des aspirations vers un avenir idéal, en somme, de pures conjectures dont la réalisation prouverait seulement la perspicacité de leur auteur. Si, au contraire, les prophéties sont réellement un témoignage divin, comme la doctrine apostolique et la tradition catholique l’enseignent, il faut y reconnaître une parole de Dieu très distincte des convictions humaines du prophète ; il faut, avec saint Paul, proclamer que le peuple d’Israël a été favorisé de ces communications divines d’un ordre spécial, appelées proprement « révélations » : « Quel est donc l’avantage du Juif [sur le gentil] ?… Cet avantage est grand de toute manière : d’abord c’est à eux que les oracles de Dieu ont été confiés » (Rom., ni,

-2).

Si l’onveutétudier cette question à fond et méthodiquement, il est logique de demander tout d’abord aux prophètes eux-mêmes ce qu’ils pensaient de leur mission. Kuenen l’a parfaitement compris. Dans le gros volume où il entreprend d’examiner le problème de l’origine surnaturelle des prophéties il écrit : «… Le prophète est pleinement convaincu qu’il est poussé par l’esprit de Iahvé et qu’il exprime la parole de Iahvé. » « Cette conviction intime des