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PAUVRES (LES) ET L’EGLISE

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fut pas toujours parfaitement observée. La nature humaine se retrouve toujours — même chez les chrétiens, hélas — avec son égoïsme foncier. C’est pourquoi, après la captivité de Babylone, on en arrive à créer la bienfaisance léjfale et obligatoire. Deux collectes sont établies : la collecte rf » /)/(i((Thamhouj) qui est journalière et a pour but de se procurer des dons en nature ; la quête de la bourse (Koupah), qui se fait tous les vendredis et consiste dans une taxe déterminée, que doivent payer tous les citoyens ; cette collecte sert à alimenter la caisse de bienfaisance ; les pauvres, qu’ils soient Israélites ou païens, participent aux. distributions de secours.

En résumé, parmi les peuples de l’antique Orient, le peuple juif, précurseur du christianisme, nous apparaît avec une organisation économique supérieure à celle de ses voisins. La loi mosaïque édicté une série de mesures destinées à soulager les pauvres, et en fait une obligation à la fois morale et religieuse. La bienfaisance qui, en Egypte, apparaît surtout comme une vertu individuelle, revêt déjà chez les Israélites un caractère social.

3’Les paui’res chez les Grecs. — Malgré les dehors brillants de la civilisation hellénique, et les tableaux enchanteurs des poèmes homériques ou des écrivains du siècle de Périclès, nous sommes obligés de constater des tares nombreuses chez ce peuple si policé. Il faudrait d’ailleurs distinguer entre Athènes, Sparte et les autres villes de la Grèce.

Partout l’esclavage domine, et à l’encontre des peuples de l’Orient et des Juifs en particulier, les Grecs ont le mépris du travail manuel, qu’ils jugent indigne d’un homme libre. Si les héros d’Homère ne croient pas déchoir en travaillant à l’agriculture ou aux arts mécaniques, c’est plus tard un déshonneur pour l’Hellène, qui se pique d’être oisif, car « l’oisiveté, dit Socrate, est la sœur de la liberté » (Elibn, Var. Iiist.^ X, xiv ; Xknoi’iion, i’co’i., iv). Avoir beaucoup d’esclaves, les faire travailler dans les champs, les louer pour les travaux des mines, les occuper dans les forges ou les fabriques d’armes, comme le père de Démosthène, tel est le moyen pour le Grec de conserver et de cultiver la beauté de son corps et de livrer son esprit à la philosophie, aux lettres et aux arts. Les hommes libres ne doivent leurs jouissances intellectuelles et autres qu’aux soulfrances des esclaves. C’est là le fondement même et la base de

! a société hellénique. Sparte se sert des Ilotes, véritables

esclaves d’Etat qui, au nombre de 200.000, font vivre So.ooo citoyens ; elle les traite avec une dureté proverbiale, les massacrant ou les supprimant avec perfidie, lorsqu’ils se sont distingués à la guerre, car l’Etat serait en danger, s’ils devenaient trop nombreux (Cf. dans Thdcydide, Guerre du l’élopon., IV, i.xxx, le meurtre de deux mille d’entre eux. Voir .lussi DioD. DE SiciLB, XII, Lxvii ; Wallon, Hist. de l’esclavage, I, pp. ga-igS ; Dict. des antiq. grecques et romaines, aux mots Helotæ et Krypteia). A Athènes, où les mœurs sont plus douces et l’esclave mieux traité, on met à la torture tout esclave appelé à témoigner devant les tribunaux, et c’est la preuve regardée comme la plus convaincante par Démosthène lui-même, qui trouve cette torture toute naturelle (DKMOSTHÈNB, Plaidoyer contre Conon ; Troisième plaidoyer contre Aphobos, § ii, etc.).

