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PASCAL (LE PARI DE)

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ditions que nous avons déduites. — Voyons donc Pascal ; i l’ci^uvre, ou plutôt niellons-nous à sa i)lace et parlons en son nom.

Vous êtes l’inerédule, je veux « disposer » votre volonlé, je vous dis : écoutez mon apologue ; il n’esl pas texlnellenienl celui qu’on peut lire au livre des Pensées, mais il va dans le même sens et il a la même portée ; il esl seulement plus clair.

Je suppose que, contraint de conlier voire fortune entière à un vaisseau, acuis n’ayez le choix qu’entre deux, et que les capitaines de l’un et de l’autre vaisseau vous tiennent resptclivcment les discours suivants :

Le capitaine du premier vaisseau : « Conflez-moi votre fortune. Je ne vous garantis rien, à vrai dire, en cas de tempête, mais je vous aflirme seulement, sans pouvoir d’ailleurs prouver mon assertion [ceci esl remarquable], qu’il n’y a pas de tempête à craindre. >i

Le capitaine du second vaisseau : « (lontiez-raoi votre fortune. Je la garantis contre tout péril, en particulier contre les tempêtes qui, je vous l’atlirme, sans pouvoir d’aillrurs prouver mon assertion [et ceci encore est remarquable], sont continuelles aux parages où nous allons, n

Que feriez-vous ? Quel parti vous semblerait le plus raisonnable, le seul raisonnable ? — Dans l’ignorance où vous êtes, el dont je suppose que vous nu pouvez sortir^ des dangers véritables qui menacent votre fortune, nul doute que vous ne calculiez de la manière suivante : « Si je me conlie au premier vaisseau, au vaisseau sans garantie, si en d’autres termes je fais comme si le péril de tempêtes était illusoire, j’aurai tout perdu en cas d’erreur. Si, au contraire, je me confie au second vaisseau, j’aurai sauvé ma fortune au cas où son capitaine dit vrai, au cas où il y a des tempêtes ; et au cas où le capitaine m’aurait trompé sur ce point, du moins je n’aurai rien perdu. Tout est avantage, tout est parti. » Vous opteriez prur le second vaisseau, et vous feriez bien.

Or, je V(ms dis : Vous êtes actuellement el en fait dans une situation semblable à celle que je viens de décrire. Vous avez une fortune à risquer, qui est vous-même, votre salut éternel. Que aous le A’ouliez ou non, vous êtes lié à la vie, il vous faut faire la traversée. Or, deux doctrines se présentent à vous pour vous acconi|iagner et comme vous [)ortrr, deux seulement, car les autres sont comme n'étant pas. Il vous faut opter entre elles. L’une, c’est le rationalisme, fait miroiter devant vos yeux la perspective d’une traversée sans danger dont le terme serait le néant.

« Ado])tez mes convictions, vous dit-il, confiez moi

votre àme, et je vous nic’uerai, tout doucement, sans heurt, sans roulis, sans mal de mer, jusipi’au terme où tout aboutit, lequel, je vous l’atlirme (sans d’ailleurs être à même de vous le prouver), est l’anéantissement. » L’autre, c’est la religion ehrclienne, l’esl la Foi, proclame au contraire que la traversée de la vie est pleine d’embûches, et que qui y tombe ne va pas au néant, mais à un enfer éternel. « Adoptez, vous dit-elle à son tour, adoptez mes croyances, confiez-moi votre àme, el je vous mènerai, à travers toutes sortes de dangers, au terme qui est le ciel, la béatitude éternelle ; je vous garantis contre l’enfer, dont jf vous allirme l’existence bien que je sois incapable actuellement de vous la prouver. »

Dans l’ignorance irrémédiable où vous êtes relativement au terme réel de cette vie, quel parti prendrez-vous ? Si vous êtes raisonnable, vous ne pouvez hésiter. Vous ojilerez pour la foi, vous jouerez sur elle ; si vous vous trompez, si elle vous trompe, vous ne perdrez rien, tandis qu’en risquant sur le rationalisme, s’il vous trompait, vous perdriez tout.

