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PAUVRES (LES) ET L’ÉGLISE

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où ils devaient se rendre pour y prendre leurs repas. Le fonctionnement de ce service fait songer à notre billet do logement. Pour éviter les agglomérations suspectes et dépister les païens, on réparlissait les pauvres individuellement ou par petits groupes chez un grand nombre de chrétiens fortunés qui les accueillaient comme leurs frères en Jésus-Christ. La discipline, sur ce point, devait être observée rigoureusement et l’infraction était punie par le jeûne ou l’excommunication. C’est ce qu’indiquent les statuts de l’ordre des veuve/ : o Que la veuve ne fasse rien sans prendre l’avis du diacre, lorsqu’elle veut aller chez quelqu’un pour boire, pour manger ou (lour recevoir quelque aumône » (Const. apost., lll, vu). Ce que saint Cyprien écrivait aux diacres chargés de visiter les confesseurs de la foi dans les prisons, s’applique aussi au ministère des tables, et à la surveillance du boire et du manger. « Si nos frères désirent se réunir et visiter les confesseurs, qu’ils le fassent avec prudence, jamais en grand nombre à la fois et par troupes compactes, de crainte d’éveiller par là les soupçons… Lorsque les prêtres vont offrir le saint sacrifice aux lieux où sont les confesseurs, qu’un seul y aille avec un seul diacre et qu’ils y aillent tour à tour. Le changement des personnes et cette alternance de visiteurs diminueront nécessairement les soupçons de nos ennemis » (S. Cyphikn, Epist., iv, P. L., IV, 231). Notons aussi que, pour visiter les pauvres et les malades, le diacre pouvait désigner alternativement pour « diminuer les soupçons », ses divers auxiliaires, les diaconesses, et même les femmes mariées et les simples fidèles, qui tenaient à honneur de pratiquer les œuvres de miséricorde. Ces visites des pauvres chez les riches et des riches chez les pauvres ne pouvaient manquer d’abaisser les barrières sociales et de développer toujours davantage cet amour du prochain que Jésus présentait aux hommes, avec l’amour de Dieu, comme le fondement même du christianisme.

Une dernière question : Quelles étaient les ressources des diaconies ? Ce que nous avons dit plus haut, des dons volontaires et de la caisse commune dans l’Eglise de Jérusalem, s’applique plus ou moins aux autres Eglises, i » Les contributions libres des chrétiens généreux devaient peser d’un grand poids dans la bourse de la charité. Elles étaient remises directement aux évéques ou aux diacres. « Chacun, dit Tertullien, apporte une modique offrande au commencement de chaque mois, ou lorsqu’il le veut, toujours selon ses facultés » (Tertull., Apolog., xxxix). 2° Les offrandes des fidèles à l’offertoire de la mefse {collecta). « Chaque assistant, écrit saint Justin (^Première apoL, Lxvii), participe aux dons consacrés que les diacres vont porter aux absents. On fait une quête à laquelle contribuent tous ceux qui en ont le désir et les moyens. Cette collecte est remise au chef de l’assemblée, qui vient au secours des veuves et des orphelins, des pauvres et des malades, des prisonniers et des étrangers ; en un mot, qui prend soin de tous les indigents. » 3° Les dons, souvent considérables, faits parles chrétiens d’élite à l’occasion de leur baptême ou à l’approche présumée de leur martyre. Certains se dépouillent de tous leurs biens, par exemple sainte Praxède et sainte Pudentienne (Acta sanctorum, Bolland., Xll, p. agg). Plusieurs, comme sainte Cécile et saint Cyprien, recourent à des propriétaires fictifs ou personnes interposées pour assurer l’exécution de leurs dernières volontés ; sainte Cécile laisse sa maison à un nouveau baptisé, nommé Gordien, patricien comme elle, qui doit en assurer la jouissance au pape Urbain. Au m" siècle, les Eglises possèdent des cimetières, des édifices cultuels, des immeubles, qui sont la propriété des corporations,

