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PROPHETISME ISRAELITE

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un raisonnement de ce genre (t. I, p. 379 note i, t. II, p. 279, note 3).

On s’aperçoit, depuis quelques années, que les données bibliques ne fournissent aucune base à cette construction îles « écoles de prophètes », et qu’elle repose tout entière sur l’expression « iils des prophètes » mal comprise. On donnait au mot t lils » le sens de « disciple », tandis qu’il signifie ici

« membre d’une association », individu appartenant

à telle classe d’hommes, à telle profession, comme en assyrien, mûr ummuni, « lils d’artisan » = : artisan, mâr ispari, u fils de tisserand » = tisserand, en syriaque bar nu r lils des menuisiers » = :

menuisier, et en grec, mifat Çuypctfav, fanpta », îxrp&v, etc. (Cf. Gesenils-Brown, A Hebrew and English Levicon of the 0. T., p, 7" ; Drivbr in Ain., vii, 14, A. B. Davidson, Haslings’Dict. of the Bible, t. IV, p. ioy a ; Kxutzsch, ibid., Extra Vol., p. 656 6). Ces

« fils des prophètes » sont donc simplement des prophètes

d’un genre spécial, groupés ensemble.

De nos jours, au lieu devoir en eux des étudiants d’Université, l’histoire comparée des religions en fait plutôt des sauvages s’exaltant par la danse et le son du tambourin. Il est de mode, en effet, de les eoinparer aux chamans des tribus mongoles (Reuss et Auguste Sabatier), aux faquirs musulmans (Cornill), aux sorciers, aux frénétiques des cultes orgiastiques (Jean Réville), aux bacchantes, aux corybantes, mais surtout aux derviches danseurs et hurleurs (Xoeldeke, Wellhausen, Renan, Kittel, Maspero, Ottley, etc.). Sans renoncer aux écoles, dont il fait même des séminaires ou des noviciats, Renan exploite avec sa légèreté ordinaire ce nouveau côté delà question, avec l’intention évidente d’en tirer le tableau le plus grotesque possible. « Leurs secrets, dit-il, pour se procurer une ivresse orgiastique, en faisaient des espèces de corybantes. Ils parcouraient le pays en grandes bandes, « en corde », en monôme, comme on dirait dans l’argot parisien, avec des chœurs de danses.au son de la cithare et du tympanum. C’était quelque chose de très analogue aux derviches hurleurs et aux Khouan des pays musulmans » (Hist. du Peuple d’Israël, I, p. â^g). Et pour le temps d’Elie : « des bandes d’énergumènes couraient le pays, peu différents de ces moines des environs d’Antioche qu’on vit, douze ou treize cents ans plus tard, piétiner « comme des éléphants » le nord de la Syrie, pour détruire la civilisation grécoromaine. Ces prophètes étaient avant tout des iahvéistes fougueux, acharnés contre le culte de Baal » II, p. 278). — Dans un ouvrage qui est une protestation indignée contre la caricature de David tracée par Renan, Marcel Dibulafoy s’est laissé entraîner, lui aussi, à des descriptions fantaisistes :

« L’extase fatidique, dit-il, telle qu’elle est décrite

dans la Bible, avait pour caractères apparents l’éclat des yeux, les convulsions du visage et des membres, allant chez certains jusqu’à l’apparence de la folie, et, dans l’ordre moral, la malédiction des plaisirs innocents, l’horreur de la parure et des vêtements aux couleurs vives ». Pour justifier ce dernier trait, une note renvoie à Is., iii, 16-a4, où Isaïe condamne le luxe excessif des femmes de Jérusalem I C’est le procédé de Benan : généraliser, en s’appuyant sur un seul texte, parfois mal compris. A la page suivante on montre comment tous ces traits répondent aux manifestations de la Grande hystérie (f.e Roi David, Paris, 1897, p. 126-127). Dieulafoy classait à part Samuel, Elie, Elisée, sans se douter que ces grands prophètes auraient été responsables et solidaires de ces phénomènes étranges d’un caractère morbide, qui se produisaient chez leurs disciples et sous leur direction.

