Page:Adhémar d'Alès - Dictionnaire apologétique de la foi catholique, 1909, Tome 4.djvu/150

Cette page n’a pas encore été corrigée

287

PRIERE

288

dance et de sa misère : c’est là uneleçon dont l’homme a toujours besoin. L'épreuve ne dût-elle produire d’autre fruit que cette persévérance dans la prière, ce serait déjà un gain positif, gain peut-être beaucoup plus appréciable que la réalisation du désir qu’elle exprime. Le grand bien, pour l’homme, consiste à se détacher de la terre et à regarder le Ciel. Rien que ce regard, tourné vers le Ciel, porte en lui-même sa récompense, et l’homme doit se tenir pour grandement favorisé de Dieu, qui reçoit la grâce d’y persévérer. Car c’est une grâce ; et celui-là n’est point un déshérité d’en haut, qui persévère toute sa vie dans la prière. C’est un héros de la persévérance chrétienne ; un de ces héros à qui est promis le salut (Mat., x, aa). En regard des déceptions et des murmures qui reprochent à la prière de ne pas tenir ses promesses, il convient de remettre l’exemple des vies héroïques qui, pour n’avoir jamais demandé à la prière rien que d’excellent, ne l’ont jamais trouvée en défaut, mais n’ont cessé d’y recourir comme à la source vive de cette eau qui jaillit pour la vie éternelle (/o., iv, 14).

VII. Histoire et Psychologie. — On doit à M. J. Sbgond une thèse universitaire sur La Prière. Essai de psychologie religieuse. Paris, Alcan, 191 1. Mosaïque de citations et de réflexions, assemblées par un lien trop souvent artificiel.

Très différent est le livre de M. Friedrich Hkileh, publié en Allemagne et parvenu en deux ans à sa troisième édition. Œuvre d’histoire et de psychologie. Bas Gebet. Eine religionsgeschichtliche und religionspsychologische Untersuchung. Von Friedrich Heiler. 3 Auflage Miinchen, Reinhardt, 1921, gr. in-8, xx-576 pages.

Comme tout autre fait religieux, la prière peut être étudiée par les procédés familiers à la science des religions. Ecrire l’histoire de la prière, sera retracer l’effort de l’homme pour entrer en relations avec Dieu ; — c’est-à-dire, en somme, la vie supérieure de l’humanité.

Telle est précisément l’ambition de M. Friedrich Heiler. Il est, parait-il, catholique, ou, plus exactement, il l'était quand parut ce livre. Nous ne l’aurions pas deviné, tant il fait soigneuse abstraction de sa croyance. Personnellement instruit de ce qui touche au catholicisme, il met d’ailleurs sa coquetterie à dominer, avec une sereine impartialité, toutes les différences confessionnelles, à tenir la balance égale entre saint Augustin et Luther, entre Calvin et saint Ignace de Loyola, à citer Auguste Sabatier et l’archevêque d’Upsal, Nathan Soederblom, à côté de sainteMechthilde et de sainte Térèse. Ajoutons qu’il parle, çà et là, en franc luthérien. Il a dû prévoir que les protestants lui donneraient plus d'éloges que les catholiques ; et sans doute est-ce là ce qu’il a voulu. Les premiers pourront exalter sa largeur d’esprit ; les seconds se sentiront çà et là blessés dans leur foi. Surtout ils ne sauraient pardonner l’inconvenancede certains rapprochements. La place de Jésus, le Maître divin de la prière, n’est pas dans un même groupe avec Luther et Mahomet.

Ces réserves faites — et elles s’imposent, — on peut trouver dans le livre à s’instruire, et même à louer. Il contient une somme énorme de faits précis, maîtrisés par une pensée vigoureuse. Nous indiquerons rapidement la suite des idées.

L’estime commune des hommes voit dans la prière le fait central de toute religion. Or — l’observation peut surprendre, — l'étude de cefaitcentral ne semble pas avoir été poussée très loin. Ce n’est pas que les documents fassent défaut : effusions des âmes pieuses, liturgies de toutes provenances, confidences

et témoignages des ascètes, des missionnaires, des ethnographes, sur le fond, sur la forme, sur les altitudes et les gestes de la prière, encombrent nos bibliothèques. Mais la prière a sa pudeur, et il n’est pas donné au premier venu de saisir et de rendre ce qu’il y a de plus intime dans les paroles dites par l’homme à Dieu. Cela peut expliquer une certaine pauvreté relative de la littérature théorique consacrée à la prière.

L’auteur entreprend de combler cette lacune, dans un esprit étranger à toute croyance positive. Il interrogera d’une part la psychologie des peuples, surtout des peuples enfants, espérant retrouver sur les lèvres des primitifs l’accent naïf de la première prière qui jaillit spontanément du cœur de l’homme ; d’autre part, les personnalités transcendantes, surtout dans l’ordre religieux, comme des interprètes éminents de l'âme universelle. Réservant à une étude ultérieure la métaphysique de la prière, il se borne présentement à une tâche descriptive.

Les primitifs — par là il entend d’abord les peuples sans traditions écrites, — le retiennent longtemps. La prière du primitif reflète immédiatement ses impressions personnelles : expression spontanée d’un besoin, ou reconnaissance pour un besoin satisfait, elle manifeste l’ardent désir de vivre qui est au fond de la nature. Le présent seul et les biens tangibles existent pour le primitif ; mais il sent trop les limites de sa nature et son essentielle dépendance, pour ne pas implorer un appui au dehors. Le cri profond de sa détresse manifeste l’intensité de sa vie affective, son élan vers le bonheur, son réalisme naïf. Etranger à toute métaphysique, il prie, sans raffiner sur l’objet de sa croyance ; l’Etre supérieur à qui va sa prière, qu’il cherche à gagner par des offrandes, vers lequel il crie dans l’angoisse, est facilement pour lui un Maître ou un Père. Les travaux récents de l’anthropologie, dépuis Andrew Lang jusqu’au R. P. W. Schmidt, tendent à révéler de plus en plus le monothéisme instinctif qui constitue le fonds primitif des religions, et illustrent la valeur largement humaine des formules consacrées par la prière juive et par la prière chrétienne.

Mais la prière primitive évolue au cours des âges, et l’on nous invite à en suivre les métamorphoses.

Tout d’abord, elle se fixe et en quelque sorte se pétrifie en des formules impersonnelles, consacrées par la tradition, parfois consignées dans un rituel minutieux, confiées à la garde des prêtres. Formules primitivement très simples. L’antique religion de Rome et celle de l’Egypte offrent des exemples remarquables de cette transformation. Au libre cri sorti du cœur, a succédé le respect superstitieux de la lettre, le règne du protocole. L’attention des prêtres est concentrée sur l’observation exacte du rite, les fidèles y demeurent plus ou moins étrangers. Toute une jurisprudence du culte s'élabore ; et quand le rite est régulièrement accompli, on attend de la divinité qu’elle s’exécute. La supplication primitive a dégénéré en instrument de contrainte ; on est en pleine magie. D’ailleurs, la prière spontanée peut toujours s'évader de ce formalisme, et jaillir sous l’empire d’une nécessité pressante ou d’un sentiment profond.

Un jour vient où la civilisation met son empreinte sur le culte et assouplit la raideur hiératique des anciennes formules. La prière se répand en hymnes : hymnes rituelles, sorties du sanctuaire ; hymnes littéraires, dues à de libres poètes. Non seulement la Grèce et Rome, mais tous les pays à grandes religions sacerdotales : Egypte, Mésopotamie, Inde, Amérique centrale, virent une poésie littéraire naître des chants rituels. L’auteur s’arrête avec com-