coltegia tenuiorum. Dans les périodes de paix, les sociétés religieuses sont peut-être tolérées çà et là et peuvent acquérir directement. l° Le produit des troncs, des prémices pour l’entretien du clergé, des dîmes (Const. apost., VIII, xx) et des quêtes faites dans les moments de grande nécessité. 5° Enfin le jeune, par son énorme importance sociale dans la communauté chrétienne, apportait à l’Eglise des ressources considérables pour l’exercice de la charité. 11 était reçu, en effet — et tous les Pères de l’Eglise enseignent cette doctrine comme apostolique — que a le jeûne n’avait, pour ainsi dire, aucune valeur pour le salut, s’il n’était accompagné d’une aumône égale à la portion d’aliments dont on se privait en jeûnant ». Saint Ignace écrivait aux habitants de Philippes : « Jeûnez et donnez aux pauvres le surplus de vos repas. » Hbrmas, dans le Pasteur (Sim., V, 3), écrit : a Le jour où vous jeûnerez, vous n’userez que de pain et d’eau. Vous calculerez la quantité de nourriture que vous auriez prise en d’autres jours ; vous mettrez de côté la somme d’argent que vous auriez dépensée et vous la donnerez à la veuve, à l’orphelin ou aux pauvres. » Okioknb dit de même : u Que le pauvre trouve sa nourriture dans la privation de celui qui jeûne » (Homélie x in L.evit.). S. Ambroisb va plus loin :

« C’est un devoir de justice de donner aux pauvres

ce que nous aurions mangé à notre repas » (Serm., xxxin). S. Chrysostome dit de même : « Le jeune n’est pas une opération commerciale, où nous devions chercher des profits en ne mangeant pas. Il faut qu’un autre mange pour vous ce que vous auriez mangé vous-mêmes, si vous n’aviez pas jeûné, afin qu’il en résulte un double bénéfice : pour vous, la peine de l’expiation ; pour votre frère, l’apaisement de la faim » (Serm. de Jejun.). S. Augustin tient un langage identique : « C’est un devoir de justice d’augmenter les aumônes aux jours de jeûne » (Serm., ccviii, In quadrag.). Enûn le pape saint Léon résume toute la doctrine de l’Eglise en ces termes : « Le jeûne, sans l’aumône, est moins la purification de l’âme que l’affliction de la chair, et il faut le rapporter plutôt à l’avarice qu’à l’abstinence chrétienne, lorsque, en s’abstenant de prendre de la nourriture, on s’abstient en même temps des œuvres de charité » (Serm. iv, De jejun. decim. mensis).

Si l’on prend les i.500 pauvres de Rome du temps du pape saint Corneille (260), et que l’on estime seulement à 10.000 le nombre des chrétiens de cette ville astreints au jeune, et à 100 le nombre des jours de jeûne (il était en réalité de 182), on arrive, en multipliant les deux chiffres, à un total d’un million de rations par an, soit pour chaque pauvre 666 rations annuelles, c’est-à-dire presque deux rations par jour ! Ce simple calcul montre l’importance du jeûne comme élément de charité. Dans la pratique, cette dette de l’abstinence était acquittée ou en nature ou en argent ; dans le premier cas, les diacres envoyaient successivement leurs pauvres dans les maisons où l’on jeûnait et où l’on préparait, en échange du jeûne, un repas aux indigents ; dans le second cas, l’équivalent du repas était donné aux diacres en argent et servait à alimenter la caisse commune, ou un fonds spécial destiné à secourir les malades obligés de rester chez eux, ou telles autres nécessités particulières(Cf. Tol-LKMKR, ouv. cité, pp. 514-524). Aujourd’hui encore le jeûne — ou plutôt la dispense du jeûne — vient grossir le budget de la charité, puisque les personnes qui sollicitent cette dispense pour une raison de santé sont tenues de faire une aumône spéciale, proportionnée à leurs ressources.

L’historien italien Guglielmo Fbrhbro, dont l’autorité n’est pas suspecte en la matière, étudiant