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PAPAUTE

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ressant pour l’apologétique pratique d’en indiquer les principales, avec leur réfutation.

a) L’infaillibilité n’est pas l’impeccabilité. — Les papes n’ont pas été proclamés irréprochables dans leur vie, à l’abri de tout péché ; ce qui serait un défi à l’histoire, et au soin que les papes ont gardé de s’adresser à un confesseur. L’infaillibilité et l’impeccabilité sont deux prérogatives parfaitement distinctes et séparables : la première empêche l’intelligence de tomber dans l’erreur, la seconde empêche la volonté de tomber dans le péché. Ce qui a pu donner occasion à la confusion, c’est que dans certaines langues le mot qui signifie 8 infaillible » peut signifier aussi « impeccable » : par exemple unfehlbar en allemand. En français, c< faillir » peut signifier « pécher », eequi pourrait prêter aussi à confondre o infaillible i> avec « impeccable ». Malgré tout, on n’aurait pas fait la confusion, si l’on avait rélléchi que, dans la langue de l’Eglise, infallibilis ne peut aucunement signifier

« impeccable » : jamais le mot latin fatti n’a eu le

sens de c. pécher », mais seulement celui de « se tromper ». De plus, précisément dans le but d’empêcher cette confusion, le concile a accepté l’amendement d’un évêque : au litre primitif /VeromaHi ponti/icis infaltibilitate, il a substitué : De romani pontificis infallihili magislerio. Un « enseignement infaillible » ne peut signifier autre chose qu’un enseignement sans erreur, n Il faut qu’on voie du premier coup (par le titre) qu’il ne s’agit pas ici de l’impeccabilité du pape dans ses actions, mais de son infaillibilité dans son enseignement. » Acta…, col. ^o6.

b) Vinjaillihililé n’est pas le pomoir de gouverner despotiquement l’Eglise ou même la société civile. — On s’est plaint que la définition de l’infaillibilité avait changé dans l’Eglise la forme de gouvernement ; que, même dans l’ordre politique, elle avait fait du pape le roi des rois, a Les monarques sont les préfets de sa puissance », s'écriait au sénat M. Clemenceau (Journal Officiel, 31 oct. igoa). Mais cette accusation croule par la base, si l’on réfléchit que l’infaillibilité n’est pas un pouvoir de gouvernement quelconque, despotique ou autre ; c’est, comme son nom l’indique, une préservation d’erreur, surnaturellement adjointe au pouvoir d’enseigner, pour lui faire atteindre sa perfection : infallibile magisferium. L’Eglise a un triple pouvoir sur ses fidèles : celui de les sanctifier par les sacrements (o pouvoir d’ordre)'), celui de les gouverner dans l’ordre spirituel ( « pouvoir de juridiction »), enfin celui de leur enseigner la religion et la morale ( » magistère »), Ce dernier pouvoir, malgré sa connexion et son afiinité avec celui de juridiction, en est différent, comme l’a fort bien exposé le cardinal Franzblin, De Eccle^ia, Rome, 1887, thèse v, p. 46 sq. On pourrait avoir un magistère infaillible sans aucune juridiction : au cours de l’Ancien Testament les prophètes juifs, dans leurs révélations et dans l'énoncé qu’ils en faisaient, étaient infaillibles et regardés comme tels, et pourtant ils n’avaient ni le gouvernement politique de leur pays, ni même une place dans la hiérarchie religieuse des prêtres et des docteursde la Loi, et ils ne venaient pas fonderune hiérarchie nouvelle, un nouveau pouvoir de gouverner. Déclarer le Pape « infaillible », n’est donc pas lui attribuer un pouvoir quelconque de gouvernement dans l’ordre temporel et politique ; dans l’ordre spirituel, ce n’est pas changer quelque chose au gouvernement de l’Eglise, ni au pouvoir de juridiction qu’a, par ailleurs, le Souverain Pontife. Il peut déléguer sa suprême juridiction, mais non pas son infaillibilité : et autres différences.

