Page:Adhémar d'Alès - Dictionnaire apologétique de la foi catholique, 1909, Tome 3.djvu/840

Cette page n’a pas encore été corrigée

1667

PAUVRES (LES) ET L’ÉGLISE

lt168

le salut ; l’amour du travail et de la vertu améliorera la condition de l’homme. L’inég-alité des fortunes s’ensuivra, à cause de l’inégalité des intelligences et des moyens dont elles se serviront ; car les hommes ne naissent pas égaux : les uns sont forts physiquement, les autres débiles ; les uns ont plus d’esprit, les autres moins. Mais cette inégalité elle même forcera les hommes à s’entr’aider les uns les autres et à accomplir les tâches diverses que réclame l’existence d’une société ; les uns commanderont, les autres obéiront ; les uns donneront à la communauté le travail de leur cerveau, les autres celui de leurs bras. El ainsi l’ordre sortira du chaos. C’est ce qu’enseigne saint Jean Chrysostome : « Quand on examine avec une sérieuse attention la richesse, la pauvreté et l’inégalité des biens de ce monde, on reconnaît bientôt qu’elles sont la preuve la plus manifeste de la Providence. Si toutes les autres pouvaient manquer jamais, celle-là devrait suffire. Détruisez la pauvreté, vous détruisez aussitôt l’économie de la vie entière ; vous bouleversez, vous anéantissez toutes les conditions d’où dépend l’existence. Plus de laboureurs, plus de maçons, plus de tisserands, plus de cordonniers, plus de menuisiers, plus de serruriers, plus de corroyeurs, plus de boulangers, en un mot plus de commerce, plus d’industries I Qui voudrait en exercer aucune ? Si tous étaient riches, tous voudraient rester oisifs. C’en serait fait de la vie ! Seul, abandonné à lui-même, qui pourrait se procurer ce que nous donne le concours de tant de professions diverses ? La pauvreté est l’aiguillon du travail, et c’est la nécessité qui force l’homme à le subir malgré lui » (S Chrysostome, De Anna, sermo v, 3, P. G., LUI,

D’ailleurs la pauvreté a été réhabilitée par le Christ, qui l’a parfaitement pratiquée et l’a fait entrer pour une part essentielle dans l’expiation rédemptrice. Par suite ses disciples doivent, à son exemple, l’embrasser volontairement, au moins en esprit. Sils sont pauvres, ils doivent se réjouir, car ils sont

« déchargés d’un grand fardeau » et » celui-là est riche

qui est pauvre avec le Christ » (S. Jérôme, 71/ji’(rexiv, P. L., XXII. p. 3/58). En acceptant avec résignation leur état, ils sont assurés de leur salut. S’ils sont riches, ils doivent se détacher réellement des biens de ce monde et leur préférer les biens célestes. Autrement ni les uns ni les autres ne sont de vrais chrétiens ; pour tous, le détachement s’impose absolument.

« Ceux qui n’ont rien et désirent impatiemment

avoir, doivent être placés au nombre des mauvais riches… [D’autre parti’^ richesse ne peut être par elle-même d’aucune nécessité. Il n’y a que l’œuvre de miséricorde qui puisse servir réellement au riche et au pauvre ; au riche, par la folonlé qui l’en détache, et par les œuvres auxquelles il la fait servir ; au pauvre, /)ar les dispositions de l’âme » (S. Augustin, Enarratio in psalm. Lxxxv, 3, P. i., XXXVI, p. io83). En d’autres termes, tous les hommes doivent praliquerl’espritdepauvrelé, pour participer à l’expiation offerte par Jésus-Christ.

Ces principes furent si bien comi)ris des chrétiens des premiers siècles qu’un grand nombre se dépouillèrent de leurs richesses pour devenir pauvres volontaires et riches de la pauvreté de Jésus-Christ, selon l’expression de saint Paul : « De riche qu’il était, il s’est fait pauvre pour nous, afin que novis devinssions riches de sa pauvreté u (II Cnr., vni, 9). Ceux-là étaient héroïques, et l’on ne saurait trop admirer l’exemple de sainte Mélanie, de l’illustre famille des Valerit Ma.rimi, passant sa vie, avec Pinien, son époux, à vendre ses immenses propriétés dispersées dans le monde entier, et d’un revenu évalué par le cardinal Rampolla à 116 millions. Cette vente, au

