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PRIERE

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simplicité dans ses rapports avec la contemplation, Vit spirituelle, 1921, p. 181-174 ; Un plan de théologie ascétique et mystique, liev. d’Asc. et de Mi st., 1911, p. 23-35 ; II. P. M. de la Taille, S. J., L’oraison contemplative, dans Recherches de Science religieuse, t. X, p. 273-292 (1919), aussi en brochure chez Beauchesne.

Les pages consacrées dans ce Dictionnaire soit à I’Ascktismh, soit au Mysticisme, soit à tel phénomène extraordinaire tel que I’Extase, sont loin d’épuiser ou même de poser toutes les questions actuelles. Nous ne pouvons songer à remplir un si vaste programme, sur lequel le R. P. J. V. Bainvbl, vient de fournir des indications très précieuses dans l’Introduction substantielle qu’il a donnée à la 10e édition ( 1 9^3) dulivre de P. Poulain sur les Grâces d’oraison. Néanmoins il ne semble pas hors de propos de marquer quelques directions dans cette mêlée un peu confuse, où l’on combat tantôt pour des doctrines et tantôt pour des mots. C’est ce qu’a déjà fait, avec beaucoup plus d’autorité, le R. P. J. dk Guibkrt, S. J., dans plusieurs articles de la Revue d Ascétique et de Mystique.

Un des points les plus vivement disputés concerne les relations entre l’ascétique et la mystique : notion précise de l’une et de l’autre, questions de frontières, nature et degrés delà contemplation mystique, son rôle dans le développement de la vie spirituelle.

On s’accorde universellement à reconnaître que l’oraison est d’autant plus élevée que Dieu y opère davantage à l’exclusion de l’homme. Sans doute, l’Esprit saint est le maître de toute oraison ; mais il se communique diversementaux âmes, dividens singulis prout vult, I Cor. f x, 11. Dans les débuts de la vie spirituelle, l’effort de l’homme pour se convertir à Dieu est d’ordinaire plus apparent ; l’ascétique, élu liant cet effort de l’homme mû par la grâce, verra dans la vie spirituelle surtout le travail humain. A un degré plus élevé, l’initiative de la grâce pourra se manifester par des effets transcendants, que l’homme subit, sans qu’il soit aucunement en son pouvoir de les provoquer. Cette passivité de l’âme sous l’action divine caractérise la contemplation mystique : « regard simple et amoureux à Dieu, où l’âme, suspendue par l’admiration et l’amour, le connaît expérimentalement, et, dans une paix profonde, goûte un commencement de la béatitude éternelle ». (Maumigny)

Il ne semble guère contesté non plus que, selon les vues de la Providence, les grâces mystiques doivent suppléer à la défaillance de l’âme et la porter à un degré supérieur de vie spirituelle ; que par ce moyen Dieu opère quelquefois en un instant ce qui, à défaut d’un tel secours, exigerait de longs efforts. L’oraison dite « de quiétude » marque le seuil de ce monde nouveau ; elle introduit à l’union mystique, dont sainte Térèse a décrit les ascensions, avec la lumière et le charme que l’on sait.

Où l’on cesse de s’entendre, c’est quand il s’agit de définir le lien qui, dans l’économie divine de la grâce, rattache la mystique à l’ascétique. Y a-t-il de l’une à l’autre continuité réelle et en quelque sorte unité, de manière que la vie de la grâce, cultivée par l’ascète, doive normalement, s’il est fidèle, s’épanouir en contemplation mystique ? — Ou bien la différence spécifique enire grâces communes et grâces mystiques est-elle, en fait et en droit, si tranchée que, pour passer des unes aux autres, il faille un appel spécial, appel qui, en fait, n’est pas donné ni même destiné à tous ?

