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PATRIE

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l'époque. Ils se considérèrent, ainsi que le roi luimême, comme des exilés, jusqu’au jour où ils renlrèrentdans ce que nous api)eln118 la patrie.

L’idée de patrie est donc toujours et partout la même, malgré la yariéléque 1 on peulconslaterenlre les objets concrets et particuliers auxquels des hommes diiréreuts l’ap|diqnent en « les Ueu. et desleuq)S divers. Heu importe la dill'érence et le changement. Celui-ci peut aller jusqu'à l’aire acquérir ou ])erdre, un jour venant, à tel pays en particulier, le caractère de patrie par rappnrt à tels ou tels hommes : c’est l'évidence nièuie ; maisce serait un étrange abus de mots que de parler à ce propos d’une évolution de la patrie. La terre des Etats-Unis est devenue la patrie des colons anglaisa mesure que ces colons, s’y étant tixés à deuieure, se la sont transmise de génération en génération et ont formé une nation distincte. La même chose s’est jjroduite au Canada, en Australie, dans l’Afrique du Snd ; auTransvaal pour les Hollandais ; au Brésil pour les Portugais ; au Chili et dans l’Argentine pour les Espagnols. L’Angleterre ou l’Allemagne cesse d'être la patrie des émigrants qui l’abandonnent lorsque, lixés en Amérique sans esprit de retour, ilsdevienneul, je ne dis pas citoyens de la République américaine, — car ils n’entrent, en le devenant, ([ue dans l’Etat, — mais membres de la nation américaine par leur américanisation. Les Alsaciens, demciue, elles Polonais annexés n’avaient la Prusse ou l'.VIlemagne pour patrie que dans la mesure où ils étaient germanisés : c’est bien pour cela que l’on s’acharnait à leur germanisation, parfois avec sauvagerie.

.drættons donc comme possible, en théorie, qu’il se constitue un jour des Etats-Unis d’Europe ou du Monde. Accordons, si l’on veut, <|ne tous les peuples, englobés dans cet universel Etat ou continuant à former des Etats distincts, puissent se former, avec le temps, une conscience commune, des traditions communes, un patrimoine moral et intellectuel com mun et des sympathies réciproques, de telle sorte que l’humanité s’harmonise en une immense nation de nations ayant l’univers pour patrie : il n’en est pas moins vrai que ces patries futures, si jamais elles existent, répondrontexaclement, comme toutes celles du présent et du passé, à l’idée que nous nous faisons de la patrie. Cette idée n aura pas changé : c’est le monde qui aura changé au point de pouvoir être appelé patrie ; et rien ne s’opposera, d’ailleurs, à ce que, dans la patrie universelle, les patries actuelles subsistent, petites et grandes, comme aujourd’hui l’Ecosse dans l’Angleterre, la Californie dans les Etats-Unis, la Sicile dans l’Italie ou la Bretagne dans la France.

Il nous sera donc facile, à présent, de discerner les traits auxquels se reconnaît la patrie et qui conviennent seuls, par conséquent, pour la délinir. Ces traits peuvent tous se ramener à tiois idées, toutes trois fort dilférentes de celles qui servent de fondement à notre conce])tion de la société et de l’Etat. Des hommes groupés et unis en vue de leur bien commun par un mutuel échange de services, voilà la société : ce n’est pas la patrie. Une société indépendante, organisée sous un gouvernement spécial et généralement à l’intérieur de frontières déterminées, voilà l’Etat : c’est plus ou nudns que la patrie et c’est autre chose.

L’idée de territoire, sans doute, est, avec celles de paternité et de nation, une des trois que nous venons de trouver partout au fond de l’idée de patrie ; mais partout, il s’agissait d’un territoire sans bornes précises. Où Unissait la Judée que regrettaient les captifs de Babylone ? Où, l’Hellade d’Ulysse et de Démostbcne, l’Italie de Virgile et de Dante, la France de

saint Louis et de du Bellay ? Où commence, où finit la nôtre, et notre Anjou ou notre Bourgogne ? Peu nous im|iortel Nous les aimons sans y songer. Le demander paraît même bizarre, tant il e>t vrai que cette idée de limites, qui joue un rôle capital dans notre concepiion leriitoriale de l’Etal, n’en joue aucun dans notre concepiion de la patrie. Que les frontières se resserrent ou s'élargissent ; que llome devienne la capitale de l’univers ou que la Pologne, démeuibrée en trois, soit absorbée par la Uussie, la Prusse et l’Autriche ; que l’Alsace passe de la France à l’Alleuiagne ou que l’Irlande soit dévorée par l’Angleterre, les patriotes peuvent soull’rir ou se réjouir cl l’idée de patiie se trouver plus ou moins alTerniie ou menacée ; mais, après comme avant, c’est la même contrée que les Irlandais ou les Romains, les Alsaciens ou les Polonais, les Français ou les Allemands, les -Vnglais ou les Russes appellent leur patrie.

L’idée de société non plus n’est pas étrangère à celle de patrie ; mais d’aboril elle n’en est qu’un clément, complété et modifié par plusieurs antres, tous diirérents des idées de gouvernement et d’indépendance qui s’ajoulenl à elle pour former notre conception de l’Etat. Je ne crois pas qu’il soit possible de citer un texte ou un fait d’où l’on puisse légitimement induire que les hounues aient jamais cru ((ue leur patrie, pour être leur patrie, dût jouir de l’indépendance, encore qu’ils la souhaitassent pour elle, ou avoir un gouvernement ; et la seconde idée que nous avons trouvée partout, à côté de l’idée de territoire, au fond de l’idée de patrie, n’est ni celle d’Etat ni même ou seulement celle de société, mais celle de paternité et toutes celles qui en découlent : famille, héritage, fraternité. La patrie est la terre des pères. Son nom vient du leur ; et ce n’est pas parce qu’elle est à nous, mais parce qu’elle fut à eux, que cette terre est notre patrie.

Cette idée de paternité, d’ailleurs, ne se confond pas avec celle de descendance ou de race. Le lien du sang n’est pas le seul qui lie le faisceau familial, ceux de l’alliance et de l’adoption peuvent aussi nous donner des frères qui, pour être des frères de choix, n’en auront souvent ni moins d’amour pour les aïeux, ni moins de soin pour l’héritage.

La patrie est donc la terre des ancêtres, la terre de famille et qui appartient à la famille, encore qu’elle soit ordinairement partagée entre ses membres ou ses branches et ses rameaux. Se confondra-t-elle donc avec le foyer domestique, et dirons-nous que la troisième idée ajoutée par l’esprit humain à celles de paternité et de territoire, pour former l’idée de patrie, est l’idée de propriété? Ce serait commettre l’erreur ou le sophisme des révolutionnaires qui prêchent l’antipatriotisuje aux prolétaires, sous prétexte que, ne possédant rien, ils ne sauraient avoir de [)atrie. Pauvre sophisme, du reste, et qui dénote, chez ces soi-disanl adorateurs de la raison, une incapacité de raisonner vraiment siufiulière. Car s’il y a quelque idée de propriété au fond du patriotisme, c’est celle qui leur est chère, l’idée de la propriété collective, tandis que colle de propriété individuelle en est radicalement exclue. Ipliigénie se croyail-ellc propriétaire de l’Hellade ou Dénuisthène de l’Altique ou du Bellay île son petit Lire ? Pas le moins (lu monde ; et pourtant ils y tenaient plus qu'à n’importe quel domaine (Voir Hkhouote, 111, iSg, 140, histoire de.Syloson de Sainos).

Tous ceux qui ont fait la guerre dans les rangs des armées françaises ont été témoins de la douleur et delà colère de nos soldats lorsipie. le long des routes qu’ils suivaient eux-mêmes, harassés, en igi^, les cm’grants, chasses par l’invasion, égrenaient