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PROBABILISME

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conception peu exacte du magistère ecclésiastique, elles seraient inapplicables au cas du probabilisuie.

A. — L’Eglise en effet tolère quelquefois par prudence des pratiques fâcheuses qu’elle cherche par ailleurs à faire disparaître ; mais elle ne peut tolérer l’enseignement d’opinions erronées, tonchant au vif la foi ou la morale, et elle n’a pas à tolérer à moins qu’on ne joue sur le mot, des opinions controversées, dont aucune discussion n’a juridiquement démontré l’erreur ou le danger. Dès qu’elle a reconnu la nocivité des premières, elle use, pour les faire disparaître, des actes extérieurs de son magistère, seul remède pour elle à nos erreurs, seul critère pour nous de sa pensée. C’est ainsi qu’elle a condamné jadis tutiorisme et laxisme. Vis-à-vis des secondes, assez sage pour se réserver, elle n’intervient que pour modérer l’ardeur des disputes et imposer silence aux censures des théologiens trop pressés (Cf. D.B., 1216). Tel est précisément le cas des de jx systèmes restés en présence, probabilisme et équiprobabilisme : aucun d’eux ne peut se flatter d’avoir les préférences de l’autorité ecclésiastique ; d’aucun on n’a le droit dédire que l’Eglise veuille le faire disparaître’,

B. — Mais, outre cette première indication négative, un renseignement positif sur la situation du probabilisme dans l’Eglise peut se tirer de l’attitude des théologiens, de ceux d’hier et de ceux d’aujourd’hui. Le rappeler en quelques mots sera résumer utilement tout notre exposé.

Si l’on remonte au delà des controverses agitées autour de cette doctrine, on constate que, de Médina à Pascal, 1577-1606, durant les trois quarts de siècle les plus brillants peut-être de l’histoire théologique, la thèse probabiliste est enseignée à peu près universellement, el cela malgré les profondes divergences qui tendent à opposer sur tous les terrains les écoles rivales. Bafiez, ici, fait chorus avec Molina.

Quplques-uns objectent que cet accord s’est fait ur une « invention » de Médina, qu’il marque donc une rupture avec le passé et « est issu d’un état d’esprit humaniste » (P. Mandonnet, dans Vacant, Dict. de théol. cath., VI, 910). — En regard d’une telle affirmation, il suffit de rappeler les longs tâtonnements des spéculations du moyen âge relativement au doute moral : l’évolution laborieuse du tutiorisme au probabiliorisme direct, les critiques soulevées par cette dernière doctrine, le progrès dans la précision des idées rendant possible une théorie nouvelle, le rôle des Dominicains de Salamanque dans cette élaboration, enfin l’apparition du probabilisme dans le pays le moins touché par la Renaissance, en plein foyer de restauration thomiste.

En revanche, c’e3t bien comme une déviation, et, de près ou de loin, comme un résultat incontestable du jansénisme, que se présente historiquement le probabiliorisme. L’échec final de ce système, incapable de survivre à la crise dont il était issu, démontre qu’il n’a pu avoir dans la théologie catholique qu’un développement parasitaire.

Quant à l’équiprobabilisme, né en Allemagne au xvin’siècle d’un essai de transaction entre le probabiliorisme et le probabilisme, séparé uniquement de ce dernier par une notion équivoque de la certitude morale, impuissant par suite à réfuter le probabiliorisme par d’autres raisons que les raisons probaiiilistes, et à exclure le probabilisme par d’autres arguments que les arguments probabilioristes, il n’a

1. Il est remarquable, pour le dire en passant, que les textes du nouveau Coder jurh canonici relatifs à des cas de doute s’adaptent parfaitement à la conception probabilité, sans la canoniser d’ailleurs pour autant. Voir les canons 15, 84 2, 2"’J, MU ï, 2245 g 4.

pu réunir durant longtemps qu’un petit nombre de suffrages. Des raisons d’ordre historique ont pu lui valoir en apparence l’adhésion de saint Alphonse, précieux appoint, qui a contribué à lui rallier d’assez nombreux moderne* ; mais de quelle consistance jouit cette probabilité extrinsèque, nous croyons l’avoir assez dit (col. 3ao sb).

Il n’est donc pas surprenant que les théologiens d’aujourd’hui reviennent de plus en plus au système moral qui était au xvn’siècle le système commun. Les controverses passées ont elles-mêmes préparé ce retour en amenant le probabilisme, au terme de sa longue évolution, à se formuler en une thèse parfaitement rationnelle.

3° Le terme présent de l’évolution du système. — On l’a vu plus haut (col. 306), le problème du doute de conscience avait, dès l’origine, été mal posé. « Est-il permis, s’était-on demandé, de suivre une opinion tenue par quelques docteurs ? — Peut-on se conformer à une opinion probable ? » Ce disant, faute de préciser l’ordre d’activité qu’on avait en vue, on englobait indistinctement dans une formule générale des espèces fort différentes malgré leur parité. Etait-ce seulement dans l’observation du devoir moral, que l’on pouvait suivre toute opinion probable ? Ou bien aussi dans l’assentiment de foi, dans l’exercice de la justice, dans l’administration des sacrements ? La plupart avaient mêlé ces choses, et e’avait été le tort de Médina d’appliquer un traitement unique à des cas aussi divers. « In omnibus negotiis, etiam magni momenti, et in maximam injuriam tertii, licitum est sequi opiniones probabiles ; er#o et in materiis sacramentorum » (Exposit. in S. Th., III, q. 19, a. 6, q. 5, concl. 3).

Un grand pas avait été fait, quand Suarez — « ) avait nettement posé la thèse sur le terrain de l’obligation de conscience : « Quotiescumque est opinio probabilis hanc actionem non esse prohibitam vel præceptam, potest aliquis formare conscientiam certam vel practicam conformem tali opinioni » (De bon. et mal. hum. act., D. xii, s. 6, nn. 8-10) ; — £) en avait apporté la raison profonde : e Lex non obligat nisi sit sufficienter promulgata ; quamdiu autem rationabiliter dubitatur an lata sit, non est sufficienter promulgata. .. In dubiis melior est conditio possidentis ; homo autem continet libertatem suam » (ibid., s. 5, n - 7) ; —’/) et en avait résolu une fois pour toutes la difficulté principale, affirmant, d’une part, la nécessité de la certitude de conscience, montrant, de l’autre, mieux encore que Cajetan, la compatibilité d’une certitude pratique réflexe avec un doute spéculatif ou direct (Ibid., s. 3, nn. a. 8).

Mais tandis que les meilleurs théologiens présentaient désormais la théorie de cette manière vraiment satisfaisante, beaucoup de casuistes continuaient à invoquer de préférence l’axiome équivoque : ’Qui probabiliter agit, prudenter agit. De là, l’apparence de raison des attaques jansénistes, et les controverses sans fin sur la prudence et la probabilité, et ce nom de probabilisme, habile trouvaille d’Arnauld, source de confusion pour le public non averti.

Ce fut le mérite de saint Alphonse d’abandonner cette formule trop vague pour faire porter tout son effort sur la démonstration du principefondamental : Lexincerta non obligat. Ainsi, il ne préparait pas seulement aux probabilistes futurs leur meilleur argument.il attirait d’avance leur attention sur le véritable problème auquel répond leur théorie : le problème de la valeur d’obligation d’un devoir incertain.

Grâce à l’autorité du saint Docteur, ce point de