Page:Adhémar d'Alès - Dictionnaire apologétique de la foi catholique, 1909, Tome 3.djvu/659

Cette page n’a pas encore été corrigée

1305

PANTIIF.ISME

1306

Le panthéisme des philosophes se présente sous deux formes. L’histoire nous les révèle, mais on peut les déduire a priori. — En efl’et, la sorte d’unité dont ratlirmalion constitue le panthéisme, i>eut être obtenue de deux manières : on peut ou ramener Dieu à la nature, ou ramener la nature à Uieu.

Suivant le sens dans lequel s’ojière la réduction, elle a des portées bien différentes. Dans le premier cas, c’est la nature qui lise l’attention ; c’est dans l’univers matériel qu’on voilla réalité par excellence. Dès lors, idenlilier Dieu au monde, c’est atiainer Dieu au niveau du monde : de ce point de vue, impossible d’avoir de Dieu une idée spirituelle… Mais si Dieu n’est pas conçu comme un esprit, il n’est pas conçu du tout. On peut garder le mol ; il n’a plus de sens. C’est donc par abus qu’un panthéisme obtenu de cette manière retient le nom de panthéisme ; il est à strictement parler un athéisme. Tel fut le monisme des stoïciens ; tel est encore, et nécessairement, tout matérialisme.

Dans le second cas au contraire, c’est au concept de Dieu que l’esprit s’attache. Défini pour lui-même, Dieu est considéré comme l'être absolu, l'être nécessaire, dont un caractère essentiel est la spiritualité. Dès lors, identifier le monde à Dieu, c’est é/ever le monde au niveau de Dieu… C’est pexil-être nier le monde, au moins virtuellement ; ce n’est pas nier Dieu.

Ce panthéisme est le véritable panthéisme ; il est le panthéisme tout court ; il est très particulièrement le panthéisme moderne.

L’bssknce du panthéisme. Lb panthéisme vulgaire et lb panthéisme savant

Avant d’entreprendre l'étude de ce panthéisme, le seul qui nous intéresse, nous allons essayer d’en déterminer de plus près la signification.

Le panthéisme philosophique, disons-nous, est la doctrine qui ramène le monde à Dieu, qui identifie le monde à Dieu. Mais une telle prétention a-t-elieun sens ? Si on admet (comme selon nous peut le faire, et le fait en réalité, le panthéisme), le cai acicre matériel du monde et le caractère sj>irituel de Dieu, proclamer l’identité du inonde et de Dieu, n’est-ce pas affirmer l’identité des conlraciietoires et, par conséijuent, ne rien dire ?

Dans cette question, lieaucoup pourraient être tentés de voir déjà une réfutation du panthéisme : cette question ne comporterait pas de réponse ; le panthéisme se condamnerait en se formulant. Pour nous, qui voulons ici nous en prendre non i> ; is seiiIcnienl à une erreur, mais à une « doctrine », cette ([uestion préalable ne saurait avoir qu’un elVet, celui de nous amener à distinguer dans le panthéisme des philosophes un premier panthéisme que nous appellerons le panthéisme vulgaire, et un autre panthéisme qui sera à nos yeux le pnnlliéixme savant.

Le panthéisme vulgaire est celui que la dilliculté signalée prend au dépourvu, qui n’a pas dans ses principes mêmes de quoi lui faire face : ce panthéisme-là, très répandu, et qui mérite certainement qu’on le tue, n’a presque pas besoin qu’on le réfute.

Le p.mthéisme savant est celui qui se targue d'être en règle avec le principe de contradiction et qui, implicitement ou explicitement, a une réponse, au moins un essai de réponse, à la question. En fait, le panthéisme savant recourt pour s’expliquer (chez .Spinoza explicitement, chez Fichle, Hegel, Schopenhaiier implicitement) à la distinction de la nature et de la subsislence '.

1, Le mot aab.^istence est employé ici pour désigner l'être qui s’appurlicnt, qui a uueciisteiice à soi.

Deux thèses, qu’on trouverait à peu près textuellement chez Spinoza, rendent compte de » a position :

Première thèse : Dieu et le monde sont réellement distincts comme natures.

Seconde thèse : Le monde n’a pas de subsistenceà part de Dieu ; il subsiste en Lui et par Lui. Dieu et le monde ne sont pas réellement distincts comme subsistants '.

S’il y a dans l'énoncé du panlhéismeainsi présenté une contradiction, du moins elle n’est plus grossière ; le panthéisme en se formulant ne s’est pas détruit.

De la première thèse, il n’y a rien à dire : elle est nôtre. Twute l’erreur panthéistique est dans la seconde. L’opposition du Panthéisme et du Théisme véritable est ainsi très nettement marquée ; et le problème que nous avons à résoudre se pose ainsi : y a-t-il un Subsistant unique, de nature spirituelle, en qui existe tout ce qui existe, ou y en a-t-il plusieurs ?

Db la MÉTHODE A SUIVRE DANS LA DISCUSSION DU PANTHÉISME. Les DEU.V taches qui nous INCOMBENT

Quelle est la méthode dont il convient d’user pour tirer au clair une telle question ? — D’une manière générale, une thèse n’a que deux moyens de s'établir, elle le fait a posteriori ou a priori. — Le panthéisme peut-il étayer sa prétention sur l’expérience ? Y a-t-il songé? Quand bien même on pourrait citer (et on le peut) une multitude de témoignages, semblant prouver que, dans une sorte d’extase, des âmes privilégiées ont pris conscience de leur identité avec Dieu, ce n’est pas sur des documents de ce genre, sur des révélations particulières, que l’on roussira jamais à fonder une doctrine digne de ce nom. Un I)anthéisme à base empirique ne saurait être rien de plus qu’un panthéisme pour le peu])le. Aussi bien, aucun grand philosophe n’a pris le change. Ce n’est pas sur une expérience, même appelée « mystique », que s’appuient les théoriciens du panthéisme : c’est sur un raisonnement. Ils procèdent a priori. — Pour eux, établir le panthéisme, c’est essentiellement établir, non point ce fait : « le monde et Dieu ne font qu’un », mais cette nécessité : « il est impossible que le monde et Dieu ne soient pas un, il est impossible qu’il y ait deux subsistants ».

Pour réfuter le panthéisme il faudra donc commencer par nous placer sur son terrain. Nous aurons à miner ses arguments. Ce sera notre première tâche. Cette tâche accomplie, une conclusion ressortira : il n’est pas démontré qu' une pluralité de subsistants soit impossible. Cette conclusion est toute négative. Bien jdus, non seulement elle est négative, mais elle laisse encore la porte ouverte à de nouvelles tentatives, à de nouveaux arguments : il faudra donc la compléter. Ce sera notre seconde tâche. Celle-ci consistera à établir directement la vérité contraire au panthéisme, en démontrant que « le monde et Dieu sont di’ur Sul’sistants ».

De même que nos adversaires, nous 71e disposons pour cette démonstration que de deux méliiodes, la niélhode a priori, et la méthode a posteriori. La I)remière est bien tentante. Est- elle possible ? Estelle applicable ? — En 1 e.spéce, elle ne saurait consister i|u’en ceci : convaincre d’absurdité la formule même du panthéisme. Mais cela, pomons-nous espérer le faire ? — « Plusieurs natures, un seul subsistant », telle est la formule du panthéisme ; pouvons-nous dire qu’en elle-même elle enferme une contradiction ? non, sans doute, car, s’il en était autrement, ce n’est pas seulement du panthéisme

1. On Hirait, en adoptant In terminologie éqiu^'oque et malencontreuse de Spinoza ; comuie substances.