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PAPAUTE

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confession de Pierre, avec toutes les circonstances notables du même dialogue et du même fait ? Gomment expliquer surtout le silence de Marc, c’est-à-dire de l’évangéliste qui, d’après les témoignages primitifs, rédigeait, pour les lidèles de Rome, la catéchèse de l’ierre lui-même V « Le silence de Marc est inexplicable », ccritJeanRBViLLB, et nous oblige à reconnaître qu’avant la rédaction de nolreMattbieu actuel, il y avait une tradition relative à cette scène capitale, où les privilèges accordés à l’ierre ne liguraientpas. » (Orij ; inesde l’épiscopat, p. 82. Cf. Mon-NiKR, Notion Je l’apostolat, p. 189. Sabatirr, lieligioris J’aiilorilé, l). 211.GuiG^EBRm, Manuel, p. 228)

« Le passage entier », dit à son tour M. Loisv, se
« présente comme une enclave dans le récit de Marc, 

oii il a été importé d’ailleurs… Son contenu et son caractère d’évidente interpolation dans le récit de Marc, ne permettent pas d’y reconnaître une parole autbentique de Jésus, n (Synoptiqæs, t. II, p. 13, 14. Le lecteur sait que la plupart des critiques regardent notre second évangile comme antérieur au premieretau troisième, et comme leur source commune. C’est en ce sens que doit être comprise la phrase de M. Loisy, et, de même, celle de Jean Réville.)

Avant toute autre réponse, il faut noter que l’argument ne saurait être donné comme péremptoire. Un texte signilicatif est quelquefois rapporté par un seul d’entre les synoptiques, et non par les deux autres. Ceux-ci, pourtant, auraient eu occasion de le mentionner, et on ne voit pas bien clairement la raison de leur silence. Or, les critiques libéraux se garderaient, à coup sûr, d’aflirmer qu’en pareil cas et pour cet unique motif, l’historicité du texte doive être nécessairement exclue : eux-mêmes retiennent volontiers telle ou telle parole évangélique dont la condition rappellerait, à cet égard, celle du Tu es Petrii.t. A vrai dire, c’est précisément le mélange des ressemblances et des variétés dans le détail, l’alternance des parallélismes littéraux et des omissions inexpliquées, qui forme l’étrange complexité du problème synoptique : harnionia discors.

Au point de vue le moins dogmatique et le plus purement historique, l’omission d’un texte chez deux synoptiques (à supposer même qu’on n’en puisse fournir aucune explication plausible) ne causerait donc qu’une probabilité défavoralile, pas davantage. Rendons justice à la modération que garde M. Gui-GNKBrîRT sur ca point : « Le silence de Luc et de Marc constitue ». dilil, « une présomption contre l’authenticité [historicité] des deux versets de Matthieu. » Çfanuel, p. 2ag) Une présomption, soit ; mais non pas un argument ferme et certain. El la u présomption Il elle-même devra, en bonne critique, être négligée ; ou plutôt devra céder devant la vérité : d’abord, si l’on apporte, du silence de Marc et de Luc, une autre explication raisonnable que l’origine rédactionnelle des paroles ; en second lieu, si le témoignage du premier Évangile se trouve corroboré par des indices positivement favorables à l’historicité de notre texte.

Une première hypothèse, forcément un peu gratuite, m : iis qui ne présente aucune impossibilité, serait que le Tu es Petrus n’ait pas été prononcé dans les circonstances mêmes où l’encadre saint Matthieu. Le silence de Marc et de Luc, en cet endroit, deviendrait alors tout normal. Resterait seulement à montrer que l’omission d’un texte de si haute gravité pratique, dans tout le reste du second et du troisième Evangile, n’est pas inconciliable avec le caractère historique et primitif du Tu es Petrus.

