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PANTHEISME

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appelée, en nous référant aux modernes, le panthéisme (les pliilosophes, cette rél’utalion, sans perdre sa valeur, se trouve perdre son ol)jet. On a vu que Spinozn distingue expressément la nature incréée et la nature créée, les « attributs » de Dieu et ses

« modes ». Des remarques analogues doivent être

faites au sujet de Fichte, et même de Hegel, dont il devrait être entendu une fois pour toutes qu’il n’a jamais soutenu l’identité des coniradicloires. — Enlin, il faut prendre garde qu’à vouloir pousser la sorte d’argumentation dont nous parlons conime si, en tous cas, d’une distinction réelle de natures on pouvait conclure à une distinction réelle d’êtres, on ne va à rien de moins qu’à nier virtuellement le mystère de l’Incarnation. Dès qu’il s’agit de Jésus-Clirist, nous sommes bien en présence d’un être qui concilie dans son unité le lîni et l’inlini, d’un Iwinme qui est Dieu : c’est donc que l’iiomme-Dieu est possible ; s’il est possible une fois, il est possible des millions de fois.

Conditions d’une réfutation plus générale

Elle devra consister à prouver directement que. contrairement à ce qu’atfirme le panthéisme, l’homme et Dieu ont, en fait, des subsistences réellement distinctes ; ou encore, ce qui revient au même, que l’homme étant ce quil est, il est impossible qu’ilsoit Dieu.

Pour être parfaitement exacte, la preuve que nous avons en vue devra de plus être telle que ne soit pas niée par elle l’absolue possibilité d’un être en plusieurs personnes (mystère de la Sainte Trinité) ou d’une personne en plusieurs natures (mystère de l’Incarnation). Autrement, elle porterait plus loin qu’il ne faut et trahirait un vice intrinsèque.

Vue générale de l’argumentation contre le

panthéisme. — Le fait capital sur lequel on peut, comme sur une base sûre, édilier la doctrine du Théisme, est l’existence de la liberté, telle qu’elle se manifeste en chacun de nous.

Les hommes, dirons-nous, pris individuellement, sont libres, et cette liberté, en les rendant responsables, fait de chacun d’eux un a réel sujet d’attribution » par rapjiort à certainsaumoins de leursactes. Or ce fait est inconciliable avec la thèse panlbéistique. Cette thèse est donc fausse. — Bien plus : ce fait bien compris, rapproché de certaines autres vérités, implique la thèse théistique : cette dernière thèse est donc vraie.

Nous n’avons pas à prouver ici la majeure de cet argument ; l’existence de la liberté et de la responsabilité individuelles est un fait qui a déjà été solidement établi ailleurs’(voir art. Liberté). La réfutation proprement dite est tout entière dans la mineure : c’est elle seule strictement que nous avons à démontrer ; nous le ferons par un argument susceptible d’être présenté sous deux formes.

Première forme de l’argument

Posé la liberté en vertu de laquelle nos actes nous sont réellement imputables, — le panthéisme qui voudrait à la fois rester ce qu’il est et tenir compte de ce fait, n’a qu’une ressource : d’une part il doit, pour être fidèle à lui-même, ne point cesser d’affirmer que c’est Dieu et Dieu seul qui agit dans les créatures libres, soit A, B, C. Mais d’autre part, il doit, pour faire droit au fait en question, dire que si

1, Nous reprenons nous-mêm « ce sujet dans le Iravail plus développé que nous consacrons au panthéisme (cf. op. cit.).

Dieu agit en A, c’est en tant qu’il est lui-même A ; que s’il agit en B, c’est en tant qu’il est lui-même B ; elainsi de suite… Car de la sorte seulement, on peut admettre que A, B, C soient, chacun pour soi, responsables.

Maintenant, ti être responsable » ou, en termes plus généraux, être par rapport à quelque acte c( sujet réel d’imputation », qu’est-ce donc ? C’est évidemment avoir été de cet acte le principe indépendant ; celui qui a pris sur soi de le produire ; qui, à ce tilre et en ce sens, est par soi la cause qu’il est. Mais pour être cause par soi, il faut de toute nécessité avoir une existence à soi : car il ne saurait y avoir quelque indépendance dans l’agir où il n’y a nulle indépendance dans l’être. Cela revient à dire que, pour être « sujet d’imputation », la première condition est d’être en soi. Comme d’autre part, être en soi, ou avoir une existence à soi, est cela même que l’on appelle « subsister » (du moins lorsqu’il s’agit d’une subsislence absolue), la même vérité peut s’exprimer de la manière suivante : tout sujet j d’imputation est comme tel un subsistant.

Nous pouvons continuer. Du fait qu’on reconnaît en A, B, C des auteurs responsables, des « sujets », on reconnaît donc aussi qu’ils subsistent. A est un subsistant, B est un subsistant, C est un subsistant… Mais on ne dit pas nécessairement, — du moins le panthéisme peut se flatter de le croire, — que A, B, C fassent ensemble trois subsistants. Pour rester lui-même, après avoir tenu compte du fait de la responsabilité individuelle, le panthéisme n’a encore qu’à dire : Et ces trais qui subsistent sont en réalité le même subsistant, c’est-à-dire Dieu sous trois formes différentes.

Apres avoir mené le panthéisme à ce point, il nous faut donc le poursuivre et le pousser le plus loin possible dans ses propres voies.

Soit donc la thèse panthéistique telle qu’elle vient d’être obtenue.

Nous disons : de deux choses l’une,

OU BIEN,

en même temps qu’il le fait agir sous les apparences de l’homme, le panthéisme refuse à Dieu toute activité propre : Dieu immanent aux êtres A, B, C, n’agirait pas et ne pourrait agir en tant que Dieu ; il n’agirait qu’en tant que A, B, C. — Mais alors, il faut dire que Dieu comme Dieu n’est pas un subsistant. Loin d’exister en lui-même, il n’existe qu’en A, B, C. En soi, il est une abstraction, ce qu’est l’Humanité à part des hommes. Et alors peu importe que les houmies soient un ou plusieurs subsistants ; nous pouvons avoir affaire encore à un monisme’, mais du panthéisme proprement dit il n’est plus question, /l s’est détruit lui-même pour faire place à l’athéisme.

OU BIEN, au contraire,

le panthéisme reconnaît à Dieu une activité propre en dehors de celle qu’il est dit exercer à travers les hommes ; en ce cas le panthéisme ne peut plus se contenter de dire : « par rapport aux actes de A, c’est Dieu qui est sujet d’imputation, mais en tant qu’il est A », et ainsi de suite… Il doit ajouter : « H y a des actes par rapport auxquels c’est encore Dieu qui est sujet d’imputation, mais cette fois en tant qu’il est Dieu ».

Du coup. Dieu lui-même, Dieu comme Dieu, apparaît comme l’un des sujets d’imputation et l’on peut dire avec vérité : « Dieu comme Dieu est subsistant. » Dès lors la question devient intéressante de savoir

1. Ce monisme, on va d’ailleurs le rencontrer et le réfuter en examinant le second membre de l’allernative.