Page:Adhémar d'Alès - Dictionnaire apologétique de la foi catholique, 1909, Tome 4.djvu/15

Cette page n’a pas encore été corrigée

17

PESSIMISME

18

l’avoir résolue il soil dillicile de comprendre les rescrits de Trajan, d’Hadrien, de Marc Aurèle. On ne se rend pas très bien compte de la méthode suivie par l’auteur, en ce qui conc-rne cette source mêlée d’or et de scories que forment les Passions des martyrs : il cite plus souvent et plus longuement les Actes apocryphes que les quelques Actes d’une authenticité établie, et ne paraît point apercevoir toute la valeur de pièces comme la lettre de l’Eglise de Smyrne sur le martyre de Polycarpe, la lettre de Lyon sur les martyrs gaulois, la Passion de Perpétue et de Félicité, celle des Scillitains. En revanche, la sincérité de son esprit l’obligea pencher quelquefois, bien qu’avec une répugnance visible, vers les solutions conservatrices : après avoir résumé tout ce qui aété dit contre le martyre de saint Pierre à Home, et passé à peu près sous silence les textes anciens qui y font allusion, il se sent obligé de convenir qu’aucune tradition ne l’a jamais placé ailleurs. Il conteste et admet à la fois les traditions relatives aux femmes chrétiennes condamnées, selon le mot de Tertullien, contirmé par les témoignages de Cyprien et d’Eusèbe, ad lenonem potius quant ad leonem, et déclare, avec une indignation d’honnête homme, que la lecture des Passions de tant de iVmiues et déjeunes filles martyrisées laisse « une impression de dégoût pour une société qui tolérait de pareils attentats à l’humanité ». En résumé, on rencontre dans ce livre, avec beaucoup de détails intéressants, peu de lignes sûres et nettement dessinées. Il ne semble pas que l’histoire des persécutions doive tirer un grand profit d’un travail fait, peut-être sous l’empire d’idées préconçues, probablement avec une préparation insuffisante, par un maître qui a écrit, sur tant d’autres sujets, des pages si savantes et si utiles.

Paul Allard.


PESSIMISME. — I. Notion. — II. Historique. — 111. Critique.

I. Notion. — Le Pessimisme peut s’entendre de deux façons. C’est soit une attitude d'àme, soit un système. Attitude d'âme, il s’attache au côté douloureux, décevant, vain ou tragique des choses. Disproportion entre les besoins ou les aspirations de l’homme et ce qu’il peut atteindre, inanité de ses désirs, médiocrité, mesquinerie, terne monotonie de la vie : ajoutez les « injustices du sort », les disgrâces, la pauvreté, la maladie, la souffrance, surtout la mort avec ses dures séparations et son terrible inconnu : tel en est l’ordinaire sujet. Ce Beront tantôt des cris de colère, de révolte, de désespérance, arrachés par l’excès de la déception, de la lassitude ou de la détresse. Ce sera tantôt une disposition habituelle de l’esprit, ou de la sensibilité, comme un tempérament qui teinte toutes choses de couleurs sombres, qui ne goûte de la vie que ce qui est amertume.

Mais il arrive que le Pessimisme prend la forme d’un système. Non seulement il y a du mal en ce monde, dit-il, non seulement la somme des maux dépasse celle des biens, mais le monde est mauvais. Non seulement la douleur pèse sur tous les êtres, non seulement la souffrance est la loi de l’univers, mais il y a dans la nature un mal radical, essentiel. L’existence est plus que la source de tous les malheurs : elle est un mal.

IL Historique. — i° Avant le Christianisme. — La Grèce, heureuse, ne pouvait pas ne pas laisser parfois entendre la plainte humaine. C’est d’elle qu’est la maxime mélancolique : « Le mieux pour l’homme est de ne pas naître, et quand il est né, de mourir

jeune. « Cependant le Grec, foncièrement, croit au bonheur, il a confiance dans la vie. Il assigne la félicité comme fin de l’existence humaine, et se flatte de pouvoir l’atteindre en ce monde. C’est l’eudémonisme. Tantôt il met le souverain bien, avec les Stoïciens, dans l’exercice de la raison, exercice qu’il prétend être toujours au pouvoir de la volonté. Tantôt, à la suite d’Epicure, il s’attache à suivre la nature, à goûter les plaisirs que la bonne nature lui oirre.Dans l’une ou l’autre de ces conceptions, le Pessimisme se produira comme représailles de la réalité contre une trop grande confiance envers la vie. Ou bien le règne de la justice s'écroule sous les coups de la tyrannie et de la violence, et le stoïcien se tue, non parce qu’il est malheureux, mais parce que le monde est injuste. Ou bien la vie refuse les voluptés qu’on en attendait et on la prend en dégoût. L'épicurien devient facilement un désabusé Faut-il voir un docteur en pessimisme dans Hégésias, de la secte des Cyrénaïques, lequel florissait à Alexandrie au début du m* siècle avant l'ère chrétienne, l’auteur d’un livre intitulé le Désespéré'} Il considérait la félicité comme un fantôme qui trompe et trompera toujours nos efforts et conseillait de chercher un refuge dans le trépas. A Alexandrie encore existait l’Académie des Co-Mourants, dont faisaient partie Antoine et Cléopâtre. Il est certain que, malgré les apparences, l’Epicurisme contenait plus de germes de pessimisme que le Stoïcisme. Si on le prend au sens élevé, le bel équilibre qu’il se flattait d’obtenir devait souvent faire défaut. Au sens inférieur, il amenait vite la satiété. De plus, l'épicurisme doctrinal écarte toute idée d’une Providence attentive et voit dans le monde le résultat du jeu aveugle des atomes : c’est l’oppression de ce mécanisme brutal qui fait la mélancolie de Lucrèce, mélancolie qui va jusqu'à la désespérance.

A la philosophie d’Epicure (physique atomistique empruntée de Démocrite) Lucrèce (?o8-55av. J.-C.) demande l’affranchissement de toute religion. Incohérente et cruelle, la religion est inspiratrice de crimes :

Tantum religio poluit suadere malorum !

Admettre des dieux, c’est d’ailleurs les rendre responsables de la masse des maux qui accablent le monde. L’homme est jeté, faible et désarmé, sur les rivages de l’existence. Il y trouve une nature marâtre, et la douleur sera son seul partage. Passions aveugles, visions sinistres, travaux stériles, amères déceptions, c’est toute la vie. En vain, les mortels cherchent à s'étourdir ; en vain, ils demandent au plaisir l’oubli d’eux-mêmes :

Medio de fonte leporum Surgit amari aliquid, quod in ipsis floribus angat.

D’après une tradition recueillie par saint Jérôme, le De Natura rerum aurait été écrit dans les intervalles de crises de folie. Et c’est dans une dernière crise que Lucrèce se serait donné la mort. Son pessimisme vient de son effort pour s’arracher de l'âme l’idée de Dieu, et en même temps du sentiment d'être asservi au déterminisme inflexible des forces de la nature.

Il reste que, dans l’antiquité grecque et latine, s’il y a un pessimisme latent qui se traduit ici ou là soit en des cris plus plaintifs soit en des écrits d’une tristesse plus sombre, il n’est guère un système coordonné, construit.

Faut-il voir dans le Bouddhisme de l’Inde une religion pessimiste ? Plusieurs auteurs l’ont cru. Le terme de la vie bouddhique, le terme proposé au sage n’est-il pas le nirvana, c’est-à-dire le vide par