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dans le sens du tutiorisme’. Cette conclusion trouverait au besoin continuation dans plusieurs solutions de détail touillées de la plume du saint Docteur. Voir Sent., IV, d. xxi, q. 2, a. 3, ad 3 ; Sum., M a, q. 83, 6, ad. a ; Quodl. iv, « 4. Mais, disons-le tout de suite, le tutiorisme de saintThomas et de son temps diffère essentiellement du tutiorisme con «  damné par Albxandrb VIII (D. li., 1293), car, bien loin de proscrire, comme le feront les jansénisants, l’usage des principes réflexes dans la formation de la conscience, le seul tort des théologiens du treizième siècle est d’ignorer cette délicate notion, dont ne s’enrichira la morale que longtemps après eux.

, 3) D’accord avec saint Paul (Rom., xiv, 23) :

« Onine quod non est ex fide, peccutum est », — les

scolastiques avaient toujours enseigné qu’on ne peut sans péché agir contre sa conscience. Omne quod contra conscientiam aedificat ad gehennam », avait dit Gratikn (Décr., p. II, caus., xxviii, q. i, c. I/J, concl.). Combinées avec le mot de V Ecclésiastique m, 17 : « Qui aniat periculum, in ipso peribit », ces formules fournissaient une règle pour le cas du doute : « Qui agit in dubio, discrirnini (ou periculo) se committit. » D’où, en conséquence immédiate : < In dubio tutior pars est eligenda. »

Ce dernier principe est consacré par l’usage des canonistes. Il apparait pour la première fois dans une décrétale (TEugène III, 1145-1153 (Décrétai., 1. IV, 1. 1, c. 3 « Juvenis »), et se retrouve dans cinq autres documents pontificaux du même temps : Clément III, 1 187-1 191 (Ibid., 1. V, t. xii, c. 12 « Ad audientiam »), Innocent III, 1198-1216 (Ibid. 1. III, t. xliii, c. 3, « Veniens » [concerne l’usage des sacrements ] ; 1. V, t. xii, c. 18, « Significasti » ; 1. V, t. xxvii, c. 5, « Illud »), Honorius III, 12161227, (Ibid., 1. V, t. xii, c. 24, « Petilio tua »).

On sait que les évêques avaient pris l’habitude, depuis les réformes de Grégoire VII, de soumettre au Saint-Siège leurs cas de conscience embarrassants.

Très loin d’avoir valeur de décisions universelles, les réponses faites à ces consultations, vite répandues dans le monde des écoles, y jouissaient d’une grande autorité, surtout lorsqu’elles émanaient de canonistes tels qu’lNNocKNT III. Mais à partir de 1234, la compilation méthodique publiée par saint Raymond db Pennafort sur l’ordre de Griîgoirb IX

1. La plupr.rt dei moderne » avouent que le texte est

« difficile II. Quelques-uns croient pouvoir le passer sous

silence sans nuire au thomisme de leur exposé (A. Sertillange, 0. P., La philos, mor. de S. Th., 1916, pp. 547 ss.). — D’après des probabilités, saint Thomas n’aurait en vue que le doute vincibte (Fkins, S. J, De act. hum., t. III, 1911, pp. 56.259). Cette opinion ne supporte pas 1 i’ : i nu h. — Suivant d’autres théologiens, il s’exprimerait en piobïibilioriste ; ainsi, R. Bkaudouin, 0. P. (De conteientia, 1911, p. 77, cf. p. 94) : « Antiqui breviter h >nc difficullatem [du choix des opinions] solvebant, dicendo cum D. Thoma : Cum habens duas opiniones contrarias perplexus sit, periculose se determinaret, nisi, re diligenter inspecta, illarum probabiliorem eligeret. Et in lnijusmoili dubiis sol vendis, utebantur hoc axiomale juris : Id lequimur in obscuiis quod e>l veritimihuM. » — Nous avons dit ci-dessus pourquoi nous écartons cette explication. Quant a la rè^ls juridique înipicîmui [d non : id sequimur] in obsr.ui is… (Décrétâtes, I.VI, reg. juris 45), il et inexact que saint Thomas et ses contemporains en fassent un principe moral. Empruntée par les canonistes au droit romain (Digeile, I. L, t. xvii, ; 11">), elle n’est pas encore sortie au xin* siècle de sa signification originelle. Elle sert aux gens de justice a établir les présomptions dans les questions de fait. (Voir une édition glosée du Corput Jurit canonicî, par exemple : Lyon, 1671, III, Bî6). A peine Irouve-t-on dans saint Antonin (f 1459) une timide extension de cette règle aux doutes concernant la loi positive (Sum., p. I, t. xxl.

