Page:Adhémar d'Alès - Dictionnaire apologétique de la foi catholique, 1909, Tome 3.djvu/811

Cette page n’a pas encore été corrigée

1609

PATRIE

1610

les troupes nécessaires, non plus, comme dans le cas des possédants, pour la défense de leurs propriétés, mais pour le dénouement de leurs intrigues et le succès de leurs ambitions. S’ils ont, comme les intellectuels, la marotte de révolution, c’est à elle qu’ils rapportent l’origine de l’idée de patrie. Ce n’est pas seulement la forme de l’Etat ou l'étendue de la patrie qui est variable, s’il faut les en croire ; c’est l’idée même de patrie qui se transforme. On l’a conçue d’abord, disent-ils, en fonction de la race, puisde la religion, puisde la politique ; et, successivement, le nom de pairie a été donné au territoire habité par les hommes du même sang-, de la même croyance, de la même cité. Aujourd’hui, la patrie se présente généralement comme le domaine d’une grande association économique, énorme coopérative de production et de consommation. C’est un progrès, ajoutent-ils ; car les intérêts économiques collectifs sont, pour l’idée de patrie, une base autrement sérieuse, solide et rationnelle que le lien vague, et d’ailleurs hypothétique, du sang ; ou les superstitions vaines entretenues dans un but intéressé par la caste sacerdotale ; ouïes intérêts politiques, trompel’oeil sous lequel, presque toujours, se dissimulent les intérêts des gouvernants. Le progrès se poursuivra, du reste, assurent-ils. L'évolution continue : déjà l’on peut en pressentir le terme. Bientôt, la patrie sera généralement conçue comme une société tout intellectuelle, une sorte d’Eglise laïque fondée sur la communauté de pensée, et qui englobera l’humanité tout entière, le jour oii le progrès des lumières aura unilié la pensée de tous les hommes dans la science, alors sans mystères.

Atout cela, la théorie scientifique du patriotisme fournit la réponse. Une nous reste donc qu'à définir sommairement les diverses formes de l’internationalisme contemporain, en notant brièvement leur attitude vis-à-visde l’idée depatrie et du patriotisme.

2 » Principales formes de l’internationalisme. — On peut distinguer deux sortes d’internationalisme :

A) celui qui se définit complètement par la façon dont ses adeptes conçoivent et sentent le lien personnel qui les unit au reste du genre humain : nous l’appellerons internationalisme spéculatif ; —

B) celui qui se définit comme une association de fait ou de consentement entre adeptes de l’internationalisme spéculatif en vue de le réaliser dans l’un des domaines de l’activité humaine par une organisation appropriée. Nous l’appellerons internationalisme pratique.

A) Internationalisme spéculatif. — On confond souvent ensemble les trois formes de l’internationalisme spéculatif, qui sont : le cosmopolitisme, l’humanisme et l’humanitarisme. Il est même arrivé que des écrivains rétléchis et sachant leur langue ont pris ces trois mots pour synonymes (v. g. GoYAC, op. cit. ci-aprês, bibliographie). Nous croyons devoir, cependant, les appliquer à des choses distinctes quoique semblables.

a) Cosmopolitisme. — Etymologiquerænt, le cosmopolitisme est l’attitude de celui qui dit, avec Cicéron, « Civis sum totius mundi » ou « Je suis concitoyen de tout homme qui pense » — et tous les hommes pensent, n’en déplaise à ce « penseur j I C’estle fait déconsidérer le monde (cosmos) comme une seule cité (polis) et tous les hommes comme concitoyens. L’humanisme et l’humanitarisme sont des variétés du cosmopolitisme ainsi défini ; et, de même, l’internationalisme. A l’usage, toutefois, le mot a perdu de sa précision et il en est venu à désigner, plus vaguement, le goût et l’habitude d’avoir des relations avec l'étranger, de l’imiter, de lui emprunter ceci ou cela et de subir son influence. C’est