Qu’étaient donc ces « fils des prophètes » ? Ils vivaient en communauté ; ou du moins, dans la même localité, car ils pouvaient être mariés, comme on le voit dans II (IV) lieg., iv, 1 (seul témoignage sur ce dernier point ; ltenan généralise : a Quoique mariés, ils vivaient dans des cellules » (/. c, t. II, p. 27g) ; les « cellules » sont de son invention). Puisqu’ils reconnaissaient pour chefs Samuel, Elie, Elisée, ils étaient sans doute réunis dans un but religieux, probablement pour défendre et maintenir intacte lu religion de ! ahvé, pour lutter contre l’enlrainemenlvers le culte de Baal. Dès lors, l’enthousiasme sacré, traduit par des chants de louange, avec accompagnement d’instruments de musique, est tout à fait naturel ; et les divers textes cités plus haut s’expliquent fort bien dans ce sens. Si l’on tient à une comparaison, au lieu de parler de derviches hurleurs, qu’on pense plutôt aux prédications et aux processions du temps de la Ligue et, de nos jours, aux manifestations de l’Armée du Salut.

En certaines circonstances, ils sont « saisis par l’esprit de lahvé ». S’agit-il d’une influence d’ordre strictement surnaturel ? « Ou bien faut-il y voir seulement un brusque saisissement d’enthousiasme religieux, naturel dans son origine, mais rattaché cependant par l’écrivain sacré à l’esprit de Dieu comme à sa cause ? L’étude attentive de nombreux textes similaires montre que cette dernière explication peut être proposée en toute sécurité » (E.Tobac, Les Prophètes d’Israël, I, p. 22). Comparons ce qui est dit de Samson (Jud., xiv, 6) : « L’esprit de Dieu le saisit », explique S. François de Sales, t c’est-à-dire Dieu luy donna le mouvement d’une nouvelle force et d’un nouveau courage » ; et « il mit en pièces le lion, comme il eust fait un chevreau » (Traité de l’Amour de Dieu, 1. IV, c. 11). Quand on voit qu’ils prophétisent », il faut se rappeler que le verbe nâbâ, surtout à la forme hithpæl, signifie d’ordinaire manifester un enthousiasme religieux par des paroles, des chants, des gestes, dans un état d’exaltation ou d’extase, soit sous l’influence de l’esprit de lahvé (Num., xi, 25-29 > I Sam., x, 5-13, xix, 20-24), soit sous l’influence d’un mauvais esprit (I Sam., xviii, 10), soit même en parlant des prophètes païens de Baal (I (III) Reg., xviii, 29). Ilsignifieplus rarement : parler au nom delà divinité en dehors de l’état d’extase ou d’exaltation (Ez., xxxvii, 10), même s’il s’agit de faux prophètes (I (III) Reg., xxii, 10 ; Jer., xiv, 14). « On n’est donc pas autorisé à conclure [de ces textes]… que ces personnages furent favorisés d’inspirations ou de révélations surnaturelles » (E. Tobac l. c., p. 23). Il y a unedifférence essentielle entre les membres de ces groupes et les prophètes dont il va être question dans cet article. Quant aux phénomènes extatiques, il n’en est question que pour l’époque de Samuel ; et le premier passage surtout (I Sam., x, 6) ne permet pas d’y voir des phénomènes morbides. « Dieu a pu vouloir multiplier ces signes à cette époque où son culte était particulièrement menacé, de même qu’il a multiplié les charismes dans l’Eglise naissante où la présence sensible de son Esprit était particulièrement nécessaire » (.1. Nikel, dans Christus, éd. de 1916, p. 881).

Que devinrent plus tard ces corporations de prophètes improprement dits ? On n’en sait rien. Le mot A’Amos, vii, 14 : « Je ne suis ni prophète ni fils de prophète », permet de conjecturer qu’il existait peut-être encore de son temps quelque association de ce genre ou que, du moins, le souvenir en était encore vivant. On a construit parfois de larges hypothèses sur des textes obscurs et isolés. « Les exemples d’Elie et d’Elisée, et bien d’autres, a dit Van Hoonackbr, prouvent que du sein de ces corporations de nebi’îm