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PREDESTINATION

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dessein de la prédestination, depuis la grâce jusqu’à la gloire. Il n’y a donc point parité avec le cas de la réprobation.

D’autre part, on doit se tenir en garde contre l’illusion d’optique par laquelle on se représentera. t Dieu se Usant a priori une lin qui est le salut de l’homme, puis combinant les moyens en vue de cette (in. Une telle vue n’est pas exempte d’anthropomorphisme. Sans doute l’action divine tend.de sa nature, nu salut de l’homme ; mais le choix divin porte sur tout un ensemble qui comprend les moyens et latin ; si la raison humainepose nécessairement la question des relations entre les objets partiels de ee cboix, elle est insuffisamment qualifiée pour la résoudre.

Malgré les incontestables difficultés d’exposition qu’elle présente, l’opinion de Lessius a toujours recueilli d’illustres suffrages. Nul ne la recommande mieux que celui du saint évêque de Genève, que nous mentionnerons en son lieu.

Le cardinal Bbllarhin, S. J. ([- 16ai), se prononce résolument contre la prédestination ex prævisis meritis. Voir De g ru lia el liberoarbitrio, l. II, e. ix sqq. ; dans les Controversiae, éd. Coloniæ Agrippinae, t. IV, p. 5/|2 sqq., 1 1 9.

A la suite de saint Thomas et de Cajelan, il admet que la prédestination procède plutôtde l’intelligence divine que de la volonté ; il y marque les signes de raison suivants : 10 Dieu prévoit que, s’il crée l’homme, l’homme tombera avec sa postérité ; que d’ailleurs il pourra relever, en plus ou moins grand nombre, des individus de cette race ; 2° Dieu décide de créer l’homme, de permettre la chute, de procurer la rédemption, par laquelle certains hommes seront relevés tandis que les autres demeureront dan ? la masse de perdition ; 3° Dieu dresse le plan île la Rédemption, à commencer par l’Incarnation et la pas sion du Sauveur ; 4° Dieu choisit le Christ et nous choisit en lui-même avant l’origine du monde ; 5° Dieudécrète l’exécution de ce plan. Ibid., p.. r >44 A.

— D’ailleurs la prescience divine préside à toute l’œuvre de la prédestination, ibid., c. xii, p. 55$ D. Maiscette prescience ne décide pas de la prédestination. L’Evangile en fournit la preuve, en disant que Tyr et Sidon se fussent convertis à la vue des miracles qui furent accomplis dans Jérusalem : or Dieu ne les accomplit pas pour Tyr ni pour Si. Ion, ibid., p. 556 CD. Ce n’est pas à cause des bonnes œuvres prévues que Dieu prédestine certains hommes, mais il les prédestine pour leur donner d’accomplir ces bonnes œuvres, c. xiii, p. 55g C. Sans doute il veut d’abord la gloire des prédestinés, puis leurs bonnes œuvres en vue de cette gloire, ceci quant à l’ordre d’intention ; m^is l’ordre d’exécution est précisément contraire : il donne d’abord d’accomplir les bonnes œuvres, puis récompense les bonnes œuvres par le don de la gloire, e. xiv.p. 56a CD. Considerandum est gloriam in génère cuusæ finnlis priorem esse bonis operibus : ipsa enim est finis, Ma sunt média ad flnem ; in génère autem causæ efjicientis, priora esse opéra bona quant sil ipsa gloria, quoniam Ma sunt causae, ipsa est effectua. De us igilur prias vull electis gloriam quam bona opéra, quoad intentionem : ideo enim vult illis dure bona mérita quia vult dure coronam gloriæ : nam prior est finis in intentione quam média, cum non intend antnr média nisi pi finem ; et hoc modo non eligil ad gloriam ex p aevisione merilorum, sed contra eligil ad mérita ex prae visione gloriae. At quoad voluntatem executionis, quæ respicit gloriam ut effectuai meritorum, prias vult Deus electis dure bona mérita r/u un gloriæ coronam, et hoc modo eligil /), us n<l gloriam ex prævisione operum bonoriim. Cette distinction des deux ordres, do l’intention et de l’exécution, rend bien

compte des différences de langage entre l’école de saint Augustin et les Pères grecs. Encore une fois, tout ce qu’il y a de bon dans l’homme, Dieu l’y met par son amour de prédilection, c. xv, p. 565D-566A : Quos enim Deus digère dignatus est. Mi fuerunt digni qui eligerentur. nain eodem modo amari non possunt nisi boni, et tamen Deu< amando facit bonos.

