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PROBABILISME

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biliorisme. De la prudence, on ne saurait dire sans contradiction — et saint Thomas ne dit nulle pari,

— qu’elle intervienne obligatoirement avant le sentiment de l’obligation. Et quant au conseil, il est distingué avec soin de la conscience dans Sent., II, d. xxiv, q. a, a. 4, ad a ; De ver., q. xvii, i, ad 4 ; Sttm, I a II", q. 17, 5, ad î ; q. 77, a, ad 4

Conclusion. — Dans la question du De veritate (q. xvii, 3) consacrée à l’étude de la conscience, saint Thomas fait bien reposer l’obligation, comme le veulent les probabilistes, sur une connaissance certaine du devoir ; et dans la Somme(l* Ilae.q.go, 4) il insiste dans le même sens sur la nécessaire promulgation delà loi. Par ailleurs, traitant au Quodl., vin, 13 du choix des opinions inorales, il estime qu’une simple probabilité en faveur de l’opinion plus sûre oblige à s’y conformer. L’antinomie est diflicile à réduire. Elle s’explique néanmoins, si l’on songe que le tutiorisme théorique du saint Docteur lui est un héritage de saint Augustin et d’Aristote, tous deux hostiles à la notion de péché matériel, tandis qu’il ne doit qu’à lui-même sa théorie de l’obligation.

III. — Les écoles théologiques de saint Thomas à saint Alphonse

Au point de vue qui nous intéresse, le xiv siècle, siècle augustinien, change peu à la doctrine du xm".

1° C’est entre 1400 et 1870 que se fait l’élaboration rationnelle du probabilisme.

A. — Il y avait toujours eu, nous l’avons dit, à côté du tutiorisme théorique, un probabilisme spontané (col. 304, 312). En face de l’action, chacun comprend qu’il ne peut y avoir d’obligation que certaine. Lac-TANCB l’avait deviné delongs siècles avant saintTuomas. Mais comment la conscience douteuse peut-elle rester libre, s’il est vrai, d’autre part, qu’on n’agit bien que certain de bien agir, etqu’à risquer le péché on le commet ? Entre ces deux principes : « dans le doute, pas de loi » — « dans le doute, pas d’excuse »,

— où se trouve la conciliation ? Telle est, au fond des esprits et derrière les formules malhabiles, l’antinomie que l’on cherche à réduire, et qui va se résoudre en trois temps.

« ) Il est bien vrai, observe-t-on d’abord, qu’il y a

toujours péché à agir dans le doute ; mais la règle ne vaut pas de ce doute atténué que comporte l’opinion. Pourvu donc qu’elle incline à croire son acte licite plutôt que coupable, la conscience est sans reproche : elle a toute la certitude qui se puisse obtenir dans l’ordre moral. Scrupule négligeable estla crainte qui subsiste en elle. Ainsi avaient pensé autrefois Albkrt le Guano et Ulrig de Strasbourg, puis Jban de Damdacb, -j-1372 (De consol.theol., l.XIV, c. 8). Ainsi parle maintenant avec sa grande autorité le chancelierGi’.RsoN, 1363-14a() (De consol.theol., I. IV, pr. a et 3 ; Opéra [éd. El lies du Pin], I, 173.175 ; De præpar. ad Missnm, consid. 3 ; Op., III, 325 ; De contractilms, p. 2, prop. 13 ; Op., III, ’80 ; Ilegulae mor., n. 8 ; Op., III, 79)- Et ainsi raisonnent après Gerson les célèbres moralistes dominicains de ce temps : Jkan Nidiir, -j- 1 /j 3 8 (Consolatorium timoratae couse, p. 111, c. 11-16 ; Expos, præceptorum decal., p. I, c. 5, litt. f ; c. aa, litt. e) ; Saint Antonin, 138(j-145(j (Sum., p. I, t. iii, c. 10, 5j 10, r. 4)i Sylvestrh du Phirro, ; iôa3 (Sum., au x mots Con/essio, Dubium, Opinio), Jisan Cagnaz/.o, -J- i F>a5 (Summa Tabiena, &u mut 0/)wi « ), comme les franciscains J.-B. Trovamaî.a, -j- vers i 4f)5, et Angk Cari.ktti db Ciiiavasso, } i Jg5 (dans leurs Sommes, au mot Opinio), comme aussi Gabriel Birl, y 1405 (Sent., IV, d.xv,

q. 8, a. 3, dub. a ; d. xvi, q. 3, a. 3, dub. 6), Conrad Su.mmrnuart, + 1507 (De contractibus, q. 100, concl. a), Jkan Mair. j 1540 (Sent. IV, prol., q. a). Chez tous ces auteurs, les premiers surtout, se manifeste une réaction formelle contre la dureté des vieilles formules rétrécissantes. C’est ce qu’il y a de durable dans leur doctrine encore si peu ferme, et ce qui permet de la délinir un probabiliorisme en marche vers le probabilisme*.

