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PESSIMISME

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sa bassesse, la misérable race des mortels. Tu me verras rejeter bien loin toutes ces espérances vaines dont les hommes se nourrissent, ainsi que des enfants. »

Chantre de la souffrance, Leopardi ne rattache son pessimisme à aucun système. Le vrai théoricien est Schopenhauer.

a. Ahïucr Scuopknhaibr naquit à Dantzig en 1-88. Son père, riche commerçant, d’un esprit ouvert et cultivé, était d’humeur nomade. L’enfance et la jeunesse d’Arthur Schopenhauer se passent en voyages. La mort de son père — un suicide, semblet-il — le met en possession d’un héritage qui lui assure l’indépendance. Sa mère, Joiianna, s'établit à Weimar où elle s’adonneà la littérature, insouciante de son fils. Lui-même entreprend le tour des universités allemandes. On est en iS15. Maudissant la guerre et les mouvements de soldats qui troublent ses pensées, il cherche un lieu où il puisse méditer à loisir. En 1818, il fait paraître son opus magnum : Le Monde comme Volonté et comme Représentation. Après un bref voyage en Italie, il ouvre un cours à Berlin. Mais tandis que Hegel faisait salle pleine, Schopenhauer, réduit à parler devant des banquettes vides, renonce à enseigner. Pour se consoler et refaire sa santé, il reprend ses voyages. Nouvelles tentatives d’enseignement à Berlin : il compta trois auditeurs inscrits.

En 1 83 1, l’apparition du choléra le chasse de Berlin : Francfort lui offre la sécurité. C’est là qu’il passe la dernière partie de sa vie, dan s une existence très retirée, très réglée. Cependant le mondes’obstine à l’ignorer. Les éditeurs refusaient ses livres, les critiques le négligeaient. Lui pestait contre le genre huma in en général et les professeurs de philosophie en particulier. Il avait dépassé la soixantaine quand soudain l’Allemagne le découvre et le proclame le premier de ses penseurs. Trois universités enseignent sa philosophie. Le vieux pessimiste se laisse doucement enivrer de la gloire qui lui arrive et veille avec jalousie à l’entretenir. Cette douceur de vivre, il la savourera dix ans. Le ai septembre 1860, le médecin, qui, depuis quelques jours, le visitait, entrant chez lui.au malin, le trouva assis sur son canapé, sans vie.

Quelle est la philosophie de Schopenhauer ? — La vie humaine, dit-il, se passe tout entière à désirer, à poursuivre, à vouloir. Or le désir est.de sa nature, indigence et conséquemment douleur. La satisfaction qui le suit est d’essence négative : c’est la suppression d’un besoin. Ainsi la jouissance est une chose vaine et le bonheur qui mettrait l’homme en possession de biens positifs lui est inaccessible. Mais le désir, matière de l’humaine misère, tient aune cause profonde. Ce que liant appelait leNoumène.le fond substantiel, le « en soi » de toute chose, dit lui-môme Volonté et désir. Il y a par le monde, à tous les degrés de l'être, une immense et intime aspiration à vivre. Le vouloir-vivre est l’essence de tout être, et notre volonté n’est qu’un aspect de ce vouloir-vivre universel. Une même et unique volonté respire dans tout phénomène, qu’il s’agisse de la pesanteur ou de l’acte le plus sublime d’héroïsme.

« La volonté, à tous les degrés de sa manifestation, du bas jusqu’en haut, aspire toujours, parce

que son unique essence est une aspiration perpétuelle, à laquelle aucun but ne peut mettre (in, qui ne peut être finalement assouvie. — Et cette aspiration naît d’un besoin, d’un mécontentement de son propre état. C’est donc une souffrance, tant qu’elle n’est pas satisfaite. Mais la satisfaction est, à son tour, le point de départ d’un désir nouveau. Et ce désir est, de plus, toujours contrarié, toujours luttant, d’où encore souffrance…, et à mesure quela con science grandit, la souffrance augmente. Elle atteint son degré suprême dans l’homme. » (le Monde comme Volonté et comme Représentation ; livre IV, §56.)

Pour échapper au malheur, il n’est pour l’homme qu’un moyen d'éteindre en lui cette aspiration funeste, c’est de renoncer au Vouloir-Vivre. Le sage et en même temps l’homme heureux est celui qui, graduellement, est arrivé à la négation de ce vouloir. Bien différent de l’anéantissement de la volonté est le Suicide. L’homme qui se suicide veut la vie ; il n’est mécontent que des conditions dans lesquelles elle s’offre. Ce n’est pas au vouloir-vivre qu’il renonce, c’est seulement au vivre. La voie du salut, comme | la voie de la félicité, consiste dans le renoncement à l’inquiète et toujours renouvelée aspiration que nous portons en nous. (Ibid., livre IV, § 69.) — Schopenhauer a subi manifestement l’influence des livres bouddhiques, auxquels, d’ailleurs, il renvoie à plus d’une reprise. Mais il entend le nirvana comme un pur néant. Il se flatte d’avoir le premier formulé, sous une forme abstraite et pure de tout symbole, l’essence de la sainteté. — Julius Bahnsen exagère encore le pessimisme de Schopenhauer en niant l’ordre intellectuel et l’harmonie du monde.

3. Chez Hartmann, le théoricien aussi est inflexible. Kaul-Robert-Eduard von Hartmann naquit à Berlin en 184a. Fils d’un général d’artillerie en retraite, il montre dans ses éludes un goût très vif pour les sciences, la musique et le, dessin. Il croyait faire carrière dans l’armée, quand une contusion au genou, qui se complique de ihuinatisiuaa — t ri V iH C maladie nerveuse, l’oblige à quitter le service. En 1867, il avait terminé d'écrire la Philosophie de l’Inconscient, qui trouvait bientôt un éditeur. Le livre paraissait à Berlin en 1869. L’effet produit fut énorme. Professeurs et étudiants, hommes du monde et femmes de salon se passionnèrent pour ou contre.

L’auteur jouit de son succès, menant une existence familiale douce et paisible, occupé par la composition d’une série d’ouvrages dont le plus célèbre est La Religion de l’Avenir. Cette religion serait un monisme spiritualiste : le monde étant la manifestation immanente du premier principe. Elle s’efforce de faire la synthèse des religions de l’Inde et du judéo-christianisme. Edouard de Hartmann mourut à Berlin en 1906.

L’Inconscient de Hartmann n’est qu’une transposition de la Volonté aveugle de Schopenhauer, corrigée par l’infaillibilité logique que Hegel accorde à l’idée. Tout en s’inspirant incessamment de Schopenhauer, il le prend fréquemment à partie, par exemple, sur la doctrine du caractère négatif de la jouissance. Il s’attache surtout à montrer comment se développe le pessimisme dans l’humanité. Premier stade : Le bonheur est conçu comme un bien qui peut être atteint dans l'état présent du monde ; et l’homme expérimente que cette félicité est illusion et néant. — Second stade : Le bonheur est conçu comme réalisable pour l’individu, dans une vie transcendante après la mort ; la philosophie démontre que l’espérance d’une immortalité individuelle est trompeuse. — Troisième stade : Le bonheur est conçu comme réalisable dans l’avenir du processus du monde ; mais la science découvre que la souffrance n’a fait que croître dans l’univers depuis la cellule primitive jusqu'à l’app ; irition de l’homme. Elle suivra le développement progressif de l’esprit humain, jusqu'à ce que le but suprême soit atteint.

Quel est ce but ? L’Inconscient n’a créé la conscience que pour affranchir la volonté de son vouloir