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PHOBABILISMK

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nion. pourlant moins sûre et purement probable, il se défendit toujours d’imposer l’autre, pourtant plus sûre et plus commune, à ses correspondants. Pris à partie à l’occasion d’une consultation envoyée à Oceanus sur ce sujet vers îkfl (1-p-, Uiz ; /’. L.,

XXII, 653 ss), voici ce qu’il répondait en 40a. dans son Apologia aiUersus llufinum I, xxxn ; P. L.

XXIII, 4a’t D) : « Interrogati a fratribus, quid nobis videretur, respondimus, nulli præjudicantes sequi quod velit, nec alterius decrclum nostra sententia subvertentes. » Chh. Dr Wulf [Lurusj.qui cite ce trait au c. m de sa dissertation De opinionc probabili (Opéra, Venetiis 172g, T. XI, p. 5-7) montre que Tiikodorbt, cinquante ans après saint Jérôme, n’agissait pas diiréremment(cf. P. G., LXXXI11, 1306 BC).

Saint Augustin s’est expliqué aussi à plusieurs reprises sur lecas de la conscience douteuse. Vers 398, dans une lettre à Publicolo, il donne au sujet des idolothytes la direction suivante, où l’on notera qu’il s’iigit d’une probabilité de fait : « Aut cerlum est esse idolothytum, aut certum est non esse, aut ignoratur : si ergo certum est esse, melius christiana virtute respuitur ; si autem : el non esse scitur vel ignoratur, sine ullo conscientiæ scrupulo in usum necessitatis assumitur. » (Ep., xlvii, 6 ; P. T.., XXXIII, 187C). — Un peu après, vers 4 « o, Januarius lui ayant demandé s’il convenait, le jeudi-saint, de prendre le repas avant la Cène, comme avait fait le Seigneur, ou s’il fallait s’y préparer par le jeûne, Augustin, dont toute la lettre est empreinte de la plus large tolérance, laisse pleine liberté à son ami : t Neminem cogimus anle dominicain illam Coenam prandere, sed nulli etiam cont : adicere audemus. » (Ep., liv, 9 ; P.Z.., XXXII1, ao4 A) — Une solution analogue est fournie par le Contra Faustum, écrit aussi en ijoo. Là, réfutant les attaques de Faustus contre l’Ancien Testament et entre autres choses la critique des guerres entreprises par Moïse, Augustin s’élève bien au-dessus des objections de son adversaire et trace dans un chapitre admirable toute une théorie chrétienne de la guerre, où l’on trouve ce passage :

« Vir justus, si forte sub rege homine etiam sacrilego

militet, recte potest, illo jnbente, bellare, civicae pacis ordinem servans, cui quod jubelur vel non esse contra Dei præceptum certum est, ec/, u trum sit, certum non est, ita ut fortasse reum regem faciat iniquitas imperandi, innocentem autem militem ostendat ordo serviendi. » XXII, lxxv ; P. L., XLII, 448 B)

— Un cas passablement obscur alors, mais dont les applications étaient fréquentes, celui du mariage mixte, fournit par deux fois à saint Augustin l’occasion de montrer la réserve qu’il gardait dans le doute. « Quæ nostris temporibus jam non putanlttr esse peccata », dit-il en 4 13, « quoniam rêvera in Xovo Testamenlo nihil iiide præceptum est, et ideo aut lieere credilum est, aut velut dubium derelictum. » (De fïde et oper., xix, 35 ; P. A., XI, , 221 A) Et de nouveau en 4 19. donc au fort de la lutte pélagienne :

« Mulier…, mortuo viro suo, in potestate

habet cui vult nubere, t-intum in Domino (I Cor., vu. 39), quod duobus modis accipi potest : aut christiana permanens, aut christiano nubens. Non er-im tempore revelati Testamenti Novi… sine am-I guitate declaratum e-se recolo utrum Dominus prohibuerit fidèles inlidelibus jungi. » (De conj. adult. I. xxv, 31 ; P. A., XI-, 468 D) Conscient des difficul1é~ de la question (Ibid., n. 32 ; P. t., XL, 46g B ; cf. Hetract, II, lvii ; P. A., XXXII, 653 D), il n’ose pas, à l’exemple de S. Cyprirn (De lapsis, vi ; P. A., "1’17"), restreindre la liberté (les consciences, et il lui sullit de conclure : « Non tamen (iat, quia non expe lit. Non enim omnia expedire quæ licita sunt, apertissime docet Apostolus. » (lbid.)