En faveur delà première opinion se prononcent, avec une extrême énergie, des auteurs profondément divisés entre eux sur d’autres points : M. le Cha noine Sauorbau ; le P. Lamballb, Eudiste ; ies PP. Arintiîro et Gahhujou-Lagrangr, Dominicains. Elle n’est pas inédite. Parmi ceux qui l’ont soutenue anciennement, nous nommerons plusieurs Jésuites du xvne et du xvm* siècle ; le P. L. Lallbmant (f 1635) ; le P. J. J. Suiun (f 1665) ; le P. Caus SAOB ("f I75l).

La seconde opinion est notamment celle de Bbnoît XIV, dans son ouvrage classique De Servorum Dei beatificati’ineet Beatorum canonizitione, l. III, c. xxv. xxvi ; ouvrage antérieur à son pontificat, mais nullementdésavoué par IeSouverain Pontife. Elle compte parmi ses représentants modernes les PP. Poulain et db Maumigny, Jésuites ; Mgr Farous ; leP. Marib-Josei’h, Carme, qui la revendique au nom de la tradition de son ordre. Etudes Carmélitaines, janv. 1920 ; le P. Antoine Marie, autre Carme et Définiteur général de son Ordre, dans son Etude sur le Château intérieur de sainte Térèse, p. 10. 5g 80.84. 134- Paris, 1922.

Mais, avant toute discussion, il est bon de noter que, sur la divergence théorique, se greffe une différence de terminologie. Les auteurs du premier groupe, pour qui les grâces mystiques sont dans le prolongement normal des grâces communes, rattachent les unes et les autres à l’oraison ordinaire, réservant le nom d’oraison extraordinaire à des phénomènes qui n’interviennent qu’accidentellement dans le développement de la rie mystique : extases, visions, paroles intérieures, prophéties, ce que la terminologie de l’Ecole désigne comme gratiæ gratis datae. Au contraire, les auteurs du second groupe, qui insistent davantage sur la privauté divine inhérente aux grâces mystiques, ne mettent pas de différence entre oraison ordinaire et oraison commune, et font commencer l’oraison extraordinaire avec les grâces mystiques.

Ces opinions ont, avant tout, l’autorité des auteurs qui les défendent. Quant à les rattacher à une tradition ferme, c’est là sûrement une entreprise délicate.

On aura facilement l’impression que les arguments, apportés quelquefois comme décisifs, ne prouvent pas ce qu’on leur demande. Par exemple, demander aux paroles adressées par Notre Seigneur à la Samaritaine : Si scires donum Dei, et quis est qui dicit tibi : Damihi bibere, tu forsitan pelisses ab eo, et dedisset tibi aquam vivam(/oan., iv, 10), la preuve d’un appel, au moins lointain, de tous à la contemplation mystique, c’est assurément doubler les paroles du Seigneur d’un commentaire qui ne s’impose pas. Car la grâce offerte par Notre Seigneur à cette femme est avant tout la grâce du salut, avec tout ce qu’elle comporte ici-bas d’efficacité réelle et là-haut d’éternelles délices ; grâce, comme telle, offerte à tous. i Mais il ne suit pas de là que les modalités présentes de cette grâce soient pareillement offertes à tous. La grâce du salut est un don ; son épanouissement mystique dans la gloire en est le juste corolla-re, pareillement offert à tous. Quant à son épanouissement mystique ici-bas, c’est une tout autre question. Que l’on consulte la tradition exégétique sur cette eau qui jaillit pour la vie éternelle ; il est bien douteux qu’on en tire une réponse ferme sur l’appel de tous aux grâces proprement mystiques.

On peut en dire autant de la tradition littéraire des mystiques. De sainte Térèse et de saint François de Sales à Benoît XIV et à saint Alphonse de Liguori, on a recueilli une ample moisson de textes qui ne permettent pas d’affirmer sans réserve que la privation de grâces mystiques soit une preuve certaine d’infidélité à Dieu, ni qu’on puisse tenir ces grâces pour le thermomètre normal de la perfection.