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1871

PENSÉE (LA LIBRE)

1872

condamné à la prison pour avoir affirmé l’immoliililé du soleil et le mouvement de la terre ; Ramus, condamné pour avoir enseigné qu’ArJslote n’est pas infaillible… — Sans vouloir discuter chaque cas à part, il est facile de répondre que cette induction est incomplète. Si certains progrès ont été retardés ou mal accueillis parce qu’ils contredisaient les opinions courantes, combien d’erreurs ont été évitées par de sages réglementations ! Ce que nous retiendrons de l’objection, c’est la nécessité de protéger non des opinions ou des préjugés, mais la seule vérité certaine, à laquelle seule l’erreur peut être opposée.

'6' CoLLiNS compare la liberté de pensée avec la liberté de la vue et ridiculise ceux qui, voulant empêcher de voir librement, obligeraient de suivre une profession de foi oculaire ; gens qui, n’ayant que leurs propres yeux pour les diriger, pourraient se tromper aussi aisément que ceux dont ils prétendent rectitier la vue, outre qu’il est fort à craindre qu’ils ne veuillent se rendre maîtres des yeux des autres qu'à dessein de les aveugler pour les mieux tromper. — Sans relever le dernier trait, qui préjuge les intentions individuelles et qui est étranger à une discussion objective, il faut répondre en niant la parité : l’objet de la vue est d'évidence immédiate, ce qui n’est pas vrai pour la plupart des objets de la pensée. Autant il paraîtrait illusoire de réglementer l’adhésion aux premiers principes, autant il peut être utile de diriger les esprits vers des conclusions auxquelles on ne parvient qu’après un long labeur et qu’on ne peut nier ou mettre en doute sans délrimenl pour la société.

Cor.uNs veut établir les droits de la libre pensée en se fondant sur l’exemple de la prédication de Jésus-Christ et des apôtres, qui n’ont établi la religion chrétienne à l’origine qu’en s’adressant à la raison et à la persuasion. — Nous ne nions pas que l’intelligence individuelle ait une œuvre personnelle à accomplir dans l’acquisition de la vérité ; toute la question est de savoir si chacun sera livré à ses propres forces dans ce travail difficile de recherche, ou s’il sera guidé et protégé par la société.

D’ailleurs, que de prescriptions faites parlasociété en vue du bien commun, qui ne sont pas considérées comme des obstacles à la liberté 1 si donc on érige le principe que la vérité seule sera en dehors de toute protection, c’est qu’on imagine qu’elle ne court pas de dangers, assertion contredite par l’expérience ; ou qu’on ne la considère pas comme un lien. Les libres penseurs ne peuvent répondre à ce dilemme.

CoNDAMNATio.Ns. — Nombreux sont les documents pontiflcaux proscrivant la liberté de conscience pr6née comme un bien absolu. Grégoibb XVI (Encyclique Miraii vos, iSSa, édition des Questions actuelles, p. aii) dénonce cette maxime fausse et absurde ou plutôt ce délire : qu’on doit procurer et garantir à chacun la liberté de conscience ; erreur des plus contagieuses, à laquelle aplanit la voie cette liberté absolue et sans frein des opinions qui, pour la ruine de l’Eglise et de l’Etat, va se répandant de tontes parts… « Eh I quelle mort plus funeste pour les âmes, que la liberté de l’erreur ! » disait saint Augustin (£/)., c.v, 3, lo, P./.., XXXlIl, 400) en voyant ôter ainsi aux hommes tout frein capable de les retenir dans les sentiers de la vérité, entraînés qu’ils sont déjà à leur perte par nn naturel enclin au mal.

PiR IX revient sur les mêmes condamnations dans l’Encyclique Quanta cura, 1864, et dans les propositions 92-80 du Syllabo ».

