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PATRIE

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grande pensée humanitaire. C’est ainsi que, à la place de ce patriotisme qui creuse une ligne de démarcation entre le Grec et le Barbare, se compose d’orgueil et d’ignorance, de rivalités et d’antipathies, de rancunes et de craintes, s’est introduite cette tendresse vague pour le genre humain, laquelle trouve pénible et trouvera bientôt injuste de refuser aux singes le titre de nos concitoyens. »

Une enquête faite par la Bévue en 1904 résume assez bien les idées et rétnt d'âme des lïumanistes et hunianitaristes contemporains. Il s’agissait de répondre à cette question : Le patriotisme est-il compatible avec l’amour de l’humanité? — Nous sommes en marche vers l’unité, disaient la plupart des réponses. Les nations européennes vont s’entendre, puis se fédérer, puis se fondre les unes dans les autres et toutes ensemble dans le reste du genre humain qui, du même pas que nous, s’achemine aux mêmes destinées. La fralernité internationale, ajoutaient les uns, fera disparaître le patriotisme. — Non, déclaraient les autres, l’idée de patrie subsistera toujours et, avec elle, les sentiments qu’elle engendre dans les âmes ; seulement elle changerade forme. Elle se spiritualisera. Elle cessera de reposer sur les bases étroites, changeantes et grossières que la communauté du territoire ou des besoins matériels ou des ambitions politiques ou des périls extérieurs lui a données jusqu'à présent. Elle ne se fondera plus que sur la communauté des idées.

« Le patriotisme de l’avenir », concluait Paul Gskll, 

rédacteur à la Heviie, en résumant les résultats de son enquête, le patriotisme de l’avenir « ne comportera plus nul esprit de conquête violente, il ne sera plus circonscrit par nulle frontière, il ne défendra plus nul intérêt commercial, industriel ou Gnancier, — car des associations spéciales se formeront autour de tels intérêts ; — il sera ce que le patriotisme actuel contient de plus intérieur, à savoir une façon particulière de concevoir la beauté et la vérité.

<r Uyaura encore des Français dans le monde ; mais ils ne seront pas forcément massés entre telles mers, tels fleuves, telles montagnes : ce seront ceux qui aimeront à la fois Descartes, Corneille, Nicolas Poussin ; ceux qui, généralement, croiront à la liberté morale. U y aura des Allemands : ce seront ceux qui se rencontreront dans l’admiration des Leibnitz, des Kant, des Hegel, des Goethe, des Beethoven ; ce seront les esprits systématiques aimant prévoir, s’attachant profondément aux fatalités soupçonnées. Il y aura des Anglais : ce seront, en tous lieux, les dévots de Shakespeare, de Locke, de Bentham, tous les utilitaires qui, voyant dans l'âme humaine un simple tissu de sensations flatteuses ou pénibles, chercheront à se ménager, par une digne existence, la plus grande somme de plaisir. Il y aura des Italiens : tous les fervents de Dante et de Michel-Ange ; des Russes : les disciples de Tolstoï, etc.

« Le patriotisme, dans l’humanité administrativenient unifiée, sera donc, dans ces temps lointains, 

probablement la survivance de l'âme philosophique et morale des nations ; ce sera une association encore, mais spirituelle, dégagée de toute limitation territoriale, une sorte de confession laïque ; et ces diverses confessions, comme les plus hauts systèmes philosophiques d’aujourd’hui, se rapprocheront certainement toutes dans l’amour du genre humain. »

On ne saurait plus élégamment faire entendre que l’humanisme et l’humanitarisme sont de très puissants dissolvants de l’idée de patrie et du patriotisme.

B) Internationalisme pratique. — Les formes de l’internationalisme pratique sont nombreuses. Il est hors de doute, en premier lieu, qu’il existe un trust mondial organisé pour agir en faveur de ses

membres chez les diverses nations dans le domaine financier. Il est connu sous le nom de Haute-Banque ou Haute- Finance internationale ou Internationale jaune. En soi, il n’est pas opposé au patriotisme et à l’idée de patrie, mais il ne leur fait jamais aucune place dans ses combinaisons et il n’hésite pas à les combattre quand il espère que cela servira ses desseins. De plus, il est dominé par l’internationalisme juif, qui se sert de lui comme d’un instrument pour la réalisation de ses ambitions. Il faut en dire autant de quelques autres formes de l’internationalisme pratique : socialisme international ; Franc-Maçonnerie universelle et sectes qui s’y rattachent (occultisme, spiritisme) ; certaines variétés de pacifisme.

Le socialisme international ou Internationale rouge vise partout à réaliser, par des moyens plus ou moins violents et à plus ou moins longue échéance, la République universelle. C’est le but avoué des Bolclievistesde 1921 ; c'était celui des Communards de 1871 ; ce fut celui des socialistes de toutes nuances, à quelques rares exceptions près, depuis Babeuf jusqu'à Lénine en passant par Karl Marx et Jean Jaurès. Leur humanitarisme, dominé par l’idée de classe et de guerre de classe, est résolument hostile à l’idée de patrie etau patriotisme. Sans parler du a défaitisme », dont leurs journaux ont été les tribunes pendant la grande guerre et depuis, je n’en veux encore une fois pour preuve que les réponses aux questions posées dans leur revue I.e Mouvement socialiste pour l’enquête que j’ai déjà citée. Elles valent qu’on les note.

Le questionnaire était ainsi conçu : « I) Les ouvriers ont-ils une patrie et peuvent-ils être patriotes ? A quoi correspond l’idée de patrie ? — II) L’internationalisme ouvrier connaît-il d’autres frontières que celles qui séparent les classes et n’a-t-il pae pour but, au-dessus des divisions géographiques et politiques, d’organiser la guerre des travailleurs de tous les pays contre les capitalistes de tous les

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111) L’internationalisme ouvrier ne se con fond-il pas, non seulement avec l’internationale des travailleurs, mais avec l’antimilitarisme et l’antipaIriotisme ? Ses progrès réels ne sont-ils pas en raison directe des progrès de l’antimilitarisme et de l’antipatriotisme dans les masses ouvrières ? — IV) Que pensez-vous de la grève générale militaire ? — V) Que pensez-vous des socialistes qui se diient à la fois patriotes et internationalistes ? »

Avec une touchante unanimité, les internationalistes patriotes furent déclarés « idiots ou fumistes ». Aux quatre premières questions, une seule voix répondit avec intelligence et bon sens en faveur de la patrie : ce fut celle du citoyen Keufer, secrétaire de la fédération des travailleurs du Livre. Les autres, écho fidèle de la revue qui les interrogeait et des journaux de leur parti, répétèrent la leçon dès longtemps apprise dans leurs pages. Ces voix représentaient dix bourses du travail, neuf fédérations ouvrières et neuf corporations de métiers appartenant à divers départements, outre la fédération des bourses du travail et la Confédération générale du travail. Plusieurs faisaient appel au terrorisme et paraphrasaient les fameux couplets de l’Internationale sur les balles réservées, en cas de guerre, aux généraux français par les ouvriers français enrôlés dans l’armée de France. Toutes ressassaient les banalités au vitriol des feuilles et des tribunes socialistes. Pas une pensée personnelle sous la plume de ces soidisant émancipateurs de l’intelligence populaire au nom du progrès démocratique ; pas un mot qui révélât, chez ces apôtres du solidarisme, le moindre sens de la solidarité nationale ou, chez ces champions du positivisme scientifique, le moindre souci des