Dans la réprobation, Bellarmin distingue deux actes divins : 1 un négatif el antérieur à la prévision du démérite ; l’autre positif et postérieur à celle prévision. Par la réprobation négative antécédente, Dieu s’abstient de tirer l’homme déchu de la masse commune de perdition. Par la réprobation positive conséquente, il décide de le damner pour ses péchés. C. xv, p. 567 C D ; c. xvi.

Bellarmin a porté sur la doctrine de Lessius louchant la prédestination un jugement sévère ; on le trouvera dans VAuetarium Bellarminianum édité par le K. P. Lu Baciiblkt (Paris, 19 13), p. 186. 187. — Lui-même n’a jamais cessé de défendre, quant à l’ensemble, les positions qu’il avait adoptées dès le début de son enseignement à Louvain. Voir le même ouvrage, p. 35 sqq. — Sur l’ensemble de la question, J. de la.Skrvikrb, La Théologie de Bellarmin, p. 5g1601, Paris, 1908.

La conception de François Suarbz, S. J. (-j- 1617), a plusieurs traits communs avec celle de Bellarmin, mais s’en distingue par une moindre souplesse. Cette différence procède, au moins pour une part, d’un changement de point de vue : au lieu de s’attacher à la prédestination totale, Suarez se place au point de vue particulier de la prédestination à la gloire.

A la base de la prédestination, Suarez place la prescience conditionnelle qu’a Dieu de toutes les démarches de la créature libre, mise dans telles et telles circonstances ; puis la distinction entre l’ordre de l’intention et l’ordre de l’exécution.

La prédestination suppose une intention efficace de Dieu, par laquelle il décide d’élever tels anges et tels hommes à tels degrés de gloire. Conscquemment à cette intention efficace, il leur destine des secours dont il prévoit l’efficacité. A l’égard des autres anges et des autres hommes, Dieu a aussi l’intention antécédente de les conduire à la gloire ; el conséquemment il leur destine des secours. Ces secours, de soi suffisants, demeureront ineflieaces par la faute de ceux qui les recevront : Dieu prévoit qu’eux-mêmes s’excluront de la gloire ; c’est la réprobation négative.

I’assnnl à l’exécution, Dieu confère aux premiers des secours efficaces et couronne leur fidélité par le don de la gloire. Aux seconds, il ne confère que des secours suffisants, el finalement les réprouve : c’est la réprobation positive.

Suarez, Tractatus de divina prædestinatione et reprobatione, dans Opéra, éd. Paris, 1 856, t. I ; notamment 1. VI, c. iv, p. 5a6-530.

On voit immédiatement que, du point de vue de la réprobation, la conception suarésienne soulève de réelles difficultés. Car, en fait, la prédestination antécédente et absolue à la gloire est la condition sine qua non du salut ; tous ceux que Dieu ne favorise pas d’une telle élection sont donc par lui abandonnés à la réprobation négative, et eonséquemment destinés à la sentence de réprobation positive qui en est inséparable. Suarez s’efforce d’atténuer cet inconvénient en soulignant la très grande différence qui sépare la prédestination de la réprobation. Dieu prédestine au bien ; il réprouve et livre au mal ceux qui provoquent sa justice, /, c., n. 17, p. 530 A : Prædeslinulio est ad bonum, quod Deus per se et e.r se vult ; 1 eprobatio ver.) est ad malum, quod Deus non ex se vult, sed ah humine provocalus.