Conclusion. — II est indéniable que l’on trouve chez saint Augustin, et après lui en général chez les écrivains latins, une théorie de l’ignorance de conscience, appelée à avoir une influence tulioriste sur la morale des premiers scolastiques, et aujourd’hui abandonnée de tous. On n’a pas, en effet, à cette époque une notion précise du péché matériel ; c’est là ce qui empêche de voir clair dans le cas de l’ignorance. Mais en pratique, quand surviennent des doutes sur la licéité de tel ou tel acte, c’est déjà par la méthode probabiliste qu’on les tranche.

II. — Saint Thomas (1225-1274) et son temps

i° Position du problème. — On ne rencontrait chez saint Augustin et ses contemporains que des solutions pratiques du problème de la conscience douteuse. Chez saint Thomas au contraire, nous allons en trouver l’étude théorique. C’est qu’entre le cinquième et le treizième siècles, après la longue nuit du haut moyen âge, s’est introduite dans la science religieuse une dialectique théologique, dont l’effet immédiat a été d’opposer les unes aux autres, aussi bien en morale qu’en dogmatique, les opinions divergentes des docteurs. En présence de cette diversité, les uns faisant une obligation grave de ce que les autres laissaientlibre, ilctaitnatureldese demander comment devait se comporter la conscience. C’est ce qui amena les théologiens, dès le douzième siècle, à traiter ex professo du doute moral.

Mais, circonstance à noter, tandis qu’on eût pu énoncer la question en termes abstraits, et rechercher si le caractère incertain d’un devoir est conciliable avec sa valeur d’obligation, on la conçut sous une forme concrète et tout à fait indéterminée, savoir : s’il est permis, dans le conflit des opinions, de suivre n’importe laquelle ; c’était prêter à de graves équivoques et rendre impossible, à moins de précisions nouvelles, une solution rigoureuse. Plusieurs siècles de tâtonnements et de controverses allaient bien le montrer.

Saint Thomas examina le problème vers ia65, dans une question quodlibetale où il avait à se prononcer sur la licéité du cumul des prébendes. A propos de ce cas, aussi pratique que litigieux alors,

— « Ambigua » dit ailleurs le saint Docteur, parce que « inveniuntur inea theologi theologis et jui istae juristis contrarie sentire » (Quodl., ix, 15), — la question est ainsi posée : « Utrum, quando sunt diversae opiniones de aliquo facto, ille qui sequitur minus ttttam, peccet, sicut de pluralitate præbendarum. » (Quodl. viii, q. 6, Deinde quærebatur, 3°.)Le sujet est traité à l’article 13.

a Solutions données au Quodl., VIII, 13. — Voici d’abord, dans une paraphrase aussi fidèle que possible, le texte de saint Thomas.

Deux hypothèses sont à considérer. Indépendamment des apparences faillible », ou bien l’opinion plus sure et plus commune est objectivement vraie ; ou bien elle est fausse.

a) Si elle est vraie, s’il ett vrai par exemple qu’il soit défendu de garder plusieurs prébendes, ulors, on a beau croire en toute bonne foi que cela est permis, agir selon cette certitude de conscience, n’en est pas moins un péché [non excutalur a peccato), attendu qu’en réalité c’est transgresser la loi. Illiid autem quod agitur contra Irgem, sem/>er est malum, nec excusalur per hoc quod est secundum conscienliam.

b) Si au contraire, elle est fausse, et si par suite c’est l’opinion en apparence moins sûre qui se trouve objectivement vraie, malgré cela, le bénéficier, possesseur de plusieurs prébendes, n’est pas nécessairement excusé.