s’imposa à l’égal du Décret de Gratien et constitua avec lui le Corpus Juris canonici. C’est de là que devaient sortir les Sommes de cas de conscience. En attendant, les théologiens y puisaient largement, et y trouvaient, pour trancher les cas aiubigus, le principe de prudence cité plus haut. Ils y trouvaient même, dans une réponse (ITnnocknt III, un schème complet de la question du doute (Décrétai., 1. V, t. xxxix, c. 44 »’< Inquisitioni »), dont il n’y avait qu’à remplir le cadre, et qui, certainement connu de saint Thomas (De ver., q. xvii, 4, « d 4), semble avoir influencé son Quodl., viii, 13. Or en tout cela nulle distinction n’était faite entre doute spéculatif et doute pratique.

Dans ces conditions, il n’est pas surprenant que les auteurs de cette époque exigent pour agir une opinion certaine (spéculalivement), et condamnent, comme agissant dans le doute, celui qui se contente d’une opinion probable : l’idée de déposer la conscience probable est étrangère au treizième siècle. — Voir Guillaumk d’Auxkrrk, Sum., 1. II, tr. xxix, ci, q. 3 ; Guillaume db Paris, De coll. benef., a. 8 ; De legibus, c. xxi ; Alexat dre de Halès (7 1 1 45), Sum., p. II, q. 1 12, cas. 8 ; q. 121, m. 3, a.i, ad. 2 ; David d’Augsbourg (-j- 1271), De eaterioris et interioris hominis compositione, 1. III, proc. 5, c. 19 ; proc. 6, c. 43 ; Henri de Gand (1219-1295), Quodl., iv, 33 ; Scot (-j- 1308), Sent., prolog., q. 2, n. 15 ; 1. III, d. xxv, q. 1, ’£ « Dico tune ».

Très peu font exception. Albert le Grand (12061280) enseigne une sorte de probabiliorisme et déclare l’obligation de conscience incompatible avec le doute (Summa de creaturis, p. II, q. 70, a. 2). Ulric de Strasbourg (7 1277), son élève, s’exprime à peu près de même (cf. NiDKR, dans Tkrillus, Fund. totius theolmor., p. 356). Monaldus (-j- av. 1286) va plus loin. Annonçant, dans le prologue de sa Somme, qu’il relatera sur chaque question les opinions opposées, il conseille au lecteur de choisir celle qui paraîtra

« magis consona rationi », mais ajoute aussitôt qu’aucunene

lui semble dangereuse « cum quælibet sit a magistris et probatis doctoribus in scriptis authenticis studiosius annotata ».

3° Indices en faveur du probabilisme.

A. — Tout en résolvant par le tutiorisme le problème théorique de la conscience douteuse, il arrive plus d’une fois à saintTiio.vAS de se conduire en probabiliste. Déjà saint Antonin, au quinzième siècle (Sum., p. I, t. iii, c. 10, 5j 10), relevait cIipz lui quelques opinions jugées purement probables, admises pourtant de préférence à leurs contradictoires plus sûres, et proposées ainsi à l’usage des fidèles. On en a depuis signalé bien d’autres, par exemple sur la confession des circonstances simplement aggravantes (Sent., IV, d. xvi, q. 3, a. 2, sol. 5), sur le délai de la confession après une faute grave (Sent., IV, d. xvii, q. 3, a. 1, sol. 4 : « Etideo videtur probabilis illorum opinio qui dicunt… »), sur la réitération de la confession informe (Ibid., a. 4)- On trouvera dans Tkrillus (Fundamentum totius theol. mor., 1668, q. 22, nn. 174. 168, 170. 1 65. 166) des indications semblables concernantALBimT lb Grand, saint Bonaventure (1221-1274), Richard de Middleton (7 1307 ?) etc. De même Innocent 1 II avait souvent réservé dans ses décrétâtes les opinions contraires aux siennes (I. II, t. xiii, c. 13 « Litieras »).

B, — Saint Thomas n’examine pas le cas du pénitent qui suit sur un point de morale une autre opinion que celle de son confesseur. Mais d’autres se le posent et estiment que le confesseur doit alors respecter l’opinion probable de son pénitent. Ainsi Geoffroy de Fontaines, 7 1306 (Quodl., ix, 16),