profit des pauvres du Christ, suscitait parmi les sénateurs de terribles colères, parce qu’elle leur apparaissait comme un blâme i)ublic de leur vie fastueuse et bouleversait l’élat de choses existant. Pour triompher des di(licu^tés légales, et permettre à la personne la plus riche du monde de devenir pauvre, il ne fallut rien moins qu’un ordre de l’empereur Honorius, expédié à tous les gouverneurs des provinces, leur enjoignant « de vendre, sous leur responsabilité, les domaines de l’inien et de Mélanie et de leur en faire parvenir le prix ». Vêtue en pauvresse, visitant saint Augustin à Hippone, les solitaires en Egypte, saint Jérôme à Jérusalem, jeûnant 120 heures par semaine, sainte Mélanie, après avoir donné le spectacle d’une rare humilité et d’une activité prodigieuse au service de l’Eglise, mérita de voir l’Impératrice Eudocie faire le voyage de Jérusalem pour la visiter. La « sénatrice » de Rome mourut en 439 et son « étonnante existence, écrit M. Goyau, tour à tour laissa trace dans deux registres : celui des fortunes sénatoriales à Rome, et celui des indigents, à Jérusalem » (Gard. Rampolla, Sonta Melaniii Gitiniore, Sénatrice Pomana, Rome, iijob ; Georges Goyau, Sainte Mélanie, Lecolfre, 1908, pp.’J^, 205 ; A. d’.lès. Etudes, 20 juillet, 20 aoiit 1906 ; Analecta Bollandiana, XXV, 1906).

L’héroïsme, surtout à ce degré, reste le fait d’une élite. D’autres riches, moins parfaits, s’inquiétaient et se demandaient s’ils pourraient faire leur salut en conservant leurs richesses. Les Pères durent les rassurer et leur expliquer que la parole du Sauveur : Vendez ce que vous possédez » signifie, au sens figuré : « Dépouillez votre âme de tous ses vices, coupez toutes vos mauvaises passions dan s leur racine et rejetez-les loin de vous. » C’est ce que fait Clkmknt d’Alexandrie, dans l’ouvrage

ié ; Quel riche

peut être sauvé ? Seuls ceux qui sont appelés à suivre la voie étroite des conseils évangéliques peuvent prendre à la lettre la parole de Notre Seigneur au jeune homme de l’Evangile ; « Va, vends ce que tu possèdes et donne-le aux pauvres » (il/a<(A., xix, 20). Non seulement le grand nombre n’y est pas obligé, mais il ne pourrait le faire sans bouleverser la société, et aller contre les intentions certaines du Sauveur :

« En rapprochant, dit Clément, ce passage d’autree » 

passages de la Sainte Ecriture, l’opposition sert beaucoup mieux à mettre en évidence quel en est le véritable sens..Supposez en effet que tous vendent leurs biens et que personne ne possède ; que reslera-t-i ! pour donner à ceux qui sont dans le besoin ? Jésus-Christ a dit : « J’ai eu faim el vous m’avez donné è. manger. « Mais comment pourrait-on donnera manger à ceux qui ont faim, à boire à ceux qui ont soif vêtir cevix cjui sont nus, donner l’hospitalité auî pauvres étrangers, si l’on est soi-même le premier des pauvres ?… Si, d’un côté, ces devoirs de charité n* peuvent être remplis qu’autant que l’on a, à sa dis position, des ressources personnelles ; si, de l’autre Jésus-Christ nous commande de prendre ces paroles dans leur sens littéral, de divorcer avec toute espèci de richesse et d’abandonner tous nos biens, que faudrait-il penser de Notre Seigneur qui nous aurai ordonné de donner et de ne pas donner, de nourrii les pauvres et de ne pas les nourrir, de recevoir le ; étrangers et de ne pas les recevoir, en un motd’opérer les œuvres de la charité et de nous interdire ei même temps les moyens d’être utiles à nos frères ?& serait le comble de l’absurdité 1 // faut donc concluri que l’on n’est noint olili^é de renoncer à su fortunt personnelle, puisqu’elle nous sert à soulaf ; er le pro cliain. » En d’autres termes, « le précepte du renon cernent aux richesses doit s’entendre du renoncemen au vice et de l’extermination de toutes nos mauvaise :