Eosf.be, d’autre part, expliquait l’absence de notre texte chez saint Marc, par la volontaire omission du même texte dans le récit oral de Pierre lui-même. En

effet, le prince des apôtres aurait eu coutume, par humilité chrétienne, de rapporter ce qui pouvait le diminuer personnellement, comme sa tri]ile chute durant la Passion ; et de taire ce qui pouvait le grandir aux yeux des lidèles : comme la magnilique promesse qui rémunéra sa profession de foi et d’amour envers le Christ. Mais, si le Tu es Petrus ne figurait pas dans la catéchèse de Pierre, il est normal qu’il ne figure pas davantage dans l’Evangile de Marc : puisque Marc s’est contenté de lixer par écrit les souvenirs mêmes de Pierre. (Demonstr. évani ;., 111, v. P. a., t. XXII, col. 216, 217.) Bien que surtout imaginée a priori, cette hypothèse d’Eusèbe est moins gratuite, assurément, que plus d’un système de la crilique liliérale.

Mais, sans exclure l’hypothèse d’Eusèbe, qu’il soit permis d’en proposer une autre, directement suggérée par le texte même de saint Matthieu. M. Michiels est le premier, croyons nous, qui ait indiaué ce point de vue : il le qualifie de « conjecture assez plausible ». (Origine de l’Episcopat, p. 42)

Toute la réponse élogieuse de Jésus-Christ à saint Pierre porte un caractère juif et biblique extrêmement accusé ; par exemple : Simon Har Juna, Ba^iwâ, pour « tîls de Jona » ; la chair et le sang, ni/.pi xxi

« l’ua, pour désigner la « nature humaine t ; ies portes

de l’enfer, T.ù’Ay.i i^ôsu, pour désigner la . (On pourrait y joindre l’antithèse entre la terre et les deux. Toutes ces expressions devront être expliquées au paragraphe 3, dont l’objet sera la signification littérale du texte Tu es Petrus.) Bien plus, la parole principale, Tu es Petrus, tire sa vraie signification d’un jeu de mots sur le nom araméen de l’apôtre. Ce nom, tel que Jésus l’employait, n’était autre que Kéfn (rocher), qui correspond au grec Tlé-rpo ; (Pierre). (Joan., i, ^2.) Notre texte, dans la langue originale, se formulait donc équivalemment ainsi : « Tues Rocher (AV/a), et sur ce même Rocher (AV/’n) je bâtirai mon Eglise. » La communauté des fidèles du Christ reposera sur Pierre, comme une maison repose sur son fondement ; et Pierre, le fondement de l’Eglise, est un roc. (Cf. Matth., vii, a^, 25 et Luc, vi, 48) Ce jeu de mots perd beaucoup de sa rigueur et de sa clarté en grec, à cause de la différence de terminaison entre Wi-rpoi et niroK, ainsi que du pronom et de l’article féminins qui accompagnent TiirpoL. On lit, en effet, chez saint Matthieu : SJ ù ïlirpoi, x « i Ijii rcOr/i rf, Txérpv. oÎK’jù’jii.i.f-ii IJ.OU rnv’EM : r, 71yv. Tu es Petrus, et super hanc petram aedi/icabo Ecclesiani meam.

Or, on ne conteste généralement pas que Luc soit un Grec, écrivant pour les Eglises de l’hellénisme. D’autre part, les témoignages anciens, corroborés par divers critères internes, affirment que Marc est un Juif, qui écrit en grec pour les fidèles de Rome : c’est-à-dire pour des lecteurs venus en majorité du paganisme, et ignorant la langue, comme les usages, de la Palestine,

Dès lors, ne sera-t-il pas croyable que.Marc et Luc aient omis volontairement le Tu es Petrus à cause de son aramaïsme par trop accentué ? Non pas que certaines locutions juives de notre texte, et d’autres fort semblaliles, ne se rencontrent également chez Marc, chez Luc, ou à travers les épîtres pauliniennes. Il serait déraisonnable, en effet, de conlciler la présence de divers séniitismes dans le grec du Nimveau Testament, sons prétexte que le nombre en a été beaucoup exagéré naguère. Mais de tels sémitisræs n’apparaissent, généralement, que très clairsemés. Au contraire, la réponse de Jésus, après la confession