c). — L’infaillibilité n’est pas le pouvoir de déclarer bien ce qui est mal, comme si le Pape se vantait de changer les règles éternelles de la morale. Au contraire, la doctrine traditionnelle, parmi les catholiques, a toujours été de regarder la distinction du bien et du mal comme absolue, invariable et intangible même à la toute-puissance divine. Quand Baius, à la suite des premiers protestants, a fait dépendre de l’arbitraire divin, non pas précisément la distinction du bien et du mal, mais au moins celle des péchés graves et des péchés légers, le Pape Pie Va déclaré que cette distinction ne vient pas du bon plaisir de Dieu, mais de la nature des choses, et qu’il y a des péchés véniels parleur nature même : Condamnation de la 20" proposition de Baius, D.B., 1020. Si les papes ne reconnaissent pas même à Dieu le pouvoir de déclarer bien ce qui est mal, faute légère ce qui est faute grave, comment pourraient-ils logiquement s’attribuer un tel pouvoir ? Leur infaillibilité, telle qu’ils la conçoivent, consiste, non pas à fabriquer à volonté le bien et le mal, le vrai et le faux, mais seulement à reconnaître sans erreur ce qui est objectivement bien ou mal, vrai ou faux. Ce n’est pas chez les papes, c’est chez les protestants et les incroyants que s’est développée l’erreur qui ose nier l’existenceobjective d’une morale, la même pour tous et que nul ne peut changer.

d). — L’inlaillibilité n’est pas l’inspiration qu’ont reçue les écrivains sacrés, ni la révélation qu’ont reçue les ])rophètes — Voir plus haut, col. 1429.

e). — L’infaillibilité, enfin, n’est pas la science universelle, prétention monstrueuse, que nous prête généreusement tel ou tel auteur protestant. Cf. T.VNQUEnRY, Synopsis theologiæ fundamentalis, 10' éJit., 1906, p. 46s. D’abord, l’infaillibilité pontificale est loin de s'étendre à tous les domaines de la pensée. Ensuite, une fois qu’on l’a restreinte au domaine religieux et moral, res fideiet mnrum, il ne faut pas la confondre avec la science infuse, autre es]> « ce de don surnaturel possible, par lequel Dieu donnerait miraculeusement à quelqu’un, tout à coup et sans peine, les mèmescbnnaissanceset les mêmes habitudes de pensée qu’il aurait pu acquérir jiar un long travail : encore moins faut-il la confondre avec une science infuse complète, idéale et parfaitement synthétisée. Peut-èlre des catholiques mal instruits se représentent-ils l’esprit du pontife nageant dans la lumière, contemplant dans une merveilleuse synthèse toute la morale rationnelle, toute la révélation chrétienne avec les innombrables conclusions qu’on en peut tirer, toute l'Écriture et le sens précis de tous les textes, enfin toute l’ancienne tradition. Mais il n’en est pas ainsi. Les conciles et les papes — l’histoire de l’Eglise est là pour le prouver — ont besoin d’enquêtes prolongées, même sur un seul point, et il faut du temps pour que le fruit de ces travaux arrive à la maturité d’une définition. Dieu ne prodigue pas les miracles ; et comme il a créé la raison humaine avec un fond de rectitude naturelle, avec des critères de vérité et des garanties contre l’erreur, il la laisse travailler dans les dépositaires du magistère infaillible, en les aidant au besoin de secours surnaturels de détail, et en les protégeant enfin contre toute définition erronée. La science universelle, si on l’avait, enlèverait toute ignorance ; l’infaillibilité n’enlève que l’erreur, en laissant subsister bien des ignorances et des obscurités dans la pensée. Qui dit ignorance, ne dit pas nécessairement erreur. L’erreur est un jugement faux ; quand on ignore la solution d’un problème, on évitera l’erreur en suspendant son jugement. L’homme, il est vrai, n’a pas toujours cette patience et cette modestie de le suspendre : il juge précipitamment, par imprudence, par présomption ou par