LÉON Xin dénonce le mal avec plus de précision dans l’Encyclique Immorlale Dei, 1885 : « Ce pernicieux et déplorable goût des nouveautés que vit

naître le xvi^ siècle, après avoir d’abord bouleversé la religion chrétienne, bientôt par une pente naturelle passa à la philosophie, et de In philosophie a to<is les degrés de la société civile. C’est à cette source qu’il faut faire remonter ces principes modernes de liberté effrénée, rêvés et promulgués parmi les grandes perturbations du siècle dernier, comme les principes et les fondement » du droit nouveau… Chacun relève si hien de lui seul, qu’il nest d’aucune façon soumis à l’autorité d’autrui. Il peut en toute liberté penser sur toute chose ce qu’il veut, n Plus loin, l’illustre Pontife ajoute : « C’est d’ailleurs la coutume de l’Eglise de veiller avec le plus grand soin à ce que personne ne soit forcé d’embrasser la foi catholique contre son gré, car, ainsi que l’observe sagement saint Augustin, l’homme ne peut croire que de plein gré (Tract, xxvi In Joan., i, a). Par la même raison, l’Eglise ne peut approuver une liberté qui engendre le dégoût des plus saintes lois de Dieu, et secoue l’obéissance qui est due à l’autorité légitime. C’est là plutôt une licence qu’une liberté, et saint Augustin l’appelle très justement une liberté de perdition (Ep., cv, ad Donatistas, a) et l’apôtre saint Pierre, un vniledeméchanceté ( Pet., II, 16). Bien plus, cette prétendue liberté, étant opposée à la raison, est une véritable servitude. Celui qui commet le péché, est l’esclave du péché (Jean, VIII, 34). Celle-là, au contraire, est la liberté vraie et désirable qui, dans l’ordre individuel, ne laisse l’homme esclave ni des erreurs, ni des passions qui sont ses pires tyrans, et dans l’ordre public, trace de sages règles aux citoyens, facilite largement l’accroissement du bien-être et préserve de l’arbitraire d’autrui la cliose publique. —Cette liberté honnête et digne de l’homme, l’Eglise l’approuve au plus haut point, et, pour en garantir au peuple la ferme et intégrale jouissance, elle n’a jamais cessé de lutter et de combattre. >

Rhfutation. — La confusion est ici entre la liberté phjsique et la liberté morale. Quand bien même l’homme serait maître des opérations de son esprit comme des mouvements de son coenr, il a des règles immuables auxquelles il doit se conformer. La vérité est la règle de son esprit ; s’il s’en écarte volontairement, il est coupable. Tant que ces écarts restent en lui, il n’est responsable que devant Pieu. Mais s’il veut insinuer ses erreurs aux autres, l’autorité légitime a droit de punir.

Ceux qui s’opposent à ces interventions de l’autorité s’appuient sur les droits de la raison, mais il est évident que, si les écrivains étaient uniquement guidés par leur raison, il n’y auraitpas à s’opposer àson libre développement ; or l’on prétend précisément défendre les vrais droits de l’esprit en réduisant la propagande ou la diffusion de l’erreur.

Rrnan a proclamé le grand principe moderne du nnorr a l’erreur, ce que Paul Janrt explique ainsi :

« L’erreur n’est souvent qu’un moyen d’arriver à la

vérité. Ce n’est que par des erreurs successives, chaque jour amoindries, que se font les progrès des lumières et le perfectionnement des esprits » (ftevue des deux mondes, 1" septembre 1866). — Cette théorie est malheureusement assez courante aujourd’hui pour qu’il soit nécessaire de la réfuter. En réalité, l’erreur est un mal, elle ne peut être l’objet d’aucun droit ; puisqu’on prétend que l’erreur est un moyen d’arriver à la vérité, on reconnaît l’acquisition de la vérité comme le but à atteindre, il serait donc illogique d’abandonner gratuitement les parcelles de vérité déjà obtenues, dans l’espoir d’en acquérir d’autres. La confusion de nos adversaires est de placer la fin de l’intelligence dans la recherche de la vérité, non dans la vérité elle-même. L'étude devient