en ce sens que nous l’entendons ici. Il est manifestement compatible avec le nationalisme et le patriotisme. « C’est l’action bien innocente d’ouvrir la fenêtre, de laisser entrer l’air et de regarder le vaste monde v, disait Mklchior dk Vogué (IJist. et poésie, p. 14'7)à propos du cosmopolitisme littéraire, et cela est vrai aussi du cosmopolitisme artistique, scientifique, juridique, économique ou social. On ne saurait s’enfermer hermétiquement chez soi sans en éprouver de graves dommages, car il y a une foule de choses qui sont cosmopoli tes par nature : les arts, y compris l’art militaire ; les sciences et leurs applications ; la médecine, la philosophie ; plusieurs langues et plusieurs religions ; l’industrie, l’agriculture, le commerce ; — et il y en a d’autres qui tendent naturellement à le devenir : la mode, la cuisine, le logement, l’ameublement, l’armement, la littérature. Ce qu’il faut, c’est rester soi-même et maître chez soi, tout en laissant les étrangers aller, venir, parler, agir, et en profitant de leurs expériences : « Omnes spiritus probate, quod bonum est tenete. » Le tout est de garder la juste mesure : « quod bonum ». Or, on ne saurait tenir pour bon ce qui serait de nature à oblitérer l’idée de patrie ; à diminuer le patriotisme ou aie discréditer ; à porter atteinte directement ou indirectement et à longue échéance aux droits, aux traditions capitales, aux intérêts essentiels, à l’intégrité de l’Etat ou de la Nation (exemples dans GoYAU, op. cit. Introduction, p. xxvii à xxix, xxxi et passim).

b) Humanisme et humanitarisme. — L’humanisme est la forme philosophique, l’humanitarisme la forme politique et sociale de cette variété du naturalisme athéistique ou panthéistique qui considère l’homme comme l'être suprême dans la nature et l’humanité comme la fin dernière de l’homme. Au fond, et que l’on considère les choses du point de vue de l’athéisme ou du panthéisme, c’est la divinisation de l’humanité par la proclamation de son indépendance absolue. Il faut donc éviter de les confondre avec l’idée et le sentiment de la fraternité humaine, comme on le fait quand on dit de quelqu’un qu’il a des idées ou des sentiments humanitaires pour faire entendre qu’il a des idées ou des sentiments d’humanité. « Homo sumet nilhumania mealienumputo, — je suis homme et rien d’humain ne m’est étranger » : c’est la définition de l’humanité, qui est une vertu ; ce n’est pas celle de l’humanisme ni de l’humanitarisme, qui sont des systèmes dans lesquels cette vertu est loin de tenir une place aussi grande et aussi haute que leurs noms pourraient le faire supposer.

Les humanistes de la Renaissance furent pour la plupart des individualistes et des égoïstes effrénés. Les humanitaristes d’aujourd’hui rêvent bien de fraternité universelle (cf. Lamartine, La Marseillaise de la^ai> ; — V. Hugo, La Légende des siècles : Pleine mer, plein ciel ; La fin de Satan ; — Goyau, op. cit., p. xvii) ; mais, croyant sans doute avoir ainsi payé leur dette à leur prochain, ils s’en tiennent là pour la plupart. Comme l'écrivait Challemkl-Lacour (Etudes et réflexions d’un pessimiste, p. 186, 187) : « On ne travaille que pour soi, mais on aime l’univers et l’on se dispense ainsi de penser à la patrie. Il est d’une âme étroite et d’un petit esprit de croire que, malgré la vapeur et les ballons, il y a encore des déserts, des montagnes, des mers qui circonscrivent les peuples, qui les groupent par d’indéfinissables aflinités d’organisation et d'âme. Rien n’est plus mesquin que de nourrir, pour le misérable canton de la terre où le hasard nous a fait naitrs, cette prédilection passionnée qui ferme le cœur à la fraternité universelle et l’esprit à la