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PREDESTINATION

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extrêmes et contraires : interprétation naturaliste on rationaliste, et interprétation altramystique.

L’interprétation naturaliste ou rationaliste intervertit les rôles dans ia genèse de l’acte salutaire et, en méconnaissant le primat de la motion divine, adjuge à l’homme la conduite de sa propre destinée. Err : l son plein relief dans l’I

emipéli

L’interprétation ultramystique décrit la motion divine comme une prédétermination et réduit le gouvernement providentiel à un pur mécanisme où l’homme n’intervient que comme un rouage. Sous couleur et honorer la souveraineté divine, cette erreur supprime, en fait, le mystère de la prédestination, avec l’exercice de ia liberté humaine. Et elle découronne la créature libre de son plus glorieux privilège, qui consiste à n’être pas simplement mue. mais à se mouvoir elle-même vers sa lin surnaturelle.

Scheeben rencontre cet inconvénient dans le système des prédéterminations thomistes, qui expliquent l’accomplissement infaillible de la prédestination par le seul influx physique de la Cause première. Il le retrouve aggravé dans le système augustinien de la grâce victorieuse, qui substitue à l’influx physique un influx moral, pareillement inéluctable en fait. Il rend hommage à l’inspiration élevée d’où procèdent ces conceptions, mais les juge en somme aussi peu équitables à la transcendance divine qu’à la liberté humaine ; il se réserve d’admettre un inllux, à la fois physique et moral, qui fait expressément sa pari au libre arbitre ; et il incline en somme vers les idées de Molina et île Suarez qui, reconnaissant entre la grâce prévenante et le mouvement réel de la volonté une simple concordance de fait, appuyée sur la science moyenne, maintiennent la vraie teneur de l’enseignement thomiste et augustinien.

Le dernier mot de la question lui paraît avoir été dit, après gaint Thomas, par Grégoire de Valentia, qui a magistralement développé l’économie de l’ordre surnaturel.

La motion efficace de la volonté humaine, dans l’ordre du salut, requiert le concours de deux principes : la grâce habituelle, qui constitue dans l’homme une source permanente d’énergies surnaturelles ; c’est le surnaturel in actu /" ; et la grâce actuelle, qui déclenche elïectivement l’énergie surnaturelle ; c’est le surnaturel in actu II". Quand ces d ;  ; ux principes coopèrent, la notion divine atteint son elFet normal, et l’homme avance vers sa (in surnaturelle. On ne saurait trop souligner que la coopération du libre arbitre, son acquiescement aux sollicitations de la grâce, est lui-même un effet de la grâce actuelle. Telle est la vraie conception mystique de l’œuvre du salut, conception également glorieuse aux initiatives de la grâce et juste aux réponses du libre arbitre.

Scheeben a soin de distinguer l’élection divine, qui se consomme par l’introduction de l’homme dans la gloire, et le choix de grâces qui consiste dans la dispensation des secours intérieurs et extérieurs en vue du salut. L’élection divine échappe entièrement aux prises de notre libre arbitre ; c’est le don gratuit de la prédestination, niais la coopération qu’elle suppose est dans nos mains : à nous donc de rendre notre vocation et notre élection effectives, selon saint Pierre (II Pel., I, 10). D’où la nécessité d’opérer notre salut avec crainte et tremblement, selon saint Paul (PliiL, ii, ia.13), en nous tenant assidûment sous la main de Dieu.

D’ailleurs la terreur de la réprobation est une ombre que notre infidélité seule pourrait projeter sur la grande lumière des divines miséricordes. La grâce de Dieu nous est acquise, aussi bien que notre

propre liberté ; nous ne saurions la perdre qu’en la méprisant. De ce point de vue, le mystère de la prédestination apparaît non comme un objet de terreur, mais comme un signe d’espérance ; car Dieu veut réellement notre salut à tous et nous y attire, encore que la mesure de grâces ne soit pas la même pour tous. Cette diversité dans la mesure des grâces est le point le plus mystérieux de la prédestination. Mai. nous savons que Dieu ne manque à aucun de ju’ila appelés. Tous, par la vertu de la passion du Christ, nous sommes en principe soustraits à la masse de perdition, et introduits dans la misse de bénédiction, où il ne tient qu’à nous de persévérer jusqu’au bout en rendant elfective la grâce qui nous a prévenus. L’infaillibilité de la prédestination

— de la prédestination générale — a dans le Christ son premier et sûr fondement.

La prédestination ante prævisa mérita a toujours compté de notables représentants, parmi lesquels on peut nommer de nos jours : J. Van der Meerscii, Tractatus de Deo itno et trino, t. I, p. 11, c. iv, Brugis, 1917 ; L. Janbsbns, O. S. IL, De gratin Dci et Clinsti, p. 255. Friburgi Brisgoviae, 1921.

Par ailleurs, des opinions que l’on pourrait croire mortes reparaissent quelquefois, plus ou moins travesties. La plaquette anonyme intitulée : Notion simplifiée et adoucie de lu Prédestination (Paris, 1897, 64 p. in-8, Bibl. Nat., D, 8/|351) renouvelle en somme l’effort d’Ockam et de Catharin, en l’aggravant par diverses erreurs exégétiques et théologiqnes.


IIe Partie

CONCLUSIONS APOLOGÉTIQUES

La revue historique à laquelle nous venons de procéder montre l’Eglise catholique constamment attentive à deux écueils opposés : recueil du naturalisme pélagien, dénoncé par saint Augustin surtout, et l’écueil d’un surnaturalisme faux, où aboutirent plusieurs sectes, d’ailleurs éprises de saint Augustin : prédestinatianistes, wicleQstes, hussiles, luthériens, calvinistes, baïanistes, jansénistes. Elle montre aussi divers points secondaires d’exposition abandonnés aux disputes d’écoles.

A l’encontre du naturalisme pélagien, qui prétend résoudre le problème de la prédestination en le supprimant et qui, en dissimulant à l’homme sa propre indigence, lui ferme la voie du salut, l’Eglise maintient la souveraineté de la grâce et son universelle nécessité ; elle. invite l’homme à se jeter avec une humble conliance dans les bras de Dieu.

A l’encontre du surnaturalisme pseudo-augustinien, qui, par une interprétation fataliste du dogme, développe un optimisme trop commode ou un pessimisme désespéré, l’Eglise maintient l’universalité du bienfait de la Rédemption et le fait de la liberté humaine. Elle allirme avec une énergie croissante la réalité, l’universalité de la volonté divine concernant le salut de l’homme ; elle ne dispense l’homme ni de craindre Dieu, à cause de sa propre faiblesse, ni d’espérer en Dieu, à cause de la puissance de Dieu et de sa bonté.

Du fait que la doctrine catholique de la prédestination réagit contre les excès contraires et d’une immoralité manifeste, résulte en sa faveur une certaine présomption de vérité. Nous ne pousserons pas plus loin l’apologie de l’Eglise. Il reste à montrer plus précisément comment la doctrine catholique satisfait aux exigences diverses des attributs divins : ce sera proprement l’apologie delà Providence.

Trois attributs divins sont ici particulièrement en cause : la sagesse, la justice et la bonté.