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il leur manqua d'être complètement maîtres d’euxmêmes. » (Up. cit., l' « partie, ch. ii, S 2)

IV. Les papes des XIV* et XV' siècles. — Nous n’avons pas à nous arrêter sur Bonikace VUI, SHT les Papks d’Avignon et sur le Sciiismï d’Occident, qui sont l’objet d’articles spéciaux de ce Dictionnaire. (Voir ces mots) Notons seulement un trait important du mouvement qui s’opère en Europe au xiv' siècle ; les conséquences en seront graves pour l’iiisloire de la Papauté. Nous venons de montrer la grande place tenue par les papes du moyen âge au centre de la clirétienté. Cette chrétienté formait comme une immense famille, qui englobait tous les peuples de l’Occident. Le dogme catholique leur donnait à tous une façon de penser commune, l’action de la Papauté leur assurait même à l’extérieur une certaine unité, et les croisades nous ont montré que cette unité arrivait parfois à être assez consciente pour les faire s’accorder contre l’ennemi musulman. Il y avait dans cette unité chrétienne de grands avantages, et surtout une très noble inspiration. Ne doit-on pas y voir une belle tentative pour réaliser la parole du Christ : Ut sint unum sicitl et nosl Toutefois, ne nous ligurons pas un Eldorado. Nous l’avons dit : l’Eglise ne pouvait assumer les charges essentielles de l’Etat. Pour maintenir dans ce vaste ensemble un ordre suffisant, il fallait un bras de chair, toujours prêt à s’abattre sur les malfaiteurs. La conception de l’empereur, protecteur de la chétienté, répondait à ce besoin. Mais la suzeraineté impériale qui, dans certains pays, comme la France, ne fut jamais reconnue, était ailleurs beaucoup plus nominale que réelle. Restaient les pouvoirs féodaux, d’un caractère essentiellement local, qui maintenaient, tant bien que mal, un peu d’ordre dans la société. Entre ce corps, trop étendu pour former un Etat régulier, et ces petites seigneuries, trop multipliées pour assurer aux hommes de ce temps cette large sécurité, ce puissant développement de vie commune, qu’on trouve dans une grande patrie, les nationalités se cherchaient encore. Les royautés modernes ne faisaient que de naître, elles s’essayaient à leur rôle, sans pouvoir entièrement le remplir, et nous avons vu que ce qui manquait précisément au monde féodal, c'était une organisation politique fortement constituée.

Tous ces traits commencent à se modifier profondément à partir du xiv" siècle. Les diverses parties de la chrétienté s’organisent, chacune à part, en nations compactes, serrées autour de leurs rois. Il y a là un heureux progrès pour l’ordre administratif, et bien des abus du régime féodal disparaissent peu à peu. Mais d’autre part, l’idée de la grande communauté chrétienne va s’elïaçant. Le moyen âge avait tendu à l’universalité. A cette idée vient s’opposer désormais avec plus de force celle de nationalité ; entre les deux, il ne sera pas toujours facile d'établir l'équilibre. En tout cas, l’on voit du premier coup d'œil ce que ce nouvel ordre de choses avait de contraire à l’influence de la Papauté. (Cf. BaudrilLART, De l’intervention du Souverain Pontife en matière politique dans Revue d’histoire et de littérature religieuses, t. 111 ; surtout la conclusion, p 333-337)

La transformation d’ailleurs ne se Gl pas sans violence ni sans excès ; la royauté, dans sa lutte contre les obstacles qui arrêtaient son développement, se montra trop souvent brutale. Que l’on se rappelle seulement les procédés de Philippe le Bel à l'égard de Boniface VIU. Et puis, s’il y avait amé. Uoration pour l’ordre et la sécurité matérielle, le grand idéal chrétien et chevaleresque baissait de façon inquiétante. L’influence prédominante du

Saint-Siège avait maintenu dans l’Europe du moyen âge, en déjjit de toutes les violences, un sentiment élevé de la justice, et la persuasion du caractère sacré de tous les droits. Avec la nouvelle politique qui commençait à se faire jour, les relations internationales risquaient de n'être plus réglées que par la force et par la ruse. A l’intérieur même de chaque Etat, il n’y avait pas lieu de trop se réjouir de voir la prépondérance passer décidément à la puissance civile, c’est-à-dire à celui des deux pouvoirs qui abuse le plus volontiers de ses avantages. Dans tout cela il n’y avait certes pas progrès.

Par malheur, à la même époque, des circonstances néfastes — le séjour à Avignon, puis surtout le Grand Schisme, — contribuaient encore à diminuer le prestige de la Papauté. Des embarras du schisme naquit la théorie conciliaire, qui mettait le concile au-dessus du pape. (Voir la section du présent article concernant I’InI’Aillibilitk pontificale et l’histoire de ce dogme.) Allirraée d’abord à Constance, elle fut mise à l’essai à Bàle par des hommes dont plusieurs étaient animés d’un zèle sincère, mais qui, ayant perdu de vue la vraie constitution de l’Eglise, crurent qu’ils pouvaient la réformer en s'élevant contre son chef. Le pa[)e Eugène IV unit par l’emporter siu- le synode révolté ; mais toutes ces discussions contribuaient à relâcher les liens qui unissaient les peuples au Saint-Siège. Les princes naturellement appuyaient les doctrines nouvelles ; ils sentaient bien qu’en face d’une Eglise livrée à une sorte de régime parlementaire, ils eussent été plus forts pour étendre indéliniment leurs empiétements. En France, la Pragmatique Sanction de Charles VU ne fut que l’application des décrets de Bàle. Pie II la jugeait ainsi : « Cette loi, à l’abri de laquelle les prélats français croyaient trouver la liberté, leur a, au contraire, imposé une lourde servitude ; elle a fait d’eux les esclaves des laïques. » (Goyau, op. cit., " p., ch. III, Si 2)

Cependant ne nous laissons pas entraîner par les doctrines fatalistes. Au moyen âge, nous l’avons dit, on avait soulïert de l’absence d’organisation politique ; il était nécessaire qu’on s’essayât à combler ce vide. Il fallait s’attendre encore que les Etats modernes, qui commençaient à se constituer fortement, entrassent sur un point ou sur l’autre en conflit avec l’autorité papale et cherchassent à la diminuer. Mais il ne suivait pas de laque la grande œuvre de l’unité chrétienne, ébauchée dans les siècles précédents, dût périr. La chrétienté, malade, n'était pas dissoute. Après les crises pénibles qu’elle venait de traverser, elle pouvait retrouver sa splendeur sous une forme différente, adaptée aux temps nouveaux. Avec des langues, des coutumes d’une variété plus tranchée, rien ne rem])échait de conserver encore, grâce à la communauté de croyances, une sulfisante unité. Certes, le Saint-Siège ne pouvait pour une époque nouvelle promulguer une doctrine dilTcrente de celle des âges antérieurs ; il est même à remarquer que la théorie du pouvoir indirect, mise en pratique par les papes du moyen âge, reçut dans la théologie catholique sa forme définitive, précisément au xvi° siècle, sous la plume de Bellarmin et de Suarez, pleinement approuvés de Rome. Mais cette même Rome, si inflexible sur la doctrine, a toujours montré que, dans les applications, elle savait se plier aux nécessités des temps. Le nationalisme moderne, dans ce qu’il a de légitime, ne s’opposait pas à l’idée de chrétienté, il ne tendait nullement, de sa nature, à devenir antipaiial. Le crime inexpiable de la rupture est le fait de la seule Réforme. C’est la liberté humaine, agissant sous l’influence de passions souvent très basses, qui a