L’enfant, cet être sacré, n’a droit à la vie que si le père l’accepte à son foyer. A Athènes, c’est lui qui décide de sa vie ou de sa mort ; il a le droit de l’abandonner, de le vendre ou de le faire périr. Les infirmes, les faibles, les filles surtout sont sacriliés. La femme, dans certains cas, « a le droit d’étoutTer ses enfants à leur naissance i>, ainsi qu’en témoigne une

inscription odieuse trouvée à Delphes (11. Dareste, Journal des savants^ juin 1897, p. 348). A Sparte, les enfants appartenant à l’Etat, ce sont les vieillards qui, après examen, décident de conserver les plus robustes et d’exposer les autres sur le mont Taygète (Plutarqub, Lycurgue, ^ xvi). A Thèbes, les enfants sont traités un peu plus humainement ; ceux que les parents ne veulent pas élever sont portés chez les magistrats et vendus par eux à des personnes qui les élèvent et s’en servent ensuite comme d’esclaves (Elien, Hist. var., liv. II, ch. u). L’avorterænt est partout, en Grèce, à l’état de coutume habituelle. AnisTOTE n’y voit aucun mal (Politique, l. IV, ch. xiv, § 10) et Platon admet le meurtre des enfants mal constitués.

La Grèce regorge de pauvres mendiants. VOdyssée nous les représente « un bâton à la main, ayant sur le dos une besace percée, qu’un lien tout usé attache à leurs épaules » (Odyss., XIII, v. 43y-4’io). HKSionn nous les montre envieux et jaloux les uns des autres (/-es J’rav. et les jours, v. 26). D’après Ahistol’HANB, le tonneau de Diogène n’était pas une simple excentricité, mais un refuge assez ordinaire aux mendiants (Chev., v. 792).

Quelles mesures les ic cités » grecques prirent-elles en faveur des pauvres ? A Athènes, les « citoyens » reçoivent un secours de l’Etat dans certaines circonstances : 1° Le soldat mutilé par suite des blessures de guerre est gratifié s’il possède moins de trois mines (environ 300 fr.), d’une allocation journalière d’une obole, à l’origine, puis de deux oboles. Solon, d’après les uns.Pisistrale selon d’autres, avait établi ce secours. — a" Les orphelins de guerre, dont le père était mort pour la Patrie, étaient élevés aux Irais de l’Etat. — 3° Les individus, incapables de travailler, reçoivent deux oboles par jour. — l° Les tilles des plus pauvres citoyens reçoivent une petite dot pour pouvoir se marier. Notons qu’il ne s’agit ici que des citoyens ; que les métèques et les esclaves sont exclus de cette assistance, et que cette assistance elle-même relève plutôt de la justice que de la charité.

Bientôt d’ailleurs, indépendamment de Sparte, où l’égalité démocratique aboutit au partage des terres, aux repas publics, à l’éducation de la jeunesse par l’Etat, la plupart des villes de l’Hellade ou des colonies en arrivent, à l’exemple d’Athènes, à des distributions d’argent qui sont une arme politique aux mains des démagogues et, en favorisant la paresse des masses populaires, préparent la décadence de la Grèce et son asservissement aux Romains. C’est d’abord, sous Périclès, l’institution du triobole, indemnité de trois oboles, destinée aux 6.000 juges des tribunaux populaires ; Cléon l’augmente, et chaque citoyen qui assiste à une assemblée ordinaire reçoit six ol>oles, et à une grande assemblée neuf oboles. Puis, c’est le théorique, distribution d’argent et de denrées faite à l’occasion des Panathénées et bientôt à toutes les grandes fêtes. C’est la subvention obligatoire de l’Etat pour permettre au citoyen de rester oisif et d’aller au théâtre. Loin de calmer le pauvre et de le rendre meilleur par ces mesures, la démocratie grecque n’aboutit qu’à attiser la haine de l’indigent contre le riche, à exciter toutes les passions politiques et à diviser irrémédiablement les Grecs. On ne peut voir, en effet, dans ces institutions du triobole et des théoriques^ une manifestation sociale de la vertu de charité, propre au christianisme. Quant à la charité privée, si elle existe chez quelques natures plus élevées, elle est si rare que les textes n’en disent presque rien. Même les associations religieuses : éranes, thiases, orgéons, n’ont pas un but philanthropique ; elles ne pourvoient qu’à la