Mais d’autres esprits, de Dhnys lb Chartreux, -{- i 471 (Sent., M, d. xxu) au dominicain Barthélémy Fumo. -j- 1 545 (Summa Armilla, au mot Opinio), gardent toute sa rigueur au principe In dubio lutior pars. Adribn o’UTRRcnT, le futur Adrien VI, -{-15a3 (Quodl., II, [14qi], p.i ; Sent., IV, [151a], De restitut., § Quia jam dictum est), refuse de voir dans l’opinion même plus probable une sulfisante règle d’action. N’est-elle pas toujours cum formidine ? Comment peut-on, dès lors, en faire l’équivalent de la certitude, et comment appeler scrupule une crainte fondée en raison ? Adrien, par cette critique directe de Gerson, invite les moralistes à se tourner ailleurs.

[i) C’est Cajbtan (146g-1534) qui a le mérite d’ouvrir la voie nouvelle. Peu importe l’intensité du doute, écrit-il en 15aià Kôllin ; ce qu’il faut préciser, c’est sa relation à l’acte : pratique en effet, ou tombant directement sur l’action, il oblige au plus sûr ; mais purement spéculatif, il n’empêche pas d’agir, si le jugement de conscience est par ailleurs certain (Opuscula, Lyon 1541, Op., xxxi, resp. 13, dub. 7). Cette distinction marque un tournant décisif : au probabiliorisme direct, elle va permettre de substituer un probabilisme réflexe.

y) Désormais, en poussant l’analyse de la notion de probabilité, en comprenant mieux que, dans le domaine île l’incertain, de très grandes vraisemblances en faveur d’une alternative peuvent ne pas enlever leur valeur aux raisons du parti contraire, on inclinera de plus en plus à admettre qu’il ne saurait y avoir faute à user de la liberté que laisse une opinion probable, quand bien même cette opinion serait moins probable que sa contradictoire, si, dans le prononcé immédiat de la conscience, on est assuré de bien agir. C’est par cette voie que la célèbre école dominicaine de Salamanque parvient graduellement à la solution du problème.

Le grand initiateur Vitoria (1480 ?-1546) la voit déjà : « Vir literatus, [si] reputet duas opiniones probahiles, tune quameumque opinionem sequatur, non peccat » (In 1-11, 19, S’, Comment, ms. de 153g, Bibl. vat, 4630, fol. ia5 r. ; cf. Sum.Sacram., q. 177). Cano (150q-1560) ne se contente pas de souligner cette thèse ; il admet, ce qu’avait nié Adrien, qu’il est permis dans bien des cas, surtout au confessionnal, de suivre une opinion probable contraire à sa propre opinion spéculative (lnl-ll, 19. 6 : Comment. , ms. ("vers 1 548], Bibl. vat. Ottob. 289, fol. 79). Dominique Soto (14g4-l560) s’exprime dans les mêmes termes que Vitoria (De just. et jure, 1556, 1. VJ, q. 1, a. 6, li i), tout en spéciliant que le juge, le médecin, le théologien, etc. doivent suivre le plus probable

1, Comme toujours aux époques de transition, le » formule » île ce temps sont difficiles à interpréter. Quand Me lin » et les premiers probabilistes, Lopez, Vasquez, Lessius, Salas, Snnchez, etc., crurent y reconnaître la négation de leur thèse, ils s’arrétnient à lu lettre, qui est en effet probnbilioriste. Quand ensuite Terillui et d’autics se figurèrent y trouver le probabilisme, ils ne considéraient que l’esprit, qui est bien niiti-lutionste. En réalité nous avons affaire ici n un probabiliorisme, mais à un probabiliorisme qui s’éloigne du tutiorisme, et prépare déjà le probabilisme.