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Il ne nous la laisse que dans ce seul cas. Ce système, adopté par Billuart (Dissert. VI De actibus humanis) devint, durant quelque temps, l’opinion commune de l'école Dominicaine.

Son raisonnement, pour un lecteur non averti, paraît quasi mathématique. Il part de deux principes incontestés : L’honnêteté de notre action nous doit être moralement certaine ; elle l’est, s’il n’existe de raison qu’en faveur de cette honnêteté. — Or, cela se vérifie lorsque l’honnêteté est théoriquement plus probable. En effet, deux probabilités contraires se détruisent, s’annulent si elles sont de même valeur. Sont-elles de valeur inégale, la quantité restante subsiste seule comme raison.

Soit deux probabilités représentées d’un côté par io, de l’autre par io plus a. Effaçons io des deux côtes : il reste a pour l’honnêteté que patronnait une probabilité de douze.

Des comparaisons viennent renforcer l’argumentation : dans les deux plateaux d’une balance, si nous mettons des poids égaux, la balance demeurera au repos ; mais, si l’un des poids est plus considérable que l’autre, la balance penchera de ce côté ; et tout se passera comme si l’un des plateaux était vide et l’autre ne portait qu’un poids équivalent à l’excès d’un poids sur l’autre. Supposé deux athlètes qui tirent sur un câble, en sens opposé. La force qui entraînera le câble sera égale à la supériorité athlétique de l’un des deux rivaux.

N’en va-t-il pas de même pour les motifs probables présentés à notre intelligence ?

Hélas ! non, devons-nous répondre aux auteurs qui nous servent ces comparaisons. L’assimilation proposée est de tout point vicieuse, et l'élimination réciproque des deux probabilités contradictoires est purement imaginaire. Il est très rarequeles raisons données comme probables en faveur de deux conclusions contradictoires s’excluent. Elles sont, le plus souvent, puisées à des sources différentes, et gardent ainsi leur valeur indépendamment l’une de l’autre. Rappelons un cas concret. Doit-on, en confession, accuser un péché qu’on ne peut déclarer sans faire connaître son complice au confesseur ? Ceux qui le nient invoquent la priorité du précepte naturel qui oblige à respecter la réputation du prochain, sur le précepte positif d’une accusation intégrale. Ceux qni l’affirment allèguent l’excuse de la juste raison, pour laquelle on peut permettre l’effet, en soi regrettable, de diffamation. Qui ne s’aperçoit que les deux raisons subsistent devant le même esprit ?

L’exclusion de deux opinions probables, comme contradictoires, se heurte même à une difficulté a priori. C’est la fine remarque d’un professeur de philosophie : deux opinions ne sauraient être strictement contradictoires. L’opinion, en effet, dit une adhésion à laquelle l’intelligence se détermine sous l’influence de la volonté, mais avec crainte de se tromper. Si une oninion dit oui, elle le faitavec l’arrière-pensée que la vérité pourrait bien être non. Si elle dit non, elle appréhende qu’uni soit vrai. Deux opinions opposées se ménagent ainsi mutuellement une place l’une à l’autre ; loin de s’exclure, elles rentrent par certain côté l’une dans l’autre. Des opinions énoncent des conclusions contradictoires : voilà qui est vrai ; ces opinions elles-mêmes sont contradictoires l’une à l’autre : voilà qui est faux (Cf. Munzi, S. I. Logica, n. agi).

Les principes de St. Thomas nous obligent euxmêmes à rejeter les comparaisons dont on cherchait à ctayerle système probabilioriste. Chacun des deux poids mis dans la balance, chacune des deux forces agissant sur le câble, suffit parelle-mêmepourentraî ner la balance ou la corde ; tandis que l'évidence seule détermine l’assentiment de l’intelligence. En dehors de l'évidence, l’adhésion de l’esprit n’a lieu que sous l’action de la volonté ; et elle se fait dès lors, non pas strictement comme vraie, mais comme bonne. « L’esprit trouve bon d’adhérer à l’opinion dite prudente », dit fort exactement le R. P. Sbrtillangks, O. P. (La philosophie morale de St. Thomas, c. 16, III, p. 5^9).

Ne pourrait-on pas dire encore, que tout homme qui conclut : « Il y a du pour et du contre » (et combien fréquente est cette expression), donne au probabiliorisme, ou du moins au principe de l'élision réciproque des probabilités, un démenti que lui dicte le sens commun ?

Le R. P. Prubmmer, O. P. (Manuale Iheologiae moralis, I, n. 3^6). ajoute Cnalement cette observation d’ordre pratique, qui ne manque ni de saveur ni de valeur : « Je ne sache pas qu’un seul confesseur aujourd’hui, dans la pratique du tribunal de pénitence, conduise le probabiliorisme à toutes ses conquences logiques. »

3. — L'équiprobabilisme est, en somme, un probabiliorisme mitigé, dans certains cas, par le recours au principe de possession. L'équiprobabiliste est d’accord avec le probabilioriste, contre les tutioristes, pour dire qu’il est toujours permis de suivre une opinion sérieusement plus probable, et pour interdire, à l’encontre desprobabilistes, de se contenter pratiquement d’une opinion moins probable. Mais, lorsque des probabilités sensiblement égales se trouvent de part et d’autre, il nous permet de nous tenir pour affranchis de l’obligation, quand la liberté, a la possession pour elle. Or, continue l'équiprobabiliste, la liberté est en possession quand il s’agit de l’introduction d’une loi nouvelle, ou de la naissance d’une obligation. En revanche, la loi est en possession, quand on se demande si une obligation n’a pas pris fln, si une loi existante n’est pas abolie. Tant que des probabilités égales militent pour et contre la promulgation d’une loi, nous demeurons libres ; mais une loi déjà existante continue de nous lier, si nous avons sensiblement autant de raisons sérieuses de croire à son abrogation qu'à son maintien.

L'équiprobabilisme est patronné par les PP. de la Congrégation du St. Rédempteur. Il compte aussi despartisansdans les rangs du clergé séculier. L'évêque Simar, en Allemagne, le Cardinal d’Annibalb, à Rome, se sont déclarés pour lui. Certains Frères Prêcheurs ont conclu avec des Pères Rédemptoristes, une alliance antiprobabiliste, qui eut pour organe La Revue Thomiste de Fribourg. LeR. P. Sbrtillangfs (op. cit., 1. c, 16) se prononce en ces termes : « L'équiprobabilisme, bien compris, peut donc passer à bon droit pour une solution thomiste. »

Tout comme le probabiliorisme.ee système se fonde sur l'élision, — toute fictive, nous venons de le voir, — des probabilités opposées. Par là, il arrive à traiter de doute négatif l’hésitation de l’intelligence entre deux partis appu3'és sur des raisons d'égale force. Doute négatif qui ne peut se résoudre, d’après lui, que par le principe de possession.

Mais ce principe est invoqué à tort, en dehors des matières de justice.

Dans ces matières il est à sa place, parce que la contestation s’y produit entre deux personnes qui peuvent avoir des droits opposés et traiter d'égal à égal, du moins quand il s’agit de justice commutative. Un droit peut s’exercer en fait, sans titre légal, et ce fait crée une présomption de droit en faveur du possesseur ; bien plus, en reliant la chose au possesseur, ce fait assure à celui-ci un litre certain de préférence, opposable à des non -possesseurs.