il semble que jusqu’ici, et pour peu que la reli ::io71 chrétieiuif ail en elle-même une apparence d’autorité, il soit imjiossil>le de résister à l’argumentation de Pascal. Or, y acquiescer, c’est reconnaître que l’attitude de la foi est lattitude la plus avantageuse, la seule même qui le soit. L’incrédule qui a compris ce qu’on vient de lui dire n’a qu’une chose à faire, avouer qu’iV voudrait avoir la foi. Vous me dites donc, vous qui êtes l’incrédule : « Heureux ceux qui croient… je voudrais avoir la foil… » et vous ajoutez : « Mais je ne puis ! je suis lié, ma bouche est muette. » — Je vous réponds : « Parfait I cela sufTit, c’est tout ce que je voulais. Mon raisonnement n'était pas destiné à vous donner la foi, mais le désir de la foi ; si vous enviez ceux qui croient, vous vous trouvez dans la première des dispositions requises pour l’obtenir. Le premier but de l’apologétique de la volonté est atteint. Il reste à poursuivre le second, en vous amenant à la deuxième disposition requise, la pureté du cœur et l’humilité. »

Reprenons l’apologue. Je suppose que vous avez compris qu’il y a tout avantage pour vous à confier votre fortune au second vaisseau. Vous êtes décidé à le faire. Être décidé à faire une chose, ce n’est pas encore lavoir faite, ni même la faire. Vouloir croire, ce n’est pas encore croire cfl’cctivement. Il y a i>lace pour une démarche entre le désir el l’exécution. — Celte démarche consistera, en l’espèce, à aller trouver le capitaine du second vaisseau : « Prenez ma fortune, lui direz-vous, je vous la confie. » Imaginons maintenant que le capitaine vous réponde :

« J’accepte de transporter votre fortune, mais à condition que, avant loul, vous payiez une prime. Mon

concurrent, lui, ne réclame rien ; mais il n’assure rien. Ce que je vous demande esl d’ailleurs insignifiant, à peine un franc pour un million. » — Un franc pour un million ? La garantie a beau être incertaine, étant donné la minime valeur intrinsi^que de ce qu’on vous demande de sacrifier (un franc) et surtout sa proportion à ce que par là. et par là seuletneni vous avez le plus de chance de conserver (un million), toute hésitation serait déraisonnable : vous accepteriez.

Or çà, raisonnons : si pour conserver un million, vous pouvez el devez risquer un franc, pour assurer vingt millions, vous devriez être disposé à risquer vingt fois un franc, soit vingt francs. Et ainsi de suite, à mesure que croit la fortune à garantir. Si celle-ci avait une valeur infinie, vous devriez èt-e prêt à jouer n’importe quelle valeur, pourvu qu’elle soit finie. — Qu’objecter à cette argumentation ? Si vous la comprenez, vous devez être convaincu.

Appliquons maintenant l’apologue. Vous venez à moi et vous m « dites : « Je voudrais avoir la foi. » Je vous réponds : C’est bien, mais avant tout il y a une condition à remplir, un gage à donner, une prime à payer. Le rationalisme n’exige rien de ses fidèles ; mais la vérité chrétienne, elle, ne se livre qu'à qui lui sacrifie quelque chose : abandonnez les plaisirs, abandonnez votre amour-propre, soyez humble et puri — Vous vous récriez ? « Le prix, ditesvous, est considérable 1 Je gage peul-êlre trop ! » Raisonnons : ce qu’il s’agit d’assurer, c’est vousmême, votre éternité, votre tout. Rien ne peut être plus grand pour vous que ce qui pour vous esl tout. Ce qu’il s’agit de garantir est donc infini. Or, quel est l’enjeu, la prime, le gage ? Ce sont vos plaisirs. Qui niera que vos plaisirs représentent un bien fini ? Je vous demande donc un gage de valeur finie pour vous assurer une fortune de valeur infinie. Il n’y a pas à hésiter ! — Si vous êtes pareil au libertin de Pascal, vous vous avouerez convaincu, vous céderei, vous vous déciderez à sacrifier le Uni jiour vous