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PROPHETISME ISRAELITE

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talions extatiques accompagnées de chants et de Basique. Il en a tiré la théorie exposée par lui à la lin d’un volumineux ouvrage, traduit du hollandais en anglais et intitulé The Prophets and Prophecy in Israël. An hislorical and critical Enquiry (Londres, 1877) : l’éolosion du prophétisme daterait du temps de Samuel. L’époque des Juges, explique ce critique, fut remplie par les luttes entre Hébreux et Cananéens avec desrésultatsdivers sur les différents points du pays : la religion du vainqueur supplantait l’autre, ou une sorte de fusion s’opérait. A la linde cette période, il y eut en Israël un renouvellement religieux.

« La prophétie fut une des formes sous lesquelles

ce réveil religieux se manifesta. Les phénomènes d’exaltation extatique, qui, jusqu’alors, ne s’étaient vus que chez les sectateurs des dieux du pays, et qui certainement n’avaient point passé inaperçus pour les Israélites, se propagèrent chez les serviteurs du Dieu national lahvé.Il se forma des associations de prophètesde lahvé. Comme les associations pareilles des Cananéens, elles excitent l’enthousiasme de leurs adeptes par la musique et par le chant. Une ressemblance extérieure a pu exister encore à d’autres points de vue. Mais ce qui se passe chez ces prophètes de lahvé est attribue à l’opération de l’esprit de lahvé ; c’est, pour ainsi dire, au service de lahvé ; et, par conséquent, cela favorise le Iahvisme et le réveil de l’esprit national. » (p. 556). Kuenen repousse l’étymologie qui donne à nàbi le sens d’ « interprèle », « porte-parole » ; il préfère la racine nâba’, avec le sens de bouillir, bouillonner, exprimant l’agitation, l’effervescence, l’exaltation prophétique ; car cela (déclare-t-il ingénument) s’applique très bien aux prophètes de Baal, tandis que l’autre sens ne pourrait convenir qu’aux prophètes de lahvé (p. i, 46). Ce sens étymologique une fois adopté, Kuenen juge très probable l’origine étrangère du mot nàbi : les Hébreux l’ont jtmprunté aux Cananéens (p. 554, 555).

Il est affligeant de voir une hypothèse creuse, accueillie san* contrôle et répandue partout, s’accréditer de plus en plus et se proclamer certaine par le seul fait d’être répétée : telle, la rumeur confused’une Causse nouvelle prend consistance en se propageant, vires acquirit eundo. Pa ? une étrange fortune, la théorie précaire de Kuenen a été enregistrée par quantité d’auteurs, à titre de conclusion scientifique. Les historiens de la religion et du prophétisme, Kayser, Smend, Wellhausen, Kautzsch, Krætzschmar, Ottley, s’en sont emparés ; elle a passé dans le manuel d’histoire d’Israël de Guthe, dans le commentaire d’Amos et d’Osée par W. R. Harper, dans des articles de dictionnaires, des études d’archéologie et des opuscules de vulgarisation.

Le malheur est que, de l’aveu même de son auteur, cette théorie repose sur des conjectures en l’air et sur une pétition de principe, a Faute de données historiques, écrit Kuenen, nous devonsnous contenterde ton ; « ctures probables, qui se recommandent par le fait même qu’elles nous donnent une explication satisf mante [= excluant le surnaturel ! de la première apparition du prophétisme en Israël » (/. c, p. 555). Dans le même esprit, M. Jban Rsvillb se contente aussi à peu de frais : il décrit longuement le caracle rôle des anciens prophètes de lahvé, « semblables à ceux des Baals cananéens » et vulgaires sorciers, — dont on ne sait rien, d’après lui, car il ajoute naïvement que les prophètes écrivains des siècles suivants « sont les seuls sur lesquels nous s quelque peu renseignés » (Le Prophétisme hébreu, Paris, 1906, p. 17).

Mais on est peiné de voir un savant de la valeur le Kautzsch souscrire à cette thèse, après avoir

constaté qu’elle se fonde sur de « pures conjectures » (J. Hastings’Dictionan of the Bible, Extra volume, 1904, p. 653 »). Dans l’article Prophecy and Prophets du même dictionnaire, A. B. Davidson s’étonne delà hardiesse avec laquelle certains critiques, Kuenen et Wellhausen spécialement, ont créé de toutes pièces et introduit dans l’histoire les prophètes cananéens. L’existence de ces bandes de fanatiques semblables à des derviches est une pure conjecture. Il n’est question de pareils « prophètes » que deux cents ans plus tard, et encore ne sont-ils pas cananéens, mais prêtres-prophètes du Baal tyrien, entretenus aux frais de Jézabel. — De plus, il est inadmissible que le nom de nàbi ait été emprunté aux Cananéens par les Israélites. Si le mouvement prophétique du temps de Samuel était un mouvement religieux et national, est-il vraisemblable que, pour le désigner, les Hébreux aient emprunté des termes aux Cananéens, alors leurs ennemis, probablement ligués contre eux avec les Philistins ?(Davidson, Kœnig). — D’ailleurs" il n’y avait nul besoin d’emprunter quoi que ce soit en ce genre aux peuples voisins, car le prophétisme existait en Israël bien avant cette époque. Il serait trop arbitraire de révoquer en doute sur ce point toutes les anciennes traditions consignées dans le Pentateuque et le livre des Juges, sur Moïse, Marie, sœur de Moïse(&r., xv, 20), les soixante-dix anciens du peuple (.Xum., xi, a4-30), Débora (Sud., iv, 4), et les Juges, Othoniel, Gédéon, Samson (Jud., iii, 10 ; vi, 34 ; xiv, 6, 19 ; xv, 14).

Pour toutes ces raisons, l’opinion de Kuenen est abandonnée peu à peu, attaquée par les uns, laissée dans l’ombre par les autres. Elle a pour adversaires déclarés K. Buddk (Die Religion des Volkes Israël bis zurVerbannung, 1900, p. io4), Elrbd Laur (Die Prophetennamen des A. T., Fribourg (Suisse) 1903, p. 45 sqq.), E. SBLLiN(/)er alltestamentliche Prophetismus, Leipzig, 1912, p. 12) et surtoutEo. Kœnig (Der altère Prophetismus, 1905, p. 7 sqq. ; Geschichte des Reiches Gottes, Leipzig, 1908, p. 196, 197 ; Das alttestamentliche Prophetentum und die moderne Geschichtsforschung, Gùtersloh, 1910, p. 12-17 ; Geschichte der Alttestamentlichen Religion, Gùtersloh, 191 2, p. 110) ; récemment Ed. Koenig l’a encore réfutée dans l’article

« Prophecy » deJ. Hastings’Encyclopædia of

Religion and Ethics, vol. X, 1918 et dans Théologie desvlten Testaments, 1922, p. 58-59. Il faut mentionner tout spécialement B.Stadb : il avait adopté d’abord les vues de Kuenen (Geschichte des Volkes Israël, t. I, 1887, p. 476-477) ; il les a rejetées plus tard et a reconnu quele prophétisme appartenait dès l’origine à la religion d’Israël (Biblische Théologie des Alten Testaments, t. I, 1905, p. 66).

Origine égyptienne supposée. — Quelques fragments de papyrus mal interprétés ont donné le jour à des hypothèses merveilleuses. Il y a une vingtaine d’années, H. O. Lange crut reconnaître des prophéties dans un texte de la XIXe dynastie assez mal conservé. La communication qu’il fit de cette découverte est consignée dans les Sitzungsberichte der Berliner Akademie, igo3, p. 601 sqq. Ipouwer — c’est le nom du prophète — annonce un malheur à venir, une révolution sociale, des invasions de peuples étrangers, puis un libérateur qui apportera le salut en rétablissant l’ordre. On avait donc la preuve qu’il existait des prédictions en Egypte à une époque assez ancienne ; on possédait même le « schéma » delà prophétie messianique adopté plus tard par les prophètes d’Israël ! — Eduard Mbybr pense que ce

« schéma » est parfaitement le même de part et d’autre, 

dans les grandes lignes. (Die Isræliten und ihre Nachbarslàmme, Halle a. S., 1906